Thèmes 2009

I. La gouvernance politique

La mondialisation a multiplié les unités politiques ayant prise sur le système international, et pouvant l’affecter plus ou moins gravement. Comment assurer la coexistence entre ces unités politiques, comment rendre leurs conflits gérables de façon pacifique et compatibles avec la stabilité globale du système ? Deux décennies après la fin de la guerre froide, l’émergence progressive d’un nouveau monde multipolaire, hétérogène et global suggère d’abord d’évaluer la pertinence des institutions existantes, aux niveaux mondial et régional. Quel bilan dresser des mutations de l’Onu, et quelles réformes sont nécessaires pour dépasser les actuels blocages – y compris le blocage sur la réforme elle-même ? Quelle est l’efficacité présente des systèmes régionaux de sécurité – dont on attendait tant au début des années 90 -, ou des regroupements régionaux de défense ? Les exemples européens (OSCE, Alliance atlantique, UE…), africains (réforme de l’UA, initiatives des regroupements sous-régionaux), ou asiatiques (Asean, tentatives de mise sur pied de nouveaux forums de sécurité) fournissent à cet égard les premières leçons à tirer.

Parallèlement aux institutions, dans leur triple rôle de forums, de producteurs de normes, et de régulateurs des crises, d’autres processus jouent un rôle important pour la résolution de problèmes aujourd’hui centraux : particulièrement la prolifération des armements, et le désarmement. Les crises coréenne et iranienne – après les exemples irakien ou libyen… – confrontent manifestement les dispositifs anti-prolifération, institutionnels ou non (Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA), Initiative de sécurité contre la prolifération (PSI)…), à leurs limites. De même la reprise, après un long gel, des négociations de désarmement entre Washington et Moscou n’épuise pas le problème : quelle place auront demain les armes nucléaires dans les équilibres globaux – sur quelle vision du monde devra donc s’appuyer un TNP rénové ? -, et quels processus doivent être mis en place pour traiter de manière efficace des autres types d’armes (armes conventionnelles en général, ou les si meurtrières armes de petit calibre) ?
Au-delà des institutions et des processus à conforter ou développer, il s’agit aussi d’intégrer, comme éléments déterminants de la gouvernance mondiale, les outils hérités des réflexions et expérimentations des dernières décennies. On pensera ici aux mesures de création de la confiance, désormais présentes universellement : leur enracinement, leur développement sont essentiels, en particulier pour une gestion préventive des conflits. Quant aux méthodes de gestion des crises, avec l’apport des cultures stratégiques et des expériences de tous les acteurs qui ont eu à en connaître depuis vingt ans, elles constituent un champ prometteur d’étude et de coopération entre les États.

L’ensemble de ces moyens, institutionnels, politiques et conceptuels devront se combiner dans une gouvernance globale du système international pour organiser la co-existence à la fois conflictuelle et pacifique à laquelle aspire la société des États.

Le sujet sera traité au cours de deux sessions :

  1. L’architecture de la gouvernance politique
  2. La sécurité

II. La gouvernance économique et financière

La crise économique et financière a mis fin aux espoirs d’une mondialisation tranquille, propageant paisiblement le marché et la démocratie. Face à la crise, par nécessité, les gouvernements sont en première ligne. Les États sont massivement de retour. Dans un monde où plusieurs formes de capitalismes semblent en concurrence, les valeurs, les intérêts occidentaux sont remis en cause. Aujourd’hui, la mondialisation paraît clairement plus fragile qu’on ne le pensait. Et pourtant, il n’y a pas d’alternative envisageable : l’échec de la mondialisation serait le pire des scénarios. Les défis auxquels l’économie mondiale fait face sont immenses : montée du chômage, incertitudes financières, rareté des ressources, tout cela rend l’avenir opaque, place les décisions des entreprises dans un contexte plus incertain et plus risqué et fait obstacle aux projets de développement.

Aujourd’hui, l’économie mondiale a besoin d’une régulation d’ensemble. Face à ces défis, la gouvernance du système international a vieilli. Nous héritons d’institutions qui reflètent les réalités de l’après-guerre, de la décolonisation et de la guerre froide. Elles sont mal adaptées à un monde marqué par l’émergence de puissances nouvelles. La réunion des chefs d’État au format G20 est une initiative porteuse d’avenir. En abordant la régulation de la finance, elle n’a encore fait que le premier pas. Ce sont les suivants qu’il faut maintenant imaginer et mettre en application.

