Antoine Flahault : « On pourrait rêver d’une sorte de week-end vaccinal en juin »

03.02.2021 – Le 1 hebdo

Entretien avec l’épidémiologiste Antoine Flahault

Qu’a-t-on appris des épidémies passées ?

Toutes les épidémies de maladies émergentes nous en apprennent beaucoup. L’épidémie de VIH a montré que trouver des traitements qui modifient radicalement le pronostic vital peut changer la donne. Changer le pronostic de la maladie, notamment chez les personnes âgées et à risque, pourrait avoir un effet similaire pour le Covid. L’épidémie de chikungunya nous a éclairés sur le rôle des mutations dans l’évolution de l’épidémie. On a aussi appris à mettre en place en France des vaccinodromes avec l’épidémie de H1N1 – un modèle qui réapparaît aujourd’hui, et que les Allemands appliquent depuis décembre et nous depuis janvier. En réalité, ceux qui ont le mieux tiré les leçons des épidémies passées sont les Asiatiques, les peuples proches de la Chine continentale : toutes les connaissances accumulées sur le SRAS pour mieux juguler le SARS-CoV-2, qui ressemble à s’y méprendre à son cousin éloigné le SARS-CoV, virus du SRAS.

Sait-on combien de temps encore pourrait durer l’épidémie ?

Nos outils prédictifs ont hélas très peu progressé. On sait davantage comment se comporte une pandémie de grippe, car la grippe saisonnière nous sert de guide dans nos modèles mathématiques. Mais une pandémie de coronavirus, ça ne s’est jamais vu dans l’histoire contemporaine. Il serait hasardeux de vouloir prédire quel scénario se réalisera. Même si nous avons espoir que la vaccination accélère sa disparition, nous ne sommes pas à l’abri d’un variant qui échapperait à l’immunité et nous ferait retomber dans une nouvelle forme de pandémie.

Ces variants nous exposent-ils à une pandémie sans fin ?

De nouveaux variants seront forcément découverts, car ces virus ARN sont connus pour beaucoup muter. On a plutôt de la chance, puisque ce coronavirus mute moins que le virus de la grippe. Le virus ARN du coronavirus a un grand génome. C’est le plus grand de tous les virus ARN connus, avec ses 30 000 bases. Ses mutations ne sont pas nécessairement alarmantes. Les inquiétude que suscite un nouveau variant concernent sa transmissibilité accrue, sa virulence – la sévérité des formes cliniques qu’il génère –, le fait qu’il puisse échapper au diagnostic PCR ou antigénique ou, enfin, à la protection conférée par les vaccins. S’agissant de sa transmissibilité, le consensus est que les variants actuels sont plus transmissibles. Il faut comprendre que le coronavirus a muté plusieurs milliers de fois depuis son apparition l’an dernier à Wuhan. Les variants britannique B 117, sud-africain ou brésilien comptent 15 à 25 mutations chacun, touchant des sites parfois stratégiques du virus, comme celui qui code pour la protéine Spike, celle-là même qui permet au virus de s’accrocher à nos cellules afin d’y pénétrer. C’est en quelque sorte le trousseau de clés dont se sert le virus pour infecter l’homme. Si vous changez des constituants de la protéine Spike, soit c’est bénéfique – par exemple, si la clé ne permet plus d’entrer aisément dans la cellule –, soit cela aggrave la situation – si la clé devient un passe-partout et permet au virus d’entrer encore plus facilement dans la cellule. Aujourd’hui, des arguments laissent à penser que ces trois mutants augmenteraient la transmissibilité du virus, peut-être aussi sa virulence, et on ne sait pas encore ce qu’il en est de la sensibilité au vaccin.

Que doit-on en conclure ?

Le fait que ces variants soient plus transmissibles n’est pas une bonne nouvelle. Y compris pour la mortalité. Dans la situation actuelle, il vaudrait mieux un virus 50 % plus mortel que 50 % plus transmissible. C’est contre-intuitif, mais un virus 50 % plus transmissible tuera proportionnellement davantage, car le pourcentage de morts ne sera pas augmenté, mais le pourcentage de cas le sera largement. Ce n’est donc une bonne nouvelle ni du point de vue du taux de saturation des hôpitaux ni de celui du risque de mortalité.

Où en sommes-nous de l’épidémie ? Ne fait-elle que commencer ou en voit-on le bout ?

Nous publions chaque jour une carte réactualisée du monde, qui nous permet de dire comment la situation évolue dans les 209 pays et territoires de la planète qui enregistrent des cas et des décès par Covid. En Europe, on a connu deux vagues, en mars puis en octobre. Cette deuxième vague n’est pas terminée. Si on regarde l’hémisphère sud, l’Australie, l’Afrique du Sud ou l’Argentine, on voit qu’une vague hivernale (entre mai et septembre chez eux) a déferlé de façon brutale et s’est prolongée jusqu’à la fin de l’hiver. Fin janvier, dans l’hémisphère nord, la deuxième vague n’était pas terminée. La pression du virus pendant toute la saison froide risque de rester importante pour les Européens. Ce qui n’est pas clair, c’est de savoir s’il y aura un rebond

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