La sécurité en Asie n’est pas la même qu’en Europe

Comment garantir la sécurité en Asie? Contrairement à l’Europe, le continent asiatique ne dispose d’aucune institution comparable à l’OTAN, à l’OSCE ou à l’Union européenne. A comparer les deux continents, l’Asie semble assise sur un fauteuil très instable.

En ouvrant la septième édition de la World Policy Conference, qui se déroule cette année à Séoul, Mme Park Geun-hye, présidente de la République de Corée, a rappelé l’initiative qu’elle a lancée au début de cette année pour un rapprochement pacifique avec le Nord. Elle propose de surmonter la division de la péninsule, qui dure depuis près de 70 ans, par des gestes concrets de coopération dans le domaine humanitaire et économique.

C’est à Dresde que la présidente coréenne a fait état, pour la première fois, de ses idées pour préparer la réunification de son pays. Ce n’est pas un hasard si elle a choisi de le faire en Allemagne. La conférence, qui réunit des politologues, diplomates et professeurs spécialisés, a tenu à placer le problème coréen dans un plus large contexte.

Car il convient de se garder de toute analogie entre la situation qui a prévalu au cœur du continent européen pendant 40 ans et celle qui existe aujourd’hui au flanc de la Chine depuis 1945. Le Nord et le Sud sont toujours en état de guerre – ce qui n’a jamais été le cas entre la République fédérale et l’Allemagne de l’Est. Il y a cinquante millions de personnes au Sud, et la moitié de ce nombre au Nord, tandis qu’entre RFA et RDA le rapport était de quatre à un. La chute du mur de Berlin et du régime communiste, provoquée par un mouvement populaire, a constitué une véritable surprise; là, c’est la personnalité même du chef d’Etat de la République démocratique et populaire qui est le principal facteur d’imprévisibilité. Enfin, la Corée du Nord possède l’arme atomique et des missiles, ce qui pèse sur la paix de toute la région.

Comment peut-on alors créer à la fois les conditions de la confiance entre adversaires et garantir la sécurité des uns et des autres? A la différence de l’Europe, l’Asie ne dispose d’aucune institution comparable à l’OTAN, à l’OSCE ou à l’Union européenne: il n’y a donc aucune structure régionale pour prévenir une crise majeure en cas d’affrontement, pour régler des différends ou même pour donner l’alarme en cas d’accident militaire. Les disputes territoriales ont été toutes réglées en Europe alors qu’elles demeurent souvent très vives en Asie, par exemple entre la Russie et le Japon, ou entre la Chine et l’Inde. L’ouverture politique que la Corée du Sud veut pratiquer au Nord, et qui se veut le miroir de l’Ostpolitik, ne peut être, dès lors, comme cette dernière, qu’une œuvre de longue haleine, s’inscrivant dans une stratégie de longue patience.

En Asie, la Chine a affermi sa position, et c’est une source d’instabilité. En 30 ans, ce pays a transformé sa vie sociale et économique comme aucun pays ne l’a fait avant lui. La Chine ne craint pas d’afficher sa puissance économique et militaire, d’en jouer tout en réclamant sa place au soleil. Il lui importe avant tout de faire reconnaître sa prééminence par les autres Etats de la région, à l’instar de l’Empire du Milieu qui recevait l’hommage et le tribut des peuples voisins. Mais si ceux-ci craignent la force dont fait montre la Chine, par exemple par ses démonstrations en mer de Chine, les signes de faiblesse tels que la diminution du taux de croissance et divers problèmes sociaux et économiques non résolus peuvent s’avérer tout aussi inquiétants.

La Russie multicontinentale est aussi un acteur majeur en Asie. Elle se défend de contribuer à l’instabilité, refuse qu’on lui impute les grands changements qui secouent le système international: dans la compétition internationale dopée par la mondialisation, certains cherchent à s’assurer des avantages d’ordre politique, mais ce n’est pas la Fédération de Russie. Le monde unipolaire, c’est fini! Il y a un nouveau type d’équilibre des puissances, la concurrence entre Etats est devenue plus ouverte, on s’affronte aussi sur des valeurs!

Les Etats-Unis sont-ils les grands absents de ce jeu, comme le dénoncent certains observateurs européens qui y voient un affaiblissement des positions occidentales? Le rééquilibrage du centre de gravité de leur politique vers l’Asie serait plus convaincant s’il ne s’accompagnait pas d’un engagement accru en Syrie et en Irak à cause de l’Etat islamique.

Mais il est évident que Washington reste l’ultime garant de la stabilité et de la sécurité de ses alliés en Europe comme en Asie.

Dans l’un et l’autre continent, on relève encore la montée du populisme et du nationalisme. Mais en Europe c’est le fruit d’une situation économique défavorable, et l’on peut espérer qu’il s’agira d’un phénomène passager, tandis qu’en Asie c’est un sentiment profond dû à la frustration, la revendication d’injustices historiques attisées par la haine ou la crainte de la puissance chinoise. La récente rencontre au sommet du président chinois Xi et du premier ministre japonais Abe a peut-être permis d’éviter l’escalade incontrôlable de la crise entre les deux pays, elle n’a pas réglé les problèmes de fond. Le premier ministre ne peut renoncer à son pèlerinage au mémorial des soldats morts pour la patrie à travers les générations; la Chine ne peut s’empêcher d’y voir un hommage rendu aux criminels de guerre. L’Europe, quant à elle, a maîtrisé son devoir de mémoire.