Le gouvernement allemand organise ce vendredi 24 juin à Berlin une conférence internationale sur la crise alimentaire liée à la guerre en Ukraine. Depuis son déplacement à Sotchi, le président sénégalais Macky Sall, président en exercice de l’Union africaine, le répète : « Il faut faciliter l’exportation du blé ukrainien à partir du port d’Odessa parce que l’Afrique est véritablement menacée de famine ». Philippe Chalmin, spécialiste des marchés de matières premières, se déclare quant à lui surpris de ce qu’il appelle une « dramatisation » de la part de la communauté internationale. « Il n’y a, selon lui, aucune raison de supplier Moscou et de donner à Poutine une arme du blé ».
Carine Frenk : Quel est selon vous l’impact du quasi-blocage de l’Ukraine sur la situation alimentaire de l’Afrique aujourd’hui ?
Pour l’instant il est faible dans la mesure où certes il y a peu de céréales qui sortent aujourd’hui d’Ukraine, mais je rappelle que l’Afrique est surtout concernée par le blé et l’Ukraine avait presque terminé sa campagne d’exportation de blé. Il reste dans les silos ukrainiens, avant la nouvelle campagne, il reste peut-être 4 à 5 millions de tonnes de blé. Mais en réalité, le véritable impact de la guerre en Ukraine sur les importations africaines de blé, c’est par le biais le prix. Il faut bien reconnaître que depuis le déclenchement de la guerre, les prix mondiaux du blé ont bien pris quand même une centaine de dollars la tonne de plus.
Mais quand on parle des exportations céréalières de l’Ukraine et qu’on en fait la cause majeure du problème alimentaire mondial, c’est une erreur d’appréciation, un raccourci de journalistes ?
Je laisse les journalistes parler de raccourci de journalistes, mais je pense que c’est un peu beaucoup de cela. Ce qui est clair, c’est que la vraie raison des tensions sur les marchés agricoles mondiaux, et qui est antérieure à la crise ukrainienne puisqu’elle remonte à 2021, c’est l’importance des achats chinois en 2021. Il est clair qu’ensuite nous avons eu une augmentation des tensions liées à la guerre en Ukraine. Donc la crise ukrainienne a amplifié un problème qui d’abord existait déjà, qui était la dépendance alimentaire excessive de nombre de pays africains qui n’ont pas fait les efforts de politique agricole suffisante. Et d’autre part, les tensions, on les avait déjà en 2021 du fait notamment de l’importance des achats chinois. Dire que c’est l’Ukraine qui provoque une crise alimentaire mondiale, c’est une exagération.
Et donc ça veut dire que vous remettez en question les analyses que font les instances européennes onusiennes ou africaines, quand elles évoquent l’urgence d’ouvrir des corridors en mer Noire pour laisser passer le blé.
Le problème, c’est que pour l’instant ces corridors laisseraient plus se passer du maïs que du blé, il faut en être honnête. Ensuite va se poser le problème de l’arrivée de la nouvelle campagne, donc de la nouvelle récolte ukrainienne. Celle-ci effectivement aura du mal à sortir. Mais je pense que plutôt que d’imaginer des corridors maritimes qui seront extrêmement difficiles à mettre en place dans la mesure où une partie de la mer est minée, et que la fiabilité du partenaire turc peut-être quand même assez facilement mis en doute, il vaut probablement mieux faire tous les efforts possibles pour essayer de développer des corridors terrestres par la route et le rail pour arriver sur le Danube et sortir par les ports roumains par exemple. On n’arrivera pas à tout sortir, mais si je me cantonne au blé, on arriverait probablement à sortir une bonne part du blé ukrainien.
Autre facteur inquiétant pour l’Afrique, c’est la pénurie d’engrais. Le président Macky Sall a évoqué à son retour de Sotchi le risque d’un effondrement de 20 à 50% des rendements céréaliers en Afrique si l’approvisionnement en engrais n’est pas assuré sur le continent. Partagez-vous ces inquiétudes ?
Alors là je crois qu’il a parfaitement raison. Le président Macky Sall touche probablement ce qui est le talon d’Achille, à l’heure actuelle, de l’agriculture africaine. Je crois qu’il faut appeler un chat un chat : la crise alimentaire africaine, elle est avant tout une crise de la pauvreté, une crise de la mal gouvernance, une crise de la mauvaise gestion des politiques agricoles et pour certaines régions, mais aussi une crise climatique, je pense à la sécheresse qui touche la corne de l’Afrique.
Lire l’interview sur le site de RFI.