  • • La mondialisation a-t-elle atteint son pic ?
  • • Quelles sont les bonnes politiques budgétaires et monétaires ? Une coopération internationale plus active est-elle nécessaire ?
  • • Quelle « stratégie de sortie » préparer et comment ?
  • • Jusqu’où peut et doit aller la coordination des nouvelles régulations financières ?
  • • Comment assurer un meilleur ajustement entre épargne et financement à l’échelle mondiale ? Comment assurer une évolution harmonieuse des balances de paiements ?
  • • Quelles initiatives prendre pour repousser les tentations protectionnistes et stimuler le commerce mondial ?
  • • Quelles conséquences peut avoir la remise en cause du « capitalisme financier anglo-saxon » ?
  • • Quelles sont les conséquences politiques des incertitudes économiques et sociales ? Comment faire face aux risques de nationalisme économique ?
  • • Prolongeant les initiatives du G20, faut-il de nouvelles formes de gouvernance mondiale dans les domaines économique et financier ?

Le sujet sera traité au cours de trois sessions :

  1. La gouvernance macroéconomique : efficacité des politiques budgétaires, politiques monétaires non conventionnelles ; stratégies de sortie ; commerce mondial, nationalisme économique ; avenir des pays pauvres ; mouvements de capitaux et taux de change ; système monétaire international ; gouvernance (G20, FMI…)
  2. Les régulations économiques et financières : supervision bancaire, infrastructures de la mondialisation (normes comptables, agences de notation…) ; nouveau business model pour les banques ; circulation mondiale de l’épargne ; transfert d’argent (remittances) ; accord sur les investissements ; gouvernance (G20, Financial Stability Board…)
  3. L’avenir du capitalisme : remise en cause du « modèle anglo-saxon » ; diversité des « modèles » ; création et répartition de la richesse ; actionnaires (shareholders) et « parties prenantes » (stakeholders) ; menaces sur les classes moyennes ; aversion au risque et demande de protection ; « esprits animaux » et intervention de l’État ; quelle coopération internationale pour cette nouvelle étape de la mondialisation ?

III. Le droit international

Pour certains, la notion de gouvernance est étrangère au droit international, voire au droit. Elle désigne des processus d’articulation et de décision entre des instances différentes, de statuts variés, qui coopèrent afin de résoudre des problèmes d’intérêt commun. G 7, G 8, G 20, forums empiriquement mais régulièrement constitués, répondent en partie à cette demande. Mais elle demeure davantage un désir et un besoin qu’une réalité. Quel rôle pourrait y jouer le droit international ? Il lui faut pour cela répondre à la double dimension de la gouvernance. Régulatrice, elle pose des normes de comportement durables, afin d’assurer la sécurité des relations entre acteurs, leur confiance mutuelle, la prévisibilité de leurs comportements, l’efficacité des prescriptions arrêtées. Décisionnelle, elle doit permettre de s’adapter rapidement aux changements, de réagir aux situations de crise ou d’urgence en écartant les règles ordinaires, voire en les modifiant en fonction d’un nouveau contexte durable.

Le droit international, instrument de la double dimension de la gouvernance

Le droit international régit une société qui repose sur une pluralité d’acteurs : les États. Chacun conduit sa politique propre mais tous ont des intérêts communs. Leurs relations ne sont pas en théorie fondées sur un principe hiérarchique mais sur une logique horizontale de contrat, et leurs intérêts s’ajustent par la négociation. Leur désir partagé est de conserver leur statut dominant, comme instances légitimes et efficaces de régulation internationale, mais aussi comme acteurs principaux face aux situations de crise qui appellent des décisions rapides et cohérentes. Pour y contribuer, le droit international leur offre des techniques variées.

