À Montreux, Israéliens et Palestiniens prônent un retour aux négociations secrètes

25.11.15

8E ÉDITION DE LA WPC

L’une des sessions plénières tenues dans le cadre de la 8e édition sur la gouvernance mondiale organisée par la World Policy Conference à Montreux a porté sur un face-à-face, d’un grand intérêt, entre l’ambassadeur palestinien à Londres, Manuel Hassassian, et l’ancien négociateur israélien et actuel président de l’Institut d’Israël, Itamar Rabinovich.

Michel TOUMA (à MONTREUX) | OLJ

La question palestinienne a constamment été considérée par nombre d’analystes et de responsables politiques arabes comme étant l’un des détonateurs des crises qui ont secoué, et qui continuent de secouer, plusieurs pays de la région. Elle a été, en tout cas, le principal catalyseur de la déstabilisation du Liban dès la fin des années 60 et du déclenchement de la guerre libanaise, en 1975. Elle est aujourd’hui quelque peu éclipsée par l’expansion du terrorisme jihadiste dans le monde. Conscients de la nécessité d’éviter qu’elle ne tombe dans l’oubli, les organisateurs de la 8e édition de la World Policy Conference, qui s’est tenue à Montreux, en Suisse (voir L’Orient-Le Jour des 21 et 24 novembre), lui ont consacré une session plénière sous forme de face-à-face entre l’ambassadeur de Palestine à Londres, Manuel Hassassian, et l’ancien ambassadeur et négociateur israélien avec la Syrie et président en exercice de l’Institut d’Israël, Itamar Rabinovich.

Modérateur de cette séance, le journaliste américain Jim Hoagland, conseiller de la rédaction au Washington Post, a donné le ton en indiquant qu’il y a deux ans, il participait à une conférence internationale aux Émirats arabes unis à laquelle étaient conviés de nombreux intellectuels et responsables du Moyen-Orient, et il a été surpris de constater qu’il n’avait nullement été question du problème palestinien durant les débats.

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L’ambassadeur Rabinovich a d’emblée défini en peu de mots la cause de ce déclin d’intérêt : « L’Autorité palestinienne est faible et le président palestinien est à la fin de sa carrière ; l’administration américaine ne fait pas ce qu’il faut pour aboutir à un règlement ; et un gouvernement de droite est en place en Israël. » En dépit de ce constat cinglant, M. Rabinovich a rappelé les fondements sur lesquels devrait être bâti, selon lui, le règlement du problème palestinien, à long terme, et, dans l’immédiat, en tenant compte du contexte présent. « Il est vital pour nous de séparer les deux peuples (israélien et palestinien) et d’aboutir à la solution basée sur deux États qui coexisteraient en paix, souligne-t-il. Mais compte tenu des données objectives actuelles, il faudrait mettre en place une solution intermédiaire et transitoire. Il y a plus d’un an, le secrétaire d’État John Kerry avait fait des propositions concrètes sur ce plan, prévoyant des concessions de la part des deux parties. Reprenons donc ces propositions pour ensuite relancer les pourparlers sur la solution définitive. Il s’agit dans ce cadre de rétablir la confiance entre nous. Mais l’OLP rejette une telle phase transitoire. »

L’ambassadeur Hassassian a effectivement accordé peu d’importance à cette approche. « Le conflit dépasse les questions d’ordre territorial, a-t-il notamment relevé. Pour nous, il s’agit d’un problème existentiel. Si le processus (de paix) a été un échec, c’est parce qu’il n’y a pas d’équilibre et d’égalité entre les deux parties. La partie dominante veut imposer ses conditions, et ceux qui sont censés jouer un rôle de médiateur (les États-Unis) prennent toujours position en faveur d’Israël. Le problème se pose au niveau de l’état d’esprit des Israéliens. Mahmoud Abbas n’est pas un président faible. Il a été l’exemple même du pragmatisme politique. Mais par leur attitude, les dirigeants israéliens ont pratiquement délégitimé Mahmoud Abbas, ce qui a eu pour résultat de pousser de nombreux Palestiniens dans les bras du Hamas. »
Mettant l’accent sur la nécessité de relancer les pourparlers de paix sur base d’un équilibre égalitaire entre les négociateurs, M. Hassassian a illustré le facteur relatif à « l’état d’esprit des Israéliens » en affirmant qu’ « avec des personnalités comme Rabinovich, nous pouvons aboutir à une solution ». « Je suis d’accord sur 80 pour cent des idées avancées par M. Rabinovich, a souligné l’ambassadeur palestinien, mais avec le gouvernement fasciste de droite qui est en place en Israël, il n’y a pas d’espoir. Nous nous tournons vers les instances internationales. L’Union européenne devrait jouer un rôle-clé au Proche-Orient et nous ne voulons pas que les États-Unis prennent les négociations de paix en otage. Les propositions de John Kerry ne sont pas à la hauteur des aspirations du peuple palestinien. Israël a délégitimé le courant modéré et pragmatique représenté par Mahmoud Abbas, ce qui a renforcé les extrémistes, à l’instar de Daech et du Front al-Nosra. »

