Mo Ibrahim : L’Union européenne fait un pas vers le financement du gaz africain

Lors du sommet Europe-Afrique de Bruxelles, jeudi et vendredi, les dirigeants des deux continents devront se mettre d’accord sur la prise en charge des investissements énergétiques

Par Pascal Airault
17 février 2022 à 6h00

Champ gazier Algérie 16/02/2022 Airault
Le site gazier de Krechba, au sud d’In Salah en Algérie. Sipa Press

Les faits – Les dirigeants de l’Union européenne et de l’Union africaine se réunissent à Bruxelles les 17 et 18 février 2022 à l’occasion du sixième sommet UE‑UA afin de jeter les bases d’un nouveau partenariat. Pour contrecarrer le projet chinois des Routes de la Soie, l’Europe prévoit d’investir 150 milliards d’euros sur le continent africain d’ici à 2027, dont une partie dans la transition énergétique. Mais les Africains souhaitent le maintien des financements pour les énergies fossiles…

L’Europe sera-t-elle au rendez-vous du gaz africain ? C’est l’un des enjeux du sommet des dirigeants européens et africains de jeudi et vendredi à Bruxelles. « Il existe un fossé entre la façon dont les Africains considèrent la question du climat et de l’énergie et celle dont nos amis Européens les considèrent », estime Mo Ibrahim, co-créateur de la Fondation Afrique-Europe et président de la Fondation Mo Ibrahim.
Selon lui, l’Europe ne peut continuer à produire et à se fournir en énergies fossiles (gaz, charbon) sur le continent africain alors qu’elle refuse de financer ses projets gaziers. Il estime que c’est « moralement indéfendable ».

La conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP 26), en novembre dernier à Glasgow, a laissé un goût amer aux responsables africains. Les bailleurs de fonds ne sont pas au rendez-vous des promesses, alors qu’ils s’étaient engagés à lever 100 milliards de dollars de financement climatique. La question est sensible. Environ 600 millions d’Africains n’ont pas accès à l’électricité dont la demande croît d’environ 6 % par an sur le continent.

« Injustice climatique ». Le 10 février, l’Union européenne a annoncé un plan de 150milliards d’euros dans le cadre de sa nouvelle stratégie d’investissement baptisée « GlobalGateway ». Une partie est destinée à la transition verte à travers une aide au développement desénergies renouvelables. Mais Bruxelles rechigne toujours à financer les énergies fossiles. Président en exercice de l’Union africaine, le Sénégalais Macky Sall a récemment demandé aux Européens de revoir leur copie. « Les économies africaines sont celles qui polluent le moins, mais c’est la partie du monde qui subit le plus les conséquences du changement climatique, justifie-t-il. Il ne faudrait pas rajouter une injustice climatique à l’Afrique en décidant de ne plus financer les énergies fossiles. » Futur producteur de gaz, le Sénégal est particulièrement concerné.

« L’UE considère le gaz comme un pont vers la neutralité climatique, mais seulement s’il remplace le charbon et si les investissements sont prêts pour l’hydrogène »

Du côté de la Commission européenne, Frans Timmermans, vice-président exécutif pour le Green Deal, semble aujourd’hui faire un pas vers les dirigeants du continent, même s’il assure que la transition verte restera au cœur des programmes de coopération pour les dix prochaines années. « L’UE considère le gaz comme un pont vers la neutralité climatique, mais seulement s’il remplace le charbon et si les investissements sont prêts pour l’hydrogène », explique-t-il.

Bruxelles compte sur les pays du Sud afin de sortir de sa trop grande dépendance au gaz en provenance de Russie. Premier fournisseur de l’UE, ce pays exporte annuellement 160 milliards de mètres cubes de gaz vers le Vieux continent, soit 40 % des importations européennes et 55 %des besoins de l’Allemagne. Une des alternatives est la fourniture d’hydrogène à prix compétitifs, selon Frans Timmermans. L’Allemagne prospecte les capacités du Nigeria et de l’Angola en la matière. Le Mali a aussi des gisements.

Contingences politiques. Africains et Européens devraient aborder ces questions lors de la table ronde consacrée au sujet lors du sommet UE-UA. « On étudiera les questions un peu plus subtiles sur la manière dont se fait la transition énergétique des pays qui ont remplacé le charbon et le fioul par du gaz en tant qu’énergie de transition », confie une source élyséenne.

Les fournitures de gaz africain à l’Europe ont été soumises aux contingences politiques ces dernières années. Le gazoduc Greenstream, qui relie la Libye et l’Italie, a rouvert en octobre dernier après des mois de fermeture. Il permettait d’exporter neuf milliards de mètres cubes de
gaz par an en Italie, soit 12 % des besoins du pays, avant le début du conflit.

L’Algérie continue à fournir l’UE via ses gazoducs reliés à la Sicile et à l’Espagne mais a suspendu, en novembre dernier, les approvisionnements via la bretelle connectée au Maroc puis à l’Espagne en raisonde la crise politique avec Rabat.

Alger, qui exporte plus de 40 milliards de mètres cubes de gaz par an, prévoit d’augmenter ses capacités d’acheminement vers l’Europe. L’Algérie et le Nigeria ont discuté, début février, de la construction d’un gazoduc reliant leurs deux pays, en passant par le Niger. Sa réalisation permettrait d’augmenter sensiblement les livraisons au continent européen. Et le Nigeria et le Mozambique devraient enfin augmenter leurs exportations de GNL dans le futur grâce à la construction de complexes de liquéfaction. Les réserves prouvées de gaz naturel de l’Afrique sont de 14,9 milliards de mètres cubes, soit plus de 33 fois celles de l’UE.

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