Le droit international, instrument de régulation

Dans le domaine des relations pacifiques, celui des échanges économiques et commerciaux, l’OMC est la dernière grande organisation internationale constituée, après la fin de l’affrontement Est-Ouest. Organisation aux structures légères, aux pouvoirs faibles mais aux ambitions élevées, elle repose sur deux piliers, l’adaptation et l’ajustement – adaptation par des accords qui ouvrent progressivement les marchés ; ajustement par le règlement des différends commerciaux entre États liés à ces accords. Comment sortir des blocages actuels ? Quelles leçons tirer de la technique originale de règlement des différends pour d’autres domaines des relations internationales ?

Le droit international, instrument de gestion des crises

Le Conseil de sécurité, qui en est l’instrument principal, consacre l’inégalité juridique entre États, repose sur la situation privilégiée des membres permanents, peut prendre des décisions obligatoires pour tous et utiliser la contrainte. Il doit répondre à des situations de crise, dans l’urgence. Il correspond à la dimension décisionnelle de la gouvernance, puisqu’il peut écarter les règles ordinaires pour leur substituer un droit d’exception. Il a montré une grande capacité d’adaptation face à des crises majeures au cours de ces dernières décennies, mais il est souvent critiqué pour l’inégalité qu’il établit entre les États comme pour sa composition jugée archaïque, voire récusé par les États-Unis qui répugnent à se soumettre aux contraintes qu’il implique. L’instrument n’est pas toujours suffisamment utilisé. Comment le renforcer, l’adapter, accroître son efficacité ? Le réformer ne conduirait-il pas à le détruire ?

Techniques juridiques de la gouvernance mondiale

Les principes et techniques du droit international sont indispensables à une gouvernance mondiale équilibrée et efficace.

La primauté absolue des États dans la société internationale, leur souveraineté et leur égalité sont des principes de rationalité, de stabilité et d’équilibre indispensables à une gouvernance efficace. Quelle place pour les acteurs non étatiques ? Le multilatéralisme classique associe participation universelle et répartition des rôles en fonction de la puissance relative des États. En panne de projet organisateur, il est incapable de définir un intérêt commun qui transcenderait les revendications particulières de membres d’une société profondément hétérogène. Comment contribuer à la relance du multilatéralisme, clef d’une gouvernance mondiale ? Quant à l’unilatéralisme institutionnel, il ne se limite pas au Conseil de sécurité. Il peut répondre aux situations d’urgence comme au besoin de normes universelles, dans le domaine de la santé publique notamment. Comment le rendre légitime et efficace ?

Le soft law, ou instruments concertés non conventionnels, non juridiquement obligatoires mais respectés lorsqu’ils sont équilibrés et porteurs de confiance mutuelle, est une technique souple, adaptée à la gouvernance. En revanche, quel rôle peuvent remplir les juridictions internationales, qui se multiplient depuis quelques décennies, dans un processus politique et non judiciaire ? Peuvent-elles répondre efficacement à des situations de crise ou d’urgence ? Peuvent-elles constituer un instrument de régulation autre que marginal ?

IV. Les mouvements migratoires

Les migrations internationales sont un enjeu global auquel tous les États sont confrontés. En quinze ans, les migrations se sont étendues à toutes les régions de la planète. La population mondiale des migrants a fortement augmenté. Le poids des transferts d’argent des migrants est de plus en plus important pour les économies des pays d’origine. Des régions de départ sont aussi devenues des zones importantes de transit et d’arrivée. Les migrations ont transformé les relations internationales. En même temps, le sujet est politiquement très sensible et médiatisé, ce qui conduit à déformer la vision des véritables enjeux.

Aujourd’hui, les États hésitent. Ils considèrent de plus en plus les migrations comme un facteur de croissance économique et de développement mondial, mais ils conduisent encore des politiques restrictives, qui se sont d’ailleurs montrées moins efficaces que prévu. Dans ce contexte, l’idée d’une gouvernance mondiale des migrations s’est progressivement imposée. Il s’agirait de réconcilier les objectifs des politiques migratoires des pays du « Nord », les intérêts des marchés internationaux, le développement des pays du « Sud » et le respect des droits et de la sécurité des migrants. Existe-t-il aujourd’hui un consensus sur le diagnostic des limites des politiques migratoires nationales ? Une gouvernance mondiale des migrations est-elle souhaitable ? Est-elle possible ? Si tel est le cas, quels peuvent être les objectifs et les moyens communs pour y parvenir ? Quel peut être le rôle des acteurs non-étatiques, en particulier des entreprises ?

