Fabius à la conférence de Montreux : Les gouvernements ne sont pas les seuls concernés par la COP21

26.11.15

8E ÉDITION DE LA WPC

Les travaux de la WPC qui se sont tenus à Montreux, en Suisse, ont porté, parallèlement aux grands dossiers politiques et économiques, sur le problème du changement climatique, à la veille de la COP21. Aussi bien Laurent Fabius que Jean-David Levitte se sont montrés prudemment optimistes au sujet du succès du sommet de Paris qui s’ouvrira à la fin du mois.

Michel TOUMA (à Montreux) | OLJ

La géopolitique et les grands axes de la conjoncture internationale et moyen-orientale ont, certes, occupé une place prépondérante lors des travaux de la 8e édition sur la gouvernance mondiale organisée à Montreux par la World Policy Conference. À quelques jours de la tenue à Paris, fin novembre, du sommet mondial sur le changement climatique, ce volet de l’actualité – crucial pour le devenir de l’humanité – ne pouvait, à l’évidence, être relégué aux oubliettes par la WPC.

La session plénière qui a été consacrée à ce thème a été ouverte par une intervention en vidéoconférence du ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, qui était en déplacement au Brésil. Relevant que la COP21 allait s’ouvrir dans un contexte difficile, en allusion à la vague d’attentats terroristes, le chef du Quai d’Orsay a souligné que le maintien de ce sommet s’imposait du fait qu’il représente une rencontre « vitale pour le devenir de la planète ». « Les chefs d’État et représentants de 195 nations seront rassemblés au cours de ce sommet qui sera l’aboutissement de nombreux mois de discussions, a notamment déclaré M. Fabius. D’intenses efforts restent encore à déployer. Nous avons devant nous un projet d’accord. De nombreux points sont encore mis entre parenthèses, mais il y a une volonté d’aboutir. »

Le chef du Quai d’Orsay a rappelé sur ce plan les principaux objectifs qui ont été définis dans ce domaine : la limitation du réchauffement climatique à 2 ou 1,5 degrés ; et l’octroi par les pays riches d’une aide financière substantielle aux pays pauvres pour que ces derniers puissent contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique. « Nous devons montrer que les pays riches sont déterminés à respecter leur engagement visant à verser à partir de 2020 des transferts de 100 milliards de dollars par an aux pays pauvres pour lutter contre le réchauffement et nous devons garantir que ces efforts seront maintenus. »
Mettant l’accent sur l’importance de passer d’un « développement carboné à un développement décarboné », M. Fabius a affirmé que « le succès à Paris est à notre portée ». « Mais les gouvernements ne sont pas les seuls concernés, a-t-il précisé. Les entreprises privées, les collectivités, les associations doivent être, elles aussi, impliquées. Nous comptons sur vous pour la réussite de ce compromis. La COP21 devra être vraiment historique car il y va de l’avenir de la planète. »

Abondant dans le même sens que le chef du Quai d’Orsay, le directeur de l’Institut japonais de l’économie énergétique, Yukari Niwa Yamashita, a mis l’accent lui aussi sur l’importance du rôle des entreprises privées, notamment pour ce qui a trait aux technologies innovantes qui devraient être mises en place pour aboutir à l’objectif fixé pour la lutte contre le réchauffement climatique.

Le rôle et la position du secteur privé dans ce domaine a d’ailleurs été exposé par le coprésident de LafargeHolcim, Bruno Lafont, qui a souligné que la plupart des entreprises européennes privées souhaitent un accord qui aille au-delà de la COP21. Déplorant le fait que la question du changement climatique ait été reléguée au deuxième plan en raison de la crise économique mondiale, M. Lafont a souligné qu’il est apparu au cours des 20 dernières années que ce problème revêt un caractère vital et nécessite des efforts de longue haleine. « Pour les entreprises privées, il est important de résoudre cette question, d’autant que limiter le réchauffement à 2 degrés aura des retombées technologiques et donc structurelles au niveau des entreprises. Sans ces dernières, il ne saurait y avoir de changement dans les émissions de gaz à effet de serre car ce sont elles qui apportent les innovations adéquates dans ce domaine. »
M. Lafont a affirmé dans ce cadre que certaines entreprises ont commencé il y a sept ans à réduire les émissions nocives. « Nous avons mobilisé le secteur du ciment en adoptant une approche sectorielle », a précisé le coprésident de Lafarge-Holcim, qui a relevé que « les villes qui existeront en 2050 n’existent pas aujourd’hui ». L’importance de cette donnée réside dans le fait que 60 pour cent des émissions de gaz carbonique sont dus aux transports.