Pour des négociations secrètes
La qualificatif de « fasciste » attribué par M. Hassassian au gouvernement israélien actuel a été rejeté par M. Rabinovich. « Je ne porte pas particulièrement le gouvernement actuel dans mon cœur, a-t-il souligné sur un ton serein, mais je refuse qu’on le qualifie de fasciste. Par ailleurs, l’émergence du Hamas n’est pas dû à l’échec du processus de paix. Cette organisation est la branche armée des Frères musulmans palestiniens. Si nous désirons progresser sur la voie de la paix, dites-nous ce que vous reprochez aux propositions de Kerry. »

L’ambassadeur palestinien s’est alors empressé de souligner que les propositions de Kerry sont « caduques ». « Si vous rejetez le terme de fasciste, je dirais alors que le gouvernement israélien est extrémiste et colonialiste, a ajouté M. Hassassian. Quant au Hamas, ce n’est pas une organisation terroriste, mais ses partisans ont été poussés au désespoir. »

Les deux intervenants se sont livrés à ce stade du débat à une courte digression en évoquant brièvement la guerre syrienne, en réponse à une question du modérateur. « Ce qui m’inquiète, c’est l’Iran et le Hezbollah, beaucoup plus que l’opposition syrienne, a souligné M. Rabinovich. À cet égard, la position du gouvernement israélien de se tenir à l’écart de cette crise est à mon sens une position sage. »

Quant à l’ambassadeur palestinien, il s’est livré à une autocritique en faisant allusion de manière implicite au cas du Liban, entre autres, sans le nommer. « Nous avons payé un prix énorme du fait de notre implication dans les problèmes internes arabes, a-t-il relevé. Nous avons par conséquent adopté une attitude de distanciation concernant la Syrie, mais nous sommes malgré tout pour les aspirations du peuple syrien. »
Revenant ensuite au cœur du problème, à savoir la nécessité de relancer le processus de paix palestino-israélien, les deux intervenants ont insisté sur l’importance des négociations secrètes, relevant, comme l’a fait M. Hassassian, que c’est ce qui a permis le succès des pourparlers d’Oslo. Le député israélien (de gauche) Meir Sheetrit a pris alors la parole pour souligner que « l’erreur du processus d’Oslo a été de fragmenter la dynamique de paix, d’avoir négocié étape par étape au lieu de discuter de tout le processus dans sa globalité en même temps ». « Cela a permis à chaque partie de manœuvrer sur chaque point alors qu’il aurait fallu négocier tout en même temps, ce qui a brisé l’élan de paix », a affirmé le député israélien qui a souligné en outre qu’il est anormal que les deux dirigeants israélien et palestinien Benjamin Netanyahu et Mahmoud Abbas ne se rencontrent pas pour relancer la dynamique de paix. Et d’ajouter que « les deux parties doivent s’asseoir ensemble sans les États-Unis, de préférence en présence de la Ligue arabe qui a proposé un plan de paix » lors du sommet tenu à Beyrouth.

Durant l’intervention de M. Sheetrit, l’ambassadeur palestinien acquiesçait, d’un mouvement de la tête, à tous les propos du député israélien, soulignant que ces propos constituaient sa propre conclusion au débat. Ce qui a amené M. Rabinovich à relever que cette position de M. Hassassian apportait sur ce plan la preuve que « le déplacement jusqu’à Montreux valait la peine ».