Ces questions sont porteuses de plusieurs défis : comment adapter la souveraineté nationale des États au phénomène global des migrations internationales ? Une gouvernance mondiale des migrations ne pourra pas se faire sans les États. Quelles peuvent être les moyens institutionnels et politiques appropriées pour encadrer les migrations ? Autre question déterminante : quel est l’impact des migrations sur les rapports Nord / Sud ? Les migrations peuvent-elles faire émerger de nouvelles relations plus équilibrées et symétriques entre les pays de départ, de transit et d’arrivée ? Quels sont les vrais enjeux du lien entre migration et développement ? Comment résoudre le dilemme de la « fuite des cerveaux » ? Comment anticiper l’avenir et notamment l’impact programmé du changement climatique sur les migrations ? Les migrations sont-elles aussi un moyen de régulation des problèmes démographiques au « Nord » comme au « Sud » ? Dernier défi : l’évolution des sociétés nationales dans un monde de migrations. Une mobilité humaine plus forte ne doit pas s’accompagner d’une montée des replis identitaires, xénophobes et racistes. Comment y parvenir ?

V. L’énergie et le climat

La même énergie qui nous chauffe, nous éclaire et cuit nos aliments est au cœur d’un des plus grands défis rencontrés par l’humanité. Personne n’a jamais contesté qu’il y a pour chaque homme, chaque femme, chaque enfant sur terre largement assez d’énergie propre et fiable, mais beaucoup en sont privés. L’usage de l’énergie par l’homme a évolué au cours des millénaires mais c’est seulement pendant les 150 dernières années que les énergies fossiles ont pris une part prépondérante dans nos besoins énergétiques.

Les énergies fossiles sont extraites de la terre, quel que soit le lieu où on les trouve. Leur répartition est inégale dans le monde, créant des nantis et des démunis. Ceci a conduit à de la compétition et des conflits entre nations et à l’intérieur des nations.

Les énergies fossiles sont extraites de la nature souvent sans tenir compte de l’impact sur le bien commun ou les intérêts des populations voisines. Le commerce de ces combustibles enrichit les gouvernements et les pays exportateurs, mais selon la qualité de la gouvernance dans ces pays, la richesse générée par les énergies fossiles peut être source de croissance et d’amélioration du niveau de vie des populations, ou bien elle peut conduire à la corruption, à des régimes autocratiques et à l’exclusion. Beaucoup a été écrit sur la malédiction des ressources et elle a été bien étudiée, mais elle continue de ravager de nombreux pays producteurs.

Pour l’avenir, qui commence maintenant, la combustion de grandes quantités d’énergies fossiles a un impact négatif visible sur le climat mondial et aura des conséquences catastrophiques dans les prochaines décennies si nous continuons dans la même voie.

Quelles sont les énergies du futur et comment allons-nous les déployer suffisamment rapidement pour prévenir des conséquences inéluctables ? Quelles vont être les émissions de CO2 en 2050 dans des pays dont les émissions varient de 44 tonnes à 0.01 tonnes par habitant ? Comment faire en sorte qu’une plus grande partie de la population mondiale dispose d’énergie propre, sûre et à des prix raisonnables ? Comment, enfin, peut-on améliorer la gouvernance mondiale afin de réduire les conflits qui trouvent leur origine dans la distribution inégale des ressources énergétiques ?

Les institutions qui cherchent des réponses à ces défis n’ont pas vraiment évolué depuis les années 60. Elles sont encore essentiellement bimodales, Nord/Sud, G77/pays développés, riches/pauvres. Elles monopolisent encore les débats et cherchent à atteindre des consensus, mais n’importe qui peut tout bloquer ou verrouiller. Ce mode de négociations a démontré son inefficacité depuis presque 20 ans. Quelle a été la dernière négociation commerciale multilatérale couronnée de succès ? La convention sur le droit de la mer qui a nécessité 14 ans de négociations n’est toujours pas ratifiée par tous. La charte de l’énergie attend encore les ratifications des États-Unis et de la Russie. Le protocole de Kyoto est un tabouret à deux pieds.

