Comment Total va se transformer

5.11.2017
by Rémy Dessarts, envoyé spécial à Marrakech (Maroc)

EXCLUSIF. Patrick Pouyanné, PDG du groupe Total, expose au JDD sa stratégie dans les zones de crise et de conflits.

Il parcourt le monde dans le jet de son entreprise. Vendredi soir, ¬Patrick Pouyanné, le patron de Total, est venu passer la soirée à Marrakech avant de s’envoler samedi matin vers une autre destination. Il était l’invité vedette du dîner débat organisé dans le cadre de la World Policy Conference créée par l’économiste Thierry de Montbrial, qui fête son 10e anniversaire. Nous l’avons rencontré après son intervention. « Total est une société qui travaille dans beaucoup de parties du monde, la Russie, le Moyen-Orient ou l’Afrique, où la géopolitique est importante », explique Patrick ¬Pouyanné. « Nos interlocuteurs sont des Etats. C’est intéressant pour nous de participer à ces débats. On a toujours besoin d’être à l’écoute de ce qui se passe dans le monde », ajoute-t-il. Un monde secoué par les crises et de plus en plus incertain. Comment piloter une entreprise mondiale dans ces conditions?

Connaissance du terrain et connections locales
Le PDG de Total pense d’abord à ses salariés qui sont en première ligne. « La priorité pour Total, c’est la vie des gens, assure-t-il. Quand vous intervenez dans des pays comme le Yémen, le Congo ou le Nigeria, votre premier souci, c’est la sûreté de vos équipes. Cela suppose une très grande rigueur. Parmi les décisions qui remontent au PDG du groupe, il y a celle d’évacuer un pays, et souvent contre l’avis des gens qui y sont, parce qu’ils aiment le pays et qu’ils ont tendance à dire que l’on peut continuer… »

J’adorerais qu’il y ait du pétrole dans mon jardin, mais il n’y en pas en France
Sur le plan économique, le groupe français se protège en diversifiant ses risques au maximum. « Ce n’est pas nous qui choisissons où il y a du pétrole ou du gaz. J’adorerais qu’il y ait du pétrole dans mon jardin, mais il n’y en pas en France. Et, de toute façon, on ne nous autoriserait pas à le forer. Nous gérons 150 milliards d’actifs dans le monde, rappelle-t-il, mais aucun des pays n’a une taille telle qu’il pourrait remettre en cause la survie du groupe. Evidemment, il faut être au contact de tous les dirigeants de ces Etats pour comprendre ce qui se passe et essayer de protéger nos intérêts. Prenez l’exemple du Yémen, en guerre civile depuis deux ans : nous sommes opérateurs de la première usine de gaz liquéfié du pays. Elle représente 25 à 30% du budget national. Nous avons réussi à la préserver en expliquant aux belligérants que leur intérêt n’était pas de détruire cette usine, car le jour où le pays repartira, cette usine sera utile. »

Le savoir-faire du groupe ¬repose donc sur la connaissance du terrain et les relations tissées de longue date avec toutes les forces politiques locales. « Le fait que l’on soit implanté dans les pays avec des équipes importantes, le fait que la plupart des dirigeants ont vécu à l’étranger, comme moi au Qatar ou en Angola par exemple, nous donne des connections, insiste-t-il. Cela fait partie de l’ADN de l’entreprise. Nous sommes partout les interlocuteurs des plus hautes autorités dans ces pays. Cela nous permet d’anticiper les difficultés. »