À Taïwan, faire nation face à la Chine

ENTRETIEN – Les anticipations vont bon train quant aux futurs agissements de Pékin sur Taïwan. Interrogé par le Sénat étasunien, Ely Ratner, chargé des questions d’Asie-Pacifique au ministère de la Défense, affirme que Pékin avait bien « l’intention » d’attaquer l’île. Comment penser le nationalisme à Taïwan ?

Avec
  • Jean-Pierre Cabestan Directeur de recherche au CNRS rattaché à l‘Institut français de recherche sur l’Asie de l’est de l’INALCO

La Chine, a-t-elle l’intention d’attaquer l’île de Taïwan ? Pékin se réarme massivement et ne se cache pas son souhait de faire revenir Taïwan dans le giron chinois. La Chine pourrait être tentée de suivre l’exemple de la Russie et attaquer un voisin longtemps considéré comme illégitime. Mais dans le même temps, Taïwan connaît un regain de nationalisme. En décembre, les autorités ont annoncé un allongement du service militaire obligatoire sur l’île, de manière à rééquilibrer un rapport de force pour le moment nettement à l’avantage de la Chine.

Cette décision est appuyée par la population, qui considère majoritairement que le service militaire est jusqu’à présent trop court. Mais sur quoi se fonde le nationalisme taïwanais ? Et quels sont les ressorts de l’identité nationale de l’île ?

À Taïwan, un nationalisme ambigu et nuancé

Le nationalisme taïwanais est civique. Un sentiment qui s’identifie avant tout à Taïwan comme un bastion insulaire, sans pour autant couper les ponts avec la nation chinoise. Ce nationalisme s’inscrit surtout en opposition à la République populaire de Chine, mais pas à la Chine, et encore moins contre la république de Chine, antérieure à la révolution de 1949. Nuancé, le nationalisme taïwanais recouvre différentes tendances plus ou moins indépendantistes. On retrouve les partisans du Kuomintang qui restent attachés à une certaine idée de la Chine, à sa culture et son Histoire. À l’inverse, les soutiens du parti au pouvoir à Taipei, le Parti démocrate Progressiste, prônent une indépendance nette. Pour autant ces deux tendances convergent autour de la volonté d’autonomie et du rejet de l’autoritarisme de la République populaire de Chine.

« Parmi les jeunes, la pratique du Taïwanais recule et c’est le mandarin qui l’emporte. Cela montre encore plus cette ambiguïté, plus civique que politique et culturelle. Car culturellement, la plupart des Taïwanais se rattachent à la civilisation et à la culture chinoise. Mais le Parti communiste n’a pas le monopole de la culture chinoise. »

Une ambition : détacher l’île de la nation chinoise ?

Le parti au pouvoir développe un récit qui détache Taïwan de la nation chinoise. Toutefois, l’histoire est complexe et la figure de Tchang Kai Chek est peu fertile pour faire émerger des récits nationalistes derrière lesquels s’unir. La figure de ce dernier est associée à la loi martiale, à l’oppression et à la sinisation de l’île lorsqu’il s’y réfugie en compagnie de ses hommes en 1949. Face à cette image autoritaire, PDP puise dans les racines ethniques de l’île et célèbre le caractère austronésien de ses descendants. Une donnée paradoxale dans la mesure où seulement 2 % de la population taïwanaise peut être considérée comme descendante de cette ethnique du Pacifique polynésien, contre 98 % de descendants Han, de Chine.

Le facteur essentiel de cette autonomisation reste la démocratisation, qui représente l’instrument de la singularisation de l’identité propre de Taiwan. Grâce à l’éducation et les réformes de son armée, Taïwan entend élargir le spectre de sa capacité de dissuasion conventionnelle. Aujourd’hui, l’identité taïwanaise domine et continue de s’affirmer…

Retrouvez l’entretien avec Jean-Pierre Cabestan sur France Culture (Radio France).