L’impuissance occidentale

29/10/2018

Hubert Coudurier, Le Télégramme

La World Policy Conference (WPC) ou Conférence sur la politique mondiale a lieu chaque année. La onzième édition s’est tenue à Rabat (Maroc). Ci-dessus, au centre : le chef de la diplomatie espagnole, Josep Borrell, s’entretient avec son homologue marocain, Naser Burita.

 

La XIe World Policy Conference (WPC) qui s’achève à Rabat (Maroc), sous la férule du sémillant Thierry de Montbrial, directeur de l’Ifri (Institut français des relations internationales), reste un club où se côtoient tous les ans diplomates, chefs d’entreprise et anciens ministres de la planète.

 

De notre envoyé spécial au Maroc. Dans l’attente du résultat des Midterms, aux États-Unis, pour savoir si le phénomène Trump s’enracine ou pas, la crainte d’un nouveau krach financier est dans tous les esprits réunis par le think tank (littéralement « réservoir de pensée ») français. Si l’on considère que, depuis la crise de 2008, la communauté internationale a pris des mesures protectrices, « il faut identifier comment un nouveau choc pourrait survenir du fait de multiples causes : récession aux États-Unis, ralentissement de l’activité en Chine, etc », estime Karl Brauner, directeur général adjoint de l’OMC (Organisation mondiale du commerce). Mais, comme le confiait en aparté un expert monétaire : « Dans l’ordre des facteurs, le principal risque vient de la crise italienne plus que de la remontée des taux d’intérêt, outre-Atlantique. D’abord, toute relance serait inefficace car compensée par cette poussée des taux. Ensuite, la BCE n’interviendrait pas, obligeant les Italiens à sortir de l’euro. »

On ne parle pas assez d’économie

Autre thème de débat : l’impuissance stratégique des Occidentaux au Moyen-Orient : « Tout se passe désormais dans le club d’Astana (*), entre Russes, Turcs et Iraniens qui débattent sur la manière de mettre fin au siège d’Idleb (Syrie) », note Renaud Girard, du Figaro. Par ailleurs, à la lueur de l’affaire Khashoggi, les Occidentaux réalisent qu’ils ont été bien naïfs de qualifier le Saoudien MBS (Mohammed ben Salmane) de « grand réformateur » alors que sa seule action notable, outre cet assassinat barbare, est d’être englué dans la guerre au Yémen.

Sans même parler de l’incapacité occidentale, depuis trente ans, à accoucher d’un processus de paix entre Israéliens et Palestiniens. Jugeant qu’on parle trop de politique dans cette région et pas assez d’économie, Odeh Aburdene, président d’OAI Advisors, considère « qu’il n’y aura ni prospérité ni croissance sans une éducation de qualité. Étant frileux sur le risque, les Arabes se contentent d’exporter du pétrole mais ne savent pas fabriquer et produire ».

Redistribution des cartes

Au final, c’est la remise en cause de l’ordre international issu de la Seconde Guerre mondiale qui inquiète, tant elle a fini par engendrer une redistribution des cartes qui n’était pas encore perceptible lors de la chute du Mur de Berlin. « La question centrale pour l’Europe est de savoir si elle sera, à l’avenir, un acteur ou un spectateur de cette recomposition mondiale. Du coup, le prolongement naturel du Vieux continent reste l’Afrique mais de façon plus partagée, contrairement à la colonisation qui n’était qu’un moyen d’extraire les richesses », analyse Karim El Aynaoui, directeur de l’OCP Policy Center.

L’affrontement entre les États-Unis et la Chine

Il n’empêche, comme le soulignait Thierry de Montbrial dans son discours introductif, le phénomène majeur de ce nouveau siècle est l’affrontement entre les États-Unis et la Chine. « Déjà, en 2001, George W. Bush voulait faire de cet enjeu l’axe principal de sa politique étrangère. Le 11-Septembre l’en a détourné. Aujourd’hui, Donald Trump revient brutalement sur le sujet en se plaçant surtout dans l’ordre commercial, au sens large », poursuit le créateur du CAP (Centre d’analyse et de prévision) du Quai d’Orsay. Pour autant, il serait hasardeux d’analyser ce phénomène avec la grille de lecture d’une nouvelle guerre froide. Les temps ont changé.

À l’inverse, l’Europe devra réintégrer la Russie dans son orbite, plutôt que de laisser la Chine l’attirer dans son grand dessein des « Routes de la soie ». À cet égard, l’Inde, qui se sent encerclée par les projets d’infrastructures chinois au Bangladesh, au Sri Lanka ou même au Cachemire, pourrait se révéler un allié précieux pour l’Occident afin de contrebalancer la montée en puissance de l’Asie-Pacifique.

 

* Astana est la capitale du Kazakhstan. L’accord d’Astana est un traité signé le 4 mai 2017 par la Russie, l’Iran et la Turquie et portant sur la création de quatre zones de cessez-le-feu en Syrie. Le texte n’a été validé ni par le régime syrien ni par l’opposition en exil.