La guerre en Ukraine coûtera à l’Europe 175 milliards d’euros

L’invasion de l’Ukraine par la Russie va profondément affecter les économies européennes. Dans une tribune à « l’Obs », Jean Pisani-Ferry, professeur de politique économique à Sciences-Po et chercheur du think tank européen Bruegel, analyse cet impact budgétaire en dix points.

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1. La guerre [en Ukraine, NDLR] aggrave le choc d’offre auquel nos économies étaient déjà confrontées du fait de la hausse des prix de l’énergie. Pour la BCE [Banque centrale européenne], elle accentue le dilemme entre maîtrise de l’inflation et soutien de l’activité. Au-delà du soutien ciblé aux ménages vulnérables, cela justifie temporairement des mesures hétérodoxes de limitation de l’impact inflationniste de la hausse des prix des combustibles (fiscalité, suspension de la fixation du prix de l’électricité sur la base du prix de l’énergie marginale, contrôles des prix).

2. L’efficacité du blocage des réserves de change est aujourd’hui très grande (plus que celle de l’exclusion de Swift, qui touche moins de la moitié du système bancaire). Mais si la Russie continue d’exporter du pétrole et du gaz aux prix actuels, elle va rapidement reconstituer ses avoirs. Il ne sert à rien de s’attaquer au stock (les réserves) si l’on ne touche pas aux flux (les revenus d’exportation).

3. La question touche en particulier au gaz, dont l’exportation requiert des infrastructures. L’Union européenne et la Russie ont l’une et l’autre les moyens d’un chantage économique réciproque, mais l’UE peut plus facilement diversifier ses imports, tandis que la Russie ne peut pas diversifier ses exports.

4. L’Union doit préparer une réduction de ses importations de gaz russe. Il faudra, d’une part, limiter la demande de gaz (en retardant la fermeture de centrales, en freinant la consommation des ménages) et, d’autre part, organiser les approvisionnements alternatifs, leur stockage et leur acheminement. Il faut engager rapidement une initiative d’ampleur, étroitement coordonnée, et annoncer une réduction par étapes des importations de gaz russe. Cela demandera une forte prise en charge publique du coût de l’opération (pour quelque 75 milliards d’euros en 2022), et un effort de solidarité important entre pays européens.

5. A plus long terme, il faut repenser l’architecture d’un système énergétique européen qui a largement préservé les préférences nationales mais ne sert ni l’efficacité ni la sécurité collective. Cela suppose des investissements d’interconnexion, des surcapacités et la définition de plans de crise.

6. L’afflux de réfugiés n’est pas un problème pour le moyen terme (s’ils ne rentrent pas en Ukraine, ils s’intégreront rapidement au marché du travail) mais, à court terme, il faut s’attendre à plusieurs millions de réfugiés, avec un coût qui pourrait atteindre une trentaine de milliards d’euros en 2022.

7. L’annonce par l’Allemagne d’une augmentation du budget de la défense sera suivie par des initiatives parallèles dans les autres pays. Dans le périmètre de l’UE, il faudra sans doute 20 milliards d’euros de dépenses supplémentaires à court terme (cette année), et au bas mot 70 milliards d’euros (un demi-point de PIB) à moyen terme.

8. Au total, le coût budgétaire de ces mesures pourrait dépasser un point de PIB en 2022 (175 milliards d’euros dans le périmètre de l’Union européenne), réparti entre budgets nationaux et financement conjoint. L’UE va être contrainte de retarder la désactivation de la clause d’exemption du Pacte de stabilité.

9. A moyen terme, à l’investissement additionnel dans la dépense (au minimum un demi-point de PIB) va s’ajouter l’investissement vert (un demi-point de PIB aussi) et compliquer le rééquilibrage des finances publiques, dans un contexte où les marchés seront plus frileux, plus méfiants à l’égard des actifs européens, et plus inquiets sur les risques de solvabilité.

10. L’Union engage, dans la crise, sa réorientation vers la fourniture de biens publics européens. Dans l’immédiat, des flexibilités peuvent être trouvées. Cependant, il faudra très vite mettre en place un nouveau budget et un nouvel instrument inspiré de l’emprunt commun Next Generation EU (mais certainement moins redistributif).

Par Jean Pisani-Ferry
Lire la tribune sur le site de L’Obs.