Du nucléaire au réchauffement
C’est à un survol historique succinct du problème du réchauffement climatique que s’est livré pour sa part M. Jean-David Levitte, ancien conseiller diplomatique du président Nicolas Sarkozy et membre du conseil consultatif international de l’Atlantic Council of the United States. « Depuis la Seconde Guerre mondiale, l’humanité a découvert que nous avons la capacité de détruire la planète au moyen des armes nucléaires ou par le biais du réchauffement climatique, a notamment déclaré, en guise d’introduction à son intervention, M. Levitte. En ce qui concerne l’arme nucléaire, des accords de non-prolifération ont été négociés en 1968, puis les États-Unis et l’Union soviétique ont conclu un accord pour réduire les stocks d’armes nucléaires. Donc le processus de réduction de l’arsenal nucléaire est bien maîtrisé. »

M. Levitte a précisé dans ce contexte qu’en ce qui concerne le réchauffement climatique, le problème est différent, d’autant que la question ne se posait pas lorsque les institutions internationales ont été créées. C’est lorsqu’un groupe de scientifiques a été formé en 1988 pour plancher sur la question que les gouvernements et les experts ont pris conscience de la gravité du problème. « Le sommet de Rio en 1992 a constitué le point de départ de la grande aventure » de lutte contre le réchauffement climatique, a indiqué M. Levitte qui a précisé qu’au début de ce processus, nombre d’experts soulignaient que ce sont les grandes puissances industrielles qui devaient financer l’essentiel des efforts déployés dans ce domaine du fait qu’elles étaient, elles, responsables du réchauffement. Les États-Unis ainsi que la Chine – qui était en pleine croissance économique – ont toutefois rejeté cette approche.
Et M. Levitte d’indiquer que c’est lors du sommet de Copenhague, en 2009, que les objectifs de la lutte contre le réchauffement ont été fixés, à savoir : limiter à 2 degrés au maximum le réchauffement climatique, et octroyer aux pays pauvres, à partir de 2020, une aide de 100 milliards de dollars par an (assurés par les pays riches) afin de leur permettre de lutter contre le réchauffement.

M. Levitte s’est montré prudemment optimiste quant aux chances de succès de la COP21 du fait que les États-Unis et la Chine ont affirmé qu’ils souhaitaient faire un effort dans ce domaine. Dans un souci de demeurer réaliste et lucide, M. Levitte a tenu à souligner que le sommet de Paris « ne sera pas la fin de l’histoire ». « Il faudra convenir d’un rendez-vous dans cinq ans, a-t-il déclaré. Beaucoup de chemin reste à parcourir. Avec des représentants de 195 pays, c’est très difficile de négocier, d’où l’importance de la création de structures semblables au G20 qui regroupe en définitive les principaux pollueurs. La COP21 sera un succès limité, mais ce sera un bon pas en avant », a conclu en toute transparence M. Levitte.

Pour clore cette session, la parole a été donnée à un homme de religion pour refléter précisément le point de vue de l’Église au sujet de ce dossier. Mgr Marcelo Sanchez Sorondo, chancelier des Académies pontificales des sciences et des sciences sociales, a ainsi relevé, en substance, que le règlement du problème du réchauffement climatique n’est pas uniquement d’ordre scientifique, mais il revêt aussi un aspect moral et d’éthique du fait qu’il met en évidence dans ce contexte l’importance de l’individu et de la dignité humaine, dans toute l’acception du terme.