Aoun à la WPC : Le Liban est porteur d’un espoir, celui de partager un idéal humaniste

27/10/2018

Michel Touma, L’Orient Le Jour

La première journée de la 11e session de la Conférence sur la gouvernance mondiale (World Policy Conference, WPC), qui se tient depuis hier à Rabat à l’initiative de l’Institut français des relations internationales (IFRI), a abordé des thèmes à caractère sociétal, avant que les dossiers géopolitiques soient débattus. Les premiers panels de l’après-midi ont porté sur deux problématiques d’une brûlante actualité : « Les migrations et l’avenir du multiculturalisme » et « Comment préparer les enfants et les jeunes à l’emploi au XXIe siècle ».

 

Au cours de la séance inaugurale qui a eu lieu hier matin, un message du président Michel Aoun avait été lu aux conférenciers, soulignant entre autres que « le Liban est porteur d’un espoir, celui de faire vivre et de partager un idéal humaniste qui unit les peuples ».

 

La communication de ce message avait été marquée par un déplorable couac libanais. Invité d’honneur de cette rencontre prestigieuse, qui poursuivra ses travaux jusqu’à demain dimanche, le président Aoun aurait dû être représenté par le ministre sortant de la Justice Salim Jreissati, qui devait donner lecture du message du chef de l’État. M. Jreissati a toutefois préféré ne pas faire le déplacement afin de suivre de près les tractations sur la formation du gouvernement. Les services de la présidence ont alors décidé que le message du général Aoun serait lu par l’ambassadeur du Liban au Maroc, Ziad Atallah. Sauf que celui-ci est anglophone et ne pouvait donc pas lire le texte, en français, qui a été finalement présenté aux conférenciers par… un employé marocain de l’ambassade! Le conseiller du président de l’IFRI Thierry de Montbrial, Riad Tabet, avait pourtant déployé des efforts soutenus afin que le Liban soit à l’honneur au cours de cette conférence…

 

Il reste que l’idéal humaniste évoqué par le chef de l’État dans son message était présent en filigrane dans les interventions lors des panels de l’après-midi.

 

L’émigration en Europe

D’entrée de jeu, l’ancien ministre français délégué au Budget Jean-François Copé a abordé sans complaisance le problème de l’immigration en Europe, relevant que dans le contexte présent, les clivages politiques n’opposent plus tant la gauche à la droite, mais plutôt le populisme aux partis traditionnels. M. Copé a déploré, dans ce cadre, l’incapacité des pays démocratiques en Europe à intégrer les migrants qui ont une religion, des cultures et des traditions différentes. Le défi à relever aujourd’hui est l’intégration de ces nouveaux venus, a affirmé l’ancien ministre français qui s’est prononcé pour un contrôle plus strict des frontières en Europe.

Copé a établi une distinction entre les migrants qui fuient une situation de crise dans leur pays et ceux « qui débarquent en Europe pour d’autres raisons et avec lesquels nous devons faire preuve de fermeté ». « Si les responsables politiques évoquent souvent le problème de l’immigration, c’est parce que les gens nous en parlent », a déclaré M. Copé, qui a souligné la nécessité de « réussir le parcours de l’intégration ». L’ancien ministre français a rappelé à cet égard que jusqu’aux années 60, il était question en France d’« assimilation », en ce sens que pour les immigrés, les prénoms devaient être français et la maîtrise de la langue française nécessaire. « Après les années 60, nous avons abandonné l’assimilation au profit du multiculturalisme », a ajouté M. Copé.

 

Le ministre hongrois de la Justice, Laszlo Trocsanyi, a souligné quant à lui la nécessité d’un contrôle plus strict des frontières externes de l’Europe.

 

Le cas du Liban

Intervenant ensuite au cours des débats, Riad Tabet a évoqué le cas du Liban comme modèle de multiculturalisme avec ses 18 communautés formant le tissu social libanais. Relevant que les Libanais ont réussi à mettre sur pied « un système consensuel qui fonctionne », M. Tabet a souligné que dans la conjoncture présente, le Liban est le pays le plus stable de la région. M. Tabet a indiqué, sur ce plan, que les Libanais planchent actuellement sur l’élaboration d’une charte universelle des valeurs communes à toutes les religions, précisant qu’un dossier a été présenté à ce propos aux Nations unies.

 

Les enfants et l’emploi

Au chapitre des conditions de l’accès des enfants et des jeunes au marché de l’emploi, Brian Gallagher, président-directeur général de l’ONG américaine United Way of America/United Way Worldwide, a évoqué le défi que représente l’intelligence artificielle au niveau de l’emploi, soulignant que « plus on investit sur les jeunes, plus nous obtenons un retour important ». De son côté, Juliette Tuakli, PDG et médecin-chef de l’ONG CHILDAccra au Ghana, a déploré que dans certains pays africains, de gros investissements sont effectués pour développer les infrastructures sans qu’un effort semblable soit entrepris au niveau de l’éducation des jeunes en vue d’assurer les compétences requises pour garantir le bon fonctionnement de ces infrastructures.

 

La séance inaugurale

Pour en revenir à la séance inaugurale, le message adressé par le président Aoun aux conférenciers souligne que le Maroc, « terre de rencontres, d’histoire, de beauté et de traditions, poursuit sa marche vers la modernité, sous la conduite de Sa Majesté (le roi Mohammad VI) qui régule, commande et arbitre pour que le vivre-ensemble perdure dans le présent et l’avenir de tout un peuple ». « Cette conviction du vivre-ensemble entre cultures, civilisations et religions différentes continue de nous inspirer, nous Libanais, souligne le message du président Aoun. Elle a fait du Liban plus qu’un pays, un message pour l’Orient comme pour l’Occident, comme l’a décrit Sa Sainteté le pape Jean-Paul II. » Après avoir rappelé qu’il avait lancé l’an dernier à la tribune des Nations unies une initiative pour faire du Liban « un centre mondial de dialogue interreligieux, interculturel et interracial », le chef de l’État s’est demandé comment le monde pourrait « retrouver un ordre mondial qui permettrait à nos enfants de vivre dans un monde pacifique, prospère, plus juste et mieux gouverné ». « Le Liban, conclut le message, ne manquera pas de prendre part à ces débats, car il demeure porteur d’un espoir : celui de faire vivre et partager un idéal humaniste qui unit les peuples. »

 

Une métamorphose sans précédent historique

Au début de la séance inaugurale, le président de l’IFRI, Thierry de Montbrial, a prononcé une allocution dans laquelle il a notamment souligné que « plus on avance dans le XXIe siècle, plus ses contradictions éclatent ». « Bien des promesses de la révolution technologique qui nous submerge entrent dans le champ de la réalité, a relevé M. de Montbrial. On parle de quatrième révolution industrielle, mais ce dont il s’agit est une métamorphose sans précédent historique et d’une tout autre ampleur que celles du passé. » Le président de l’IFRI a, d’autre part, souligné que d’aucuns estimaient que « la technologie allait abolir les frontières et favoriser l’avènement rapide d’une mondialisation heureuse ». « Au lieu de quoi, a-t-il ajouté, on assiste à une exacerbation des réalités nationales qui nous renvoie irrésistiblement aux deux siècles passés. » M. de Montbrial a d’autre part affirmé qu’à son avis, « le phénomène géopolitique des trente prochaines années sera la rivalité entre la Chine et les États-Unis ». Et de souligner à ce propos que « la direction actuelle de l’empire du Milieu n’hésite pas, contrairement à celles qui l’ont précédée, à affirmer haut et fort des objectifs de puissance ».