Le rédacteur en chef de la revue Foreign Policy, Moises Naïm, a suggéré de remplacer multilatéralisme par minilatéralisme. Est-ce que Kyoto peut réussir à Copenhague en décembre prochain avec 180 pays autour de la table ? Ce sont toujours les mêmes débats bimodaux qui dominent bien qu’ils soient souvent bimodaux par commodité et non par conviction. On assiste à du multilatéralisme défensif. Doit-on déplacer ou formuler ces débats dans un forum plus restreint ? Il y a le G8, le G20 et le MEF (Major Economies Forum, qui réunit 16 pays). Mais dans tous, les principaux États européens parlent à plusieurs voix quand la Chine et l’Inde n’expriment qu’une voix chacune. Il est possible que le cœur d’une solution effective au changement climatique soit d’abord trouvé dans une entente bilatérale sur des principes généraux, entre les États-Unis et la Chine, solution qui pourra être étendue à la Conférence des Parties de l’UNFCCC via le MEF ou le G20. L’implication de tous doit-elle être forcément synonyme de paralysie ?

L’Union européenne a une longue pratique de la subsidiarité. Cependant, dans le multilatéralisme actuel, les pays cherchent à définir à la fois les principes et les modalités d’application d’un accord. C’est une surcharge pour les chefs d’État. Une fois les principes établis, la mise en œuvre et les modalités devraient être déléguées à des entités subsidiaires détenant la compétence technique nécessaire. Les postures politiques et les discours moralisateurs peuvent être maintenus hors de ces discussions subsidiaires.

Les discussions sur la régulation du climat ont commencé à prendre forme en 1988. Nous sommes 20 ans plus tard et les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter. Il ne nous reste plus que 40 ans d’ici 2050, date limite pour stabiliser et diminuer les émissions de CO2. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre davantage de temps.

VI. La santé et l’environnement

Santé et Environnement se sont lentement imposés comme objets des relations internationales depuis le XIXe siècle. Epidémies et pollutions ne connaissent pas de frontières : face à elles, les collectivités humaines sont donc évidemment interdépendantes. L’accélération de la mondialisation ajoute à cette interdépendance objective une interdépendance médiatique, qui mêle et homogénéise les réactions des différents publics touchés par un accident industriel transfrontalier, ou par une épidémie de grippe. Face à cette mondialisation, les réponses politiques aux problèmes sanitaires et environnementaux demeurent partielles. De nouvelles institutions, des normes, des outils de financement innovants ont été créés, mis en œuvre, ou consolidés au niveau global, mais l’ensemble n’évoque qu’un tissu de gouvernance mondiale informe, d’apparence décousue et parcellaire. Comment améliorer et élargir ces formes de gouvernance émergentes pour les rendre plus aptes à répondre aux crises et à prévenir les risques sanitaires et environnementaux ? A-t-on besoin d’un véritable système de gouvernance, centralisé et formel – par exemple autour d’une OMS pour l’heure très décentralisée – ou d’une « Organisation Mondiale de l’Environnement » encore à naître ? Ou peut-on se contenter de renforcer le cadre fluide qui existe aujourd’hui, et qui permet déjà une harmonisation progressive des politiques par la diffusion des idées et des analyses d’une sphère à l’autre ? Existe-t-il d’autres options ?

Ces questions structurelles en appellent d’autres, plus précises et tout aussi essentielles. Comment assurer une meilleure cohérence stratégique entre les multiples acteurs de la gouvernance globale de la Santé et de l’Environnement ? Comment consolider un intérêt, une mobilisation, qui peuvent seuls permettre la réunion de fonds suffisants en période de crise financière et économique ? Comment prendre en charge des enjeux moins visibles, plus délicats, ou plus ambitieux : lutte contre la pollution des Global Commons – océans, espace-, lutte contre les maladies non transmissibles, réformes structurelles des systèmes de santé… ? Comment appréhender le rôle de la science au service de la décision politique, en tenant compte des incertitudes du savoir ? Comment développer des processus équitables autorisant un meilleur accès aux médicaments, à l’innovation technologique (par exemple les transferts technologiques nécessaires à la lutte contre le changement climatique) ? Quel équilibre établir entre la protection des échanges et de la prospérité économique d’une part, et de l’autre la protection de la Santé et de l’Environnement, notamment eu égard aux leçons de la nouvelle grippe A/H1N1 ? Comment s’assurer du respect des engagements pris par les acteurs clefs de la gouvernance internationale, comment pallier leurs éventuelles défaillances ? Faut-il généraliser les procédures d’évaluation, d’audits ? Adopter une « responsabilité de protéger » environnementale et sanitaire ? Toutes ces questions, pour certaines anciennes et pour d’autres émergentes, doivent être prises en compte pour dessiner l’avenir, et le développement d’un nouveau système – ou du meilleur système possible – de gouvernance internationale pour la Santé et l’Environnement.

