Fabius : En termes de changement climatique, la situation est effroyablement inquiétante

16.10.2019

Michel Touma, L’Orient Le Jour

La 12e édition de la conférence sur la gouvernance mondiale (World Policy Conference, WPC) a achevé ses travaux lundi soir à Marrakech. Dans le cadre des débats, Laurent Fabius, principal artisan de l’accord de Paris conclu lors de la COP 21, a présenté un constat particulièrement pessimiste du problème du changement climatique.

 

De gauche à droite : Patrick Pouyanné, PDG de Total, Laurent Fabius et Thierry de Montbrial.

C’est à un constat particulièrement pessimiste concernant le changement climatique que s’est livré Laurent Fabius dans le cadre de la conférence sur la gouvernance mondiale (World Policy Conference, WPC) qui s’est tenue de samedi à lundi derniers à Marrakech, au Maroc, à l’initiative de l’Institut français des relations internationales (IFRI), en présence de plus de 300 responsables officiels, universitaires, économistes, experts et journalistes de différents horizons. Cette 12e édition de la WPC a achevé ses travaux lundi soir (voir L’Orient-Le Jour des lundi 14 et mardi 15 octobre).

Les effets multiples du réchauffement de la planète et le bilan de l’accord de Paris conclu lors de la COP 21 qui s’était tenue sur les bords de la Seine en décembre 2015 ont été débattus par l’ancien Premier ministre et ministre français des Affaires étrangères (qui avait présidé la COP 21) et le PDG de Total, Patrick Pouyanné, le panel étant modéré par Thiery de Montbrial, fondateur et président de la WPC.

  1. Fabius avait joué un rôle central dans la négociation de l’accord de Paris et, depuis, il suit de manière informelle l’évolution de la mise en application du document qui a subi un coup dur avec la décision des États-Unis de se retirer de l’accord. La COP 21 avait fixé pour objectif de limiter l’augmentation de la température à 2 degrés et de s’orienter vers une hausse qui se limiterait à 1,5 degré par rapport à l’ère préindustrielle.

C’est précisément sur ce point que Laurent Fabius a exprimé sa vive inquiétude. Et pour cause : non seulement les objectifs précis fixés à Paris n’ont pas été respectés et atteints, mais « nous sommes très loin de ce qui avait été convenu » à la COP 21, précise-t-il. Pour bien illustrer son inquiétude, M. Fabius relève que nous sommes sur une trajectoire qui nous mène vers les 4 degrés d’augmentation de la température de la Terre et nous nous dirigeons même vers les 6 degrés. « La situation est effroyablement inquiétante », a-t-il lancé, appelant à une mobilisation de tous les secteurs et de tous les acteurs de la vie économique afin de baisser les émissions de gaz carbonique. « Les gouvernements, les régions, les entreprises et les citoyens doivent, tous, se mobiliser et assumer leurs responsabilités sur ce plan », a ajouté M. Fabius.

« La Terre continuera, certes, d’exister, mais si rien n’est fait sur ce plan, elle sera sérieusement abîmée », a souligné l’ancien Premier ministre qui a mis l’accent sur l’importance d’une approche globale et multilatérale de la solution. « Il faut utiliser tous les outils technologiques et financiers possibles », a-t-il ajouté, relevant qu’il faut agir aussi dans tous les domaines, notamment l’agriculture, l’industrie et les transports. « Tout est interconnecté, et par conséquent une mobilisation générale est nécessaire pour faire baisser les émissions de gaz carbonique », a-t-il indiqué avant de souligner la nécessité de « mettre un terme au financement des centrales à charbon », auxquelles plusieurs pays d’Asie ont recours en raison de leur coût peu élevé, alors qu’elles sont les plus polluantes. Et M. Fabius de conclure son exposé par une citation de Claude Levi-Strauss, empreinte d’un profond sentiment de pessimisme : « Le monde a commencé sans l’Homme, et il se poursuivra aussi sans l’Homme… »

Le PDG de Total

Prenant à son tour la parole, Patrick Pouyanné a présenté une vision réaliste et pragmatique du problème de la consommation des énergies fossiles qui augmentent les émissions de gaz carbonique et contribuent ainsi au réchauffement climatique. D’emblée, il relève que « chaque pays perçoit le problème des ressources énergétiques de manière égocentrique, alors qu’on ne cesse de répéter qu’un effort global est nécessaire ».

Déplorant l’absence de « politique commune de l’énergie », le PDG de Total souligne que « 80 pour cent de la consommation mondiale de pétrole sont utilisés par des entreprises relevant d’États ». « Si nous produisons du pétrole, c’est qu’il y a des clients », a-t-il relevé avant de rappeler que la source d’énergie la moins chère est le charbon, d’où le fait que les investissements dans les centrales fonctionnant au charbon augmentent dans nombre de pays.

Comme pour illustrer son réalisme, M. Pouyanné affirme qu’on « n’arrivera pas à un monde sans carbone ». Et le PDG de Total de souligner en conclusion de son exposé que « les citoyens veulent que l’énergie soit respectueuse de l’environnement, mais dans le même temps, ils veulent que l’énergie ne soit pas chère ».

Un tel paradoxe a également été relevé par le fondateur et directeur général du bureau (libanais) Études et consultations économiques (ECE), Samir Nasr, dans une déclaration à L’Orient-Le Jour, en marge d’un atelier de travail sur le thème du climat et de l’environnement. « Nul ne conteste la nécessité de diminuer les émissions de gaz à effet de serre et de développer les énergies propres et renouvelables, mais il y a un problème de coût qui se pose, souligne Samir Nasr. Nombre de pays ont recours au charbon comme source d’énergie car il est largement moins cher que d’autres sources d’énergie. Si nous demandons à ces pays d’abandonner le charbon au profit des énergies renouvelables qui sont plus chères, qui assumera la différence de prix ? » s’interroge Samir Nasr qui souligne qu’un effort global et multilatéral, incluant notamment les citoyens, devrait être envisagé afin de financer le coût supplémentaire engendré par le recours aux énergies renouvelables.

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