Michel Foucher : « Il ne faut pas tomber dans le piège d’une opération au sol »

22.11.15

Echos1

Pour Michel Foucher, il est urgent de réfléchir aussi à la diffusion des images de propagande – DR
 

La question du terrorisme a largement dominé la huitième édition de la World Policy Conference, organisée à Montreux. Michel Foucher, titulaire de la chaire de géopolitique appliquée au Collège d’études mondiales explique les différentes stratégies de lutte contre les groupes terroristes.

Michel Foucher (Géographe et titulaire de la chaire de géopolitique appliquée au Collège d’études mondiales)

Après les attentats au Cameroun, au Mali, et la mise en alerte maximum, comment doit-on lutter contre la mondialisation des actes terroristes ?

Il n’y a pas de mondialisation du terrorisme islamiste. On note des actions régionales, comme au Cameroun, perpétrées par Boko Haram qui est en difficulté en raison de la coordination des armées des Etats africains affectés et soutenus par la France. De même AQMI agit au Mali à partir de la Libye. Au Sahel, le traitement militaire doit se poursuivre pour consolider ce qui a été acquis depuis deux ans avec les opérations Serval et Barkhane.

Mais les groupes terroristes sortent pourtant de leur territoire ?

Al Qaïda et ses filiales ainsi que Daech mènent des opérations transnationales, le plus souvent dans une surenchère de propagande. Leur objectif est double. D’abord attirer les troupes occidentales au sol en Syrie et en Irak et ensuite continuer leur recrutement tous azimuts par la mise en scène de leurs atrocités. Il convient de ne pas tomber dans le piège d’une action au sol. Et il est urgent de réfléchir à un boycott par nos télévisions et nos réseaux sociaux des images de propagande qui attirent des jeunes radicalisés. Si nous restons sidérés par les images, nous serons statufiés comme la femme de Loth.

Comment combattre Daech sur leur territoire?

Le pseudo proto-Etat islamique a trois bases territoriales, deux en Irak et une en Syrie. Il faut une stratégie pour chacune d’entre elles.

Dans le triangle sunnite (Ramadi, le sud de Tikrit et l’est de Bagdad) qui fut la base territoriale du régime minoritaire de Saddam Hussein, Daech a liquidé des élites et offre de l’argent, des emplois et des armes aux classes pauvres. Il faudrait ramener les tribus sunnites dans le camp de Bagdad.

De son côté, Mossoul a été conquise en juin 2014 car elle n’était pas défendue par l’armée irakienne. C’est une ville de trois millions d’habitants et on ne discerne pas pour l’instant les forces capables de reprendre cette ville, ni les milices kurdes ni les milices chiites. Dans cette ville il n’y a pas de forces sunnites assez fortes et efficaces. Une tactique d’asphyxie et d’isolement est envisageable. La coalition devra bombarder les centres de Daech à Mossoul.

Enfin, en Syrie, Daech occupe des villes donnant accès à la frontière turque mal sécurisée et le long des villes de l’Euphrate moyen. Les avancées militaires des Kurdes à Kobane et à Sinjar vont se poursuivre. Les actions militaires de la coalition semblent efficaces. Une solution militaire peut ici réduire l’emprise de Daech en parallèle aux réunions diplomatiques de Vienne, et bientôt de Paris, sur la Syrie.

Quelles sont les motivations des terroristes à Bamako ?

L’attaque contre le Radisson Blu a Bamako intervient alors que l’Etat Islamique occupe le devant de la scène avec les attentats du 13 novembre à Paris. Mokhtar Belmokhtar,d’origine algérienne et responsable du carnage de janvier 2013 à In Amenas dans le sud algérien, a revendiqué l’attentat. Il est le représentant d’Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI). Ces attaques n’ont donc rien à voir avec Daech. En revanche, c’est une attaque contre le pouvoir malien et sa capacité à faire appliquer les accords d’Alger signés cette année avec la rébellion touareg. L’objectif est également de fixer au sud l’armée malienne et l’empêcher ainsi de se déployer au nord du Mali. Ce qui pourrait gêner le passage de certains trafics dans cette région.

Daech est pourtant en train de s’implanter en Afrique ?

C’est un problème nouveau. Il s’installe en Libye entre le gouvernement de Tripoli et le gouvernement de Tobrouk dans les bastions kaddhafistes de Syrte, pas très loin des terminaux pétroliers. Daech a une filière francophone, pas seulement française et belge, mais aussi en Afrique de l’Ouest où l’on parle français. On peut très bien imaginer –et Boko Haram a commencé à le faire- qu’il y ait des phénomènes d’allégeance et que s’ouvre, c’est une hypothèse, un troisième front pour la France.

Quel troisième front ?

Le premier est en France, on vient de s’en rendre compte. Le deuxième, c’est la Syrie et l’Irak. Le troisième c’est le Sahel. C’est un scénario qu’il serait déraisonnable de négliger. Même des mouvements régionaux locaux intra-maliens peuvent choisir des allégeances pour renforcer leur main. On a raison en France de s’inquiéter de ce qui se passe en Libye, sur le trou noir du Fezzan où il y a des tensions extrêmement fortes entre Touaregs et Toubou, chacun ne soutenant pas le même gouvernement et où pourraient s’installer des cellules instrumentalisées par la filiale de Daech qui est basée à Syrte. Il faut éviter que se poursuive la connexion entre les différents mouvements. Il faut disperser tout ça. Et cela veut dire que l’on est engagé pour longtemps. On a besoin, pour un certain nombre de missions -logistique, ravitaillement, entraînement, transport de troupes- de nos alliés européens. Nous, on doit se concentrer sur ce qu’on sait faire, le renseignement et l’action de force.

La situation peut-elle se stabiliser au Mali?

La réponse n’est pas militaire car il y a des questions socio-économiques et foncières structurelles. Il faut savoir qu’au 19ème siècle, il y a eu six djihads dans la bande sahalienne qui ont été stoppées par la colonisation britannique et française. Ces mouvements, comme ceux d’aujourd’hui, s’expliquent par des questions foncières et la volonté des Peul d’avoir les même droits que les Touaregs dans un pays, le Mali, essentiellement dirigé par les gens du Sud. Il faut donc un plan de développement. La France doit mobiliser l’union européenne. Notre effort collectif doit avoir une vision de stabilisation géopolitique.

(1) Auteur de Frontières d’Afrique. Pour en finir avec un mythe. Editions du CNRS.

Jacques Hubert-Rodier et Virginie Robert