VII. L’eau, l’agriculture et l’alimentation

L’eau 
D’un côté, l’eau doit être accessible à tous les hommes. Il y a bien aujourd’hui un « quasi-droit » à l’eau pour tous. De l’autre côté, l’eau, ressource fondamentale et longtemps considérée comme illimitée, devient, du fait de l’explosion et de la diversification des demandes, un bien rare ou marchand, soumis aux lois de l’économie. Il faut 1 000 litres d’eau pour produire un kilo de blé, 15 000 litres pour un kilo de viande.

Les problèmes d’eau sont d’abord régionaux : zones industrielles subissant des pollutions massives ; régions désertiques ou semi-désertiques confrontées à une augmentation brutale des consommations (croissance des populations, agriculture, industrialisation, urbanisation…). De plus, dans de nombreuses parties du monde (en particulier, dans le cas où des fleuves traversent plusieurs États), la question de l’eau ne peut être séparée du défi plus général de l’organisation de la région : quelle paix, quelle sécurité, quels liens entre les protagonistes ? Exemples : aménagement du Danube ; disputes autour du Tigre et de l’Euphrate ; Palestine ; Nil partagé entre dix États ; fleuves du Sinkiang (Irtysh, Ili)….

  • • Quels dispositifs régionaux permettraient de mieux gérer l’eau ?
  • • Des règles ou institutions planétaires sont-elles nécessaires dans ce domaine ?

L’agriculture et l’alimentation 
Tout comme l’accès à l’eau, une nourriture suffisante (quantité) et saine (qualité) pour l’ensemble de la population fait partie des besoins fondamentaux de toute société digne de ce nom. Environ un milliard d’hommes (1 dollar ou moins par jour) restent sous-alimentés. Les couches dites moyennes – 2 à 13 dollars par jour (en 1990, 1,4 milliard de personnes ; en 2006, 2,6) – sont très sensibles aux variations de prix (en 2008, la hausse spectaculaire des prix alimentaires a rappelé à ces catégories la précarité de leur condition).

L’alimentation est perçue comme l’un des domaines majeurs de l’inégalité, le pauvre souffrant à la fois de sous-alimentation et de mal alimentation (diffusion de l’obésité). Plus généralement, un nombre croissant d’hommes, de sociétés, profitent ou veulent profiter d’une alimentation équilibrée (l’évolution de l’alimentation comme voie vers une vie meilleure).
Les marchés agricoles sont-ils des marchés comme les autres, ouverts et pris dans la compétition mondiale ? Ou l’agriculture, assurant la nourriture et donc la survie des populations, doit-elle obéir à une logique de sécurité, légitimant l’intervention du politique (réglementations, subventions, protections…) ?
Les sols, à leur tour, sont attirés dans la foire d’empoigne planétaire. La Chine, la Corée du Sud, les Émirats Arabes Unis, l’Arabie saoudite, le Qatar figurent parmi les premiers acheteurs ou loueurs de terres arables, à grande échelle, dans des pays étrangers.

Idéalement, une bonne gouvernance mondiale dans le domaine de l’agriculture et de l’alimentation devrait se fixer les objectifs suivants :

  • • Garantir qu’aucun homme ne souffre de la faim ou de la sous-alimentation.
  • • Promouvoir une « bonne » alimentation sur toute la planète tenant compte notamment des liens entre alimentation et santé publique.
  • • Veiller à une meilleure exploitation des ressources (sols, animaux…) intégrant la préoccupation du développement durable.
  • • Elaborer un statut pour les terres, tiraillées entre au moins trois forces : demande croissante de sols ; souveraineté des États ; quête par ces États de recettes nouvelles.