Après la contre-offensive ukrainienne dans la région de Kharkiv, Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne, tire trois leçons et estime que « l’espoir de mettre un terme à la guerre est peut-être en train de naître ». « C’est aux Ukrainiens et à eux seuls que reviendra le soin de définir les termes futurs de la paix », écrit-il.
Haut représentant de l’Union européenne, Josep Borrell tire trois enseignements des récentes reconquêtes ukrainiennes dans la région de Kharkiv, face à l’occupant russe. Il estime que cette contre-offensive confirme que « ce sont désormais les forces ukrainiennes qui imposent leur tempo », que ce succès « valide les choix européens » et « qu’il nous faut renforcer notre soutien à l’Ukraine » dans la perspective d’une sortie du conflit. Voici sa tribune :
« La contre-offensive des forces ukrainiennes dans la région de Kharkiv n’est pas forcément annonciatrice d’un effondrement militaire imminent de la Russie. Les guerres sont cruelles et les surprises, bonnes ou mauvaises, nombreuses. Pourtant si la prudence s’impose, l’évolution de la situation ne saurait nous laisser indifférent. Elle nous oblige à en prendre la pleine mesure et à en tirer les premières leçons : j’en vois trois.
Si l’Ukraine n’a pas encore gagné la guerre, la Russie est sans doute en train de la perdre
La première est tout d’abord de confirmer la détermination du peuple ukrainien, de son armée et de ses dirigeants à poursuivre le combat pour chasser l’agresseur de son territoire. Les attaques menées avec succès depuis l’été en Crimée et dans le Sud ont clairement démontré qu’après avoir subi, ce sont désormais les forces ukrainiennes qui imposent leur tempo. À l’Est, où l’oblast de Kharkiv est virtuellement libéré, au sud où l’offensive difficile contre Kherson se poursuit inlassablement. La rapidité avec laquelle les forces ukrainiennes ont progressé, la retraite des forces d’occupation abandonnant un imposant matériel, la démoralisation des soldats russes issus de régions périphériques pauvres de la Russie sont autant d’éléments qui montrent que si l’Ukraine n’a pas encore gagné la guerre, la Russie est sans doute en train de la perdre.
Le second enseignement de cette donne est de valider les choix européens faits depuis le 24 février : ne pas prendre part directement au conflit mais mobiliser des ressources économiques et militaires massives pour permettre aux Ukrainiens de recouvrer leur souveraineté bafouée. Le tout sur la base d’une solidarité européenne très forte. Pour la première fois depuis la création de l’Europe, un fonds intergouvernemental européen a commencé à financer militairement un État en guerre. Ceux qui en France et ailleurs désespéraient de voir un jour naître une Europe capable de parler le langage de la puissance devraient donc s’en réjouir. Nous avons marqué un point. Mais il nous faudra en marquer bien d’autres encore pour que l’Europe reprenne confiance en elle en tant qu’acteur stratégique et que le reste du monde la prenne enfin au sérieux en matière de sécurité et de défense.
Les sanctions ont fondamentalement permis à l’Europe de désincarcérer sa politique russe de sa prison énergétique
Les bons choix de l’Europe n’ont d’ailleurs eu pour symétrique que les erreurs de Poutine qui aura méthodiquement bâti un modèle d’addiction de l’Europe à son énergie abondante et bon marché. C’est pour cela d’ailleurs que lorsque l’on m’interroge sur l’effet des sanctions ma réponse est de dire : elles ont fondamentalement permis à l’Europe de désincarcérer sa politique russe de sa prison énergétique. À y regarder de plus près, on notera peu de précédents historiques ou tout un ensemble régional est parvenu à se libérer aussi vite d’une contrainte économique aussi forte. Notre dépendance vis-à-vis de la Russie menaçait notre indépendance et notre sécurité. Nous sommes en train d’y mettre un terme de façon radicale.
La troisième leçon concerne les perspectives de sortie du conflit. Celui-ci n’est hélas pas terminé. Et rien ne serait plus dangereux que de s’abandonner à un optimisme exagéré succédant à un pessimisme injustifié.
Il nous faut à cette fin renforcer notre soutien à l’Ukraine en répondant à ses besoins militaires et économiques considérables. Car ne nous faisons aucune illusion. Poutine ne cédera pas de bonne grâce. Et la guerre peut durer longtemps. Bien sûr après la guerre viendra la paix. Mais il faut d’abord bien finir la guerre avant de pouvoir faire la paix. C’est aux Ukrainiens et à eux seuls que reviendra le soin de définir les termes futurs de celle-ci. On peut néanmoins imaginer qu’elle impliquera logiquement le retrait du territoire ukrainien, la mise à contribution financière de l’agresseur à la reconstruction d’un pays qu’il a systématiquement cherché à détruire, la reconnaissance morale et pénale par leurs responsables des crimes de guerre dont nous ne connaissons malheureusement pas encore toute l’ampleur. Si la guerre n’est pas finie, l’espoir d’y mettre un terme est peut-être en train de naître sur le terrain militaire. »
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