Hubert Védrine et Thomas Gomart dans « La France est-elle encore la bienvenue en Afrique ? »

Après le Mali et la Centrafrique, c’est désormais le Burkina Faso que les troupes Françaises vont quitter d’ici un mois. Attaques djihadistes, manifestations contre la France, coups d’État et rapprochements avec Moscou : la France est-elle encore la bienvenue en Afrique francophone ?

Avec
  • Sylvie Kauffmann Directrice éditoriale au journal Le Monde. Spécialiste notamment des questions internationales.
  • Bertrand Badie Politiste, spécialiste des relations internationales
  • Thomas Gomart Historien des relations internationales, directeur de l’Institut français des relations internationales (IFRI).
  • Hubert Védrine diplomate, ancien ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement Jospin et ancien secrétaire général de la présidence de la République sous François Mitterrand

Près d’un an après le début du retrait des troupes de l’opération Barkhane du Mali, et quelques mois après un départ de la Centrafrique, c’est désormais le Burkina Faso qui rejette la présence tricolore venue soutenir la lutte contre les groupes djihadistes qui sévissent au Sahel. D’ici un mois , les 400 militaires des forces spéciales françaises, engagées dans l’opération Sabre devront quitter le pays. Mais il ne faut pas oublier que 3.000 soldats français sont toujours présents au Sahel, répartis sur des bases au Niger, au Tchad et en Mauritanie.

Les troupes Françaises sommées de quitter le Burkina Faso

Vendredi 20 janvier, des centaines de personnes ont demandé le départ de l’ambassadeur de France au Burkina Faso Luc Hallade et la fermeture de la base de l’armée française à Kamboinsin, au nord de la capitale. Les manifestants, majoritairement vêtus de blanc, portaient des pancartes sur lesquelles on pouvait lire : « Armée française, dégage de chez nous »« France dégage » ou encore « Dehors les diplomates pyromanes ». Des posters géants des présidents malien, Assimi Goïta, et guinéen, Mamady Doumbouya, arrivés au pouvoir comme le capitaine Traoré grâce à des coups d’Etat, ainsi que celui du président russe, Vladimir Poutine, étaient également brandis par des manifestants ou soigneusement dressés sur un podium, au milieu des drapeaux burkinabés.

Au Burkina Faso, le gouvernement (la junte militaire arrivée au pouvoir à la suite d’un coup d’état le 30 septembre 2022, le deuxième en huit mois) a demandé, lundi 23 janvier, le retrait des troupes françaises du pays (400 soldats, la force Sabre) dans un délai d’un mois. Après avoir reçu des mains du gouvernement burkinabè la « dénonciation de l’accord de 2018 », concernant le statut et la présence des forces armées françaises au Burkina Faso, le ministère des Affaires étrangères a annoncé mercredi 25 janvier qu’il allait retirer ses troupes d’ici « un mois ».

Au Burkina Faso, les soldats étaient installés depuis un accord bilatéral signé en 2018.

Un scénario qui rappelle celui du Mali et de la Centrafrique il y a quelques mois…

En janvier 2013, la France déclenche l’opération Serval au Mali dont l’objectif est de stopper la progression des djihadistes. Cependant, le Mali connaît deux coups d’États, le 18 août 2020 et le 21 mai 2021, qui instaurent un sentiment de défiance grandissant envers la France. Fin décembre 2021, une quinzaine de pays occidentaux, dont la France, dénoncent un début de déploiement de la société paramilitaire russe Wagner au Mali. Cela conduit le président français Emmanuel Macron à annoncer le retrait des soldats français du Mali en février 2022. Le dernier soldat français quitte le Mali le 15 août 2022.

En décembre 2013, la France déploie plus de 1600 soldats français en Centrafrique dans le cadre de l’opération Sangaris. Celle-ci a pour but de faire cesser les violences intercommunautaires. En juin 2021, la France décide de suspendre sa coopération militaire avec la Centrafrique, jugée « complice » d’une campagne anti-française téléguidée par la Russie. A ce moment-là, la Russie confirme la présence de 1135 experts militaires russes en Centrafrique. Ces instructeurs sont des mercenaires du groupe Wagner. Le 15 décembre 2022, les derniers militaires français déployés en Centrafrique quittent le pays.

Le poids de la Russie et de Wagner en Afrique

Le groupe Wagner a été fondé en 2014.  Les autorités du Burkina Faso ont engagé un rapprochement avec la Russie. Le Premier ministre burkinabè a fait une visite discrète à Moscou en décembre 2022. Mi-janvier, il déclarait qu’un partenariat avec la Russie était « un choix de raison« . Ses membres sont actuellement présents dans plusieurs pays d’Afrique notamment en Centrafrique et au Mali, où ils sont régulièrement accusés d’exactions contre les populations civiles. Le couteau suisse Wagner est actif en Syrie, en Libye, au Soudan, en République centrafricaine, au Burkina Faso, au Mozambique et à Madagascar. En échange de

Les autorités du Burkina Faso ont engagé un rapprochement avec la Russie. Le Premier ministre burkinabè déclarait mi janvier qu’un partenariat avec la Russie était « un choix de raison » après une visite en Russie.

L’activité principale de Wagner reste la « sécurisation », qu’il s’agisse de protéger des dirigeants, de former des hommes aux manœuvres militaires, de gérer les douanes ou de préserver des sites. En échange, les gouvernements proposent souvent des concessions sur des exploitations de ressources naturelles. Et Wagner contrôle également les médias pour appuyer la propagande de Moscou.

Les relations entre la France et l’Afrique

Encore 2000 – 3000 militaires sont encore présents au Sahel. On en avait 5500 au plus haut des opérations. Aujourd’hui on parle plutôt d’un partenariat de combat où les armées africaines sont en avant et l’armée française en appui : formation et montée en puissance des armées africaines. Selon Sébastien Lecornu, les soldats Français doivent rester au Sahel car la menace terroriste affecte toujours d’autres pays voisins comme le Niger.

Pour l’année 2023, le président français, Emmanuel Macron, se rendra à plusieurs reprises en Afrique pour clarifier la position militaire de la France en Afrique et poursuivre la diversification des alliances en fonction des sujets.

Le chef de l’Etat français commencera par le Maroc. Paris se félicite du rôle positif que joue Rabat au Sahel et en Afrique subsaharienne. L’idée est de montrer au reste du Maghreb et du continent africain que la relation franco-africaine est bonne et d’abord avec l’Afrique du Nord. En mars, Emmanuel Macron se rendra à Libreville, au Gabon, pour coprésider le One forest summit avec son homologue gabonais, Ali Bongo Ondimba.

Ecouter l’émission sur le site de Radio France.