La Conférence sur la gouvernance mondiale dénonce la vague d’isolationnisme

21.11.2016

Michel TOUMA (à Doha) | OLJ

« Le temps n’est plus de rêver à une mondialisation naïve », met en garde le président de l’IFRI, à qui l’on doit la tenue de cette neuvième édition de la WPC au Qatar.

Comme à l’accoutumée, c’est à l’élaboration d’un choix très diversifié de thèmes et de domaines que s’est attelé l’Institut français des relations internationales (IFRI), sous la houlette de son fondateur et président Thierry de Montbrial, en vue de préparer le programme de la 9e édition de la Conférence sur la gouvernance mondiale (World Policy Conference, WPC) qui s’est tenue cette année à l’hôtel Sheraton de Doha, au Qatar. La conférence, qui a ouvert ses travaux hier matin, se poursuivra aujourd’hui, lundi, et demain, mardi, en présence d’éminentes personnalités du monde politique, économique, académique et de la presse, venant des quatre coins de la planète.
Cette 9e édition de la WPC intervient dans un contexte international très particulier, marqué, notamment, par la recrudescence des conflits armés en Syrie, en Libye, en Irak et au Yémen, par la persistance de la menace terroriste, par les incertitudes (lourdes de conséquences) suscitées par l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, et surtout par le doute qui s’est installé sur l’avenir de la mondialisation, comme le souligne Thierry de Montbrial, ce qui laisse craindre l’émergence d’une vague d’isolationnisme, de nationalisme populiste et de repli identitaire un peu partout dans le monde.
Ce sont principalement ces appréhensions qui ont sous-tendu les discours prononcés à l’ouverture de la conférence, hier en début de matinée, par le Premier ministre et ministre de l’Intérieur du Qatar, cheikh Abdallah ben Nasser al-Thani, le président de l’IFRI et le chef du Quai d’Orsay, Jean-Marc Ayrault (voir par ailleurs les propos de M. Ayrault à la séance d’ouverture de la conférence et lors du point de presse qui a suivi).
Dans son intervention, Thierry de Montbrial a évoqué d’emblée le résultat de l’élection présidentielle américaine qui a « stupéfié le monde, à commencer par les élites tant américaines qu’européennes, aveuglées par des certitudes » (…). « Ces élites, a souligné le président de l’IFRI, n’ont pas su interpréter les forces profondes qui pourtant depuis des années aux États-Unis traversent aussi bien les démocrates que les républicains ». Relevant que « certains parlent d’une crise de la démocratie dans la première puissance mondiale », M. de Montbrial a déclaré que « cette crise, seulement latente jusqu’à la défaite de Hillary Clinton, n’est pas uniquement américaine, mais elle est occidentale » (…). « Longtemps, la démocratie libérale a paru une condition nécessaire pour le succès à long terme du développement économique et social, a souligné le président de l’IFRI. Cette perception est aujourd’hui mise à mal. L’idéal de la démocratie libérale inspire de moins en moins le reste du monde depuis les échecs de la transition postsoviétique et du très mal nommé printemps arabe. C’est une réalité qu’il faut regarder en face. »
Pour M. de Montbrial, « la mondialisation libérale a apporté d’immenses bénéfices partout sur la planète (…), mais ces bénéfices ne sont pas bien répartis » (…). « La colère contre l’explosion des inégalités, les revenus non gagnés ou la corruption est un phénomène général qui contribue grandement à expliquer le rejet des élites », a-t-il souligné, avant de relever à ce propos que « le risque est devenu sérieux que la dérive populiste des démocraties ne conduise à la montée des nationalismes, donc au rejet de l’autre, et au retour au processus de fragmentation politique et économique du monde ». Et d’ajouter que « l’objectif de la libéralisation des échanges doit être poursuivi, sur une base de réciprocité, et en veillant à mettre en place des politiques de compensation au bénéfice des parties perdantes ». « Ce n’est pas seulement une question de morale, a poursuivi le président de l’IFRI. La désintégration économique et sociale est la cause la plus fondamentale des migrations incontrôlées, des vagues de réfugiés et du terrorisme. »
M. de Montbrial a souligné dans ce cadre que « l’intégration européenne doit se poursuivre », d’autant que « l’avenir de l’Otan est ouvertement en question ». Et d’affirmer que « le temps n’est plus de rêver à une mondialisation naïve (…), mais il faut apprendre à mieux vivre la mondialisation réelle, c’est-à-dire avec un degré d’interdépendance appelé à s’approfondir ».

Légalité internationale

Prenant à son tour la parole, le Premier ministre du Qatar a déploré « les failles du système international qui pâtit de la politique de deux poids, deux mesures, dans le traitement des problèmes auxquels sont confrontés les peuples ». Cheikh Abdallah al-Thani souligne toutefois que malgré ces failles, « nous devons œuvrer fermement à titrer profit des progrès scientifiques et de tout ce que l’humanité a produit », d’où l’importance d’une « coopération internationale et d’un partenariat véritable entre les États sur le double plan régional et international ».
Soulignant la nécessité de rester attaché à « la légalité internationale », le Premier ministre qatari a abordé la conjoncture régionale, soulignant que « le plus grand défi auquel est confronté le Proche-Orient réside dans les obstacles qui entravent le processus de paix entre les Palestiniens et Israël ». Dénonçant, en outre, « la catastrophe endurée par le peuple syrien du fait du régime syrien », cheikh Abdallah al-Thani a stigmatisé « les atteintes au droit international et au droit humain dans les villes et les villages en Syrie aux mains du régime syrien ».
Après avoir déploré la tiédeur des réactions de la communauté internationale face au drame syrien, le PM qatari a relevé que le terrorisme constitue « un grave danger pour la stabilité du Moyen-Orient et pour la stabilité internationale », ce qui nécessite une réaction « globale sur les plans national, régional et international, dans les domaines culturel, idéologique, économique, social, de la pensée et de l’information ».

« Rejet de l’autre »

La séance inaugurale a ensuite été suivie d’une intervention de l’ancien Premier ministre de Turquie, Ahmad Davutoglu, en sa qualité d’« invité de marque ». D’entrée de jeu, M. Davutoglu s’est demandé si « l’on se dirige vers la gouvernance mondiale ou vers le désordre mondial ». « L’imprévisibilité règne partout », a-t-il affirmé, relevant que le XIXe siècle était celui de « l’équilibre des pouvoirs », alors que le XXe siècle était celui de « l’ordre international ». « Le XXIe siècle sera-t-il celui de la gouvernance mondiale basé sur la coopération internationale ? » s’est-il interrogé.
Après avoir stigmatisé les crimes de guerre perpétrés en Syrie, l’ancien PM turc a relevé que « nous sommes tous d’accord sur le fait qu’il faut agir contre toute forme de terrorisme ». Il a cependant souligné sur ce plan qu’il existe « partout un climat d’islamophobie et de rejet de l’autre ». « Nous devons agir ensemble contre le terrorisme, mais nous devons rejeter l’exclusion et prôner au contraire une politique inclusive (…) pour faire face à l’isolationnisme et à l’extrémisme », a conclu Davutoglu.
L’intervention de l’ancien PM turc a été suivie et complétée d’un large débat sur « l’avenir du Moyen-Orient » dans le cadre d’un panel regroupant des intervenants arabes, européen, chinois et israélien.