Jacques Moulin : 5G, IoT, big data… A l’heure digitale, le plus rapide gagne

Si la France veut avoir une chance se réindustrialiser et de se doter d’un système productif efficace, elle n’a d’autre choix que de mettre les bouchées doubles dans les nouvelles technologies. Par Jacques Moulin, directeur général du think tank IDATE DigiWorld.

Jacques Moulin

Jacques Moulin, le directeur général de l’IDATE.

Jacques Moulin, le directeur général de l’IDATE. (Crédits : DR)

Plus de 4,5 milliards d’individus ont été confinés : jamais dans l’histoire de l’humanité, une crise sanitaire n’avait eu un tel impact. La pandémie a agi comme révélateur des fragilités de nos économies et de nos sociétés. Mais les confinements à répétition ont constitué aussi un accélérateur de l’hyperdigitalisation de notre civilisation. A tous les sceptiques du « big data », de l’IOT, de la 5G, le maintien de l’activité économique, de l’enseignement, de la médecine, – et bien sûr la recherche pour le vaccin – mais aussi des loisirs et du lien social, en bref de notre survie, aura été la preuve irréfutable de l’utilité du digital.

Selon Churchill, « il ne faut jamais gaspiller une bonne crise », et nous vivons actuellement un momentum qui offre l’opportunité de bâtir de nouveaux modèles. Il n’y aura pas de retour en arrière. Si le futur sera résolument digital, tout ce qui est digital ne fait pas sens. Encore faut-il que les transformations soient régies par une logique de progrès, d’inclusion économique et sociétale. Il nous faut bien sûr penser Europe. Un projet industriel digital européen inclusif, durable et responsable est la condition sine qua non pour échapper au déterminisme de la bipolarisation de l’échiquier mondial. L’Europe se doit de construire une alternative, empreinte de ses valeurs et forte de ses capacités d’innovation, aux modèles chinois et américains.

Cette voie se co-construira avec les territoires. La centralisation à outrance, la fracture numérique ont démontré leur logique d’exclusion. Nous ne pouvons plus feindre d’ignorer la fragilité des populations qui, par géographie ou par éducation, sont exclues d’internet. L’inclusion repose sur une infrastructure robuste. Nous pouvons pousser un cocorico pour le plan « Très Haut Débit » : la France est dans les premiers pays au monde et le premier pays d’Europe, à fibrer son territoire. Il nous faut désormais accompagner une offre de solutions régionales enrichies.

Le numérique, gage d’une France souveraine

Puisque tout ce qui peut être digitalisé sera digitalisé, seuls résisteront les entreprises, Etats et territoires qui mettent en action leur feuille de route digitale. Cela suppose de penser long terme car les investissements ne peuvent s’insérer dans la dimension temporelle du mandat électif. L’élu post-covid sera nécessairement visionnaire. Clé de voute de la réindustrialisation 4.0, le numérique est le gage d’une France et d’une Europe souveraines et compétitives. Souveraineté ne signifie ni repli sur soi ni protectionnisme mais partenariats lucides et équilibrés pour ne pas perdre en rapidité de transformation.

La « 5G Factory » de Mercedes est éclairante : l’utilisation de la 5G couplée au big data, à la robotique entraîne un gain de productivité de 25% et, grâce à la maintenance prédictive, permet d’assembler avec plus de fiabilité, différents modèles de véhicules sur une même chaine. Dans le secteur de la santé, le numérique affirme un véritable saut « quantique » : la transmission à distance de radios avec la 5G permet de sauver des vies dans des services d’urgence. Le couple « numérique et santé » contribue aussi à lutter contre les déserts médicaux si nombreux en France.

Or, force est de constater qu’encore trop d’industriels français sont frileux face aux investissements nécessaires pour accompagner la révolution 5G et engager la transition 4.0. Or, à l’heure digitale, le plus rapide gagne. L’industrie allemande, convaincue sans tergiversation de l’avantage concurrentiel de la 5G, s’est mobilisée pour être admise à l’attribution des fréquences. La France doit accélérer sa mue : il en va de la crédibilité de ses objectifs déclarés de ré-industrialisation. Est-ce anecdotique si Tesla et Toyota avec leur véhicule green rafle la mise des flottes de taxis parisiens ?

Réformer le capital-risque

Certes, il nous faut aussi réformer le capital-risque français trop timoré : une startup bénéficie de 8,3 fois plus de capital aux Etats-Unis qu’en Europe. Pire encore : la France, terre de médaillés Field, est à la traîne pour l’enseignement des mathématiques. Investir dans l’éducation et la recherche est vitale pour rester dans la course. La majorité des métiers dans les 10 prochaines années n’existe pas encore. Il nous faut repenser les modes d’apprentissage car désormais une vie professionnelle sera composée de 10 parcours différents.

La pandémie a banalisé le recours au télétravail. L’aspiration à travailler autrement – ne parle-t’on pas de néo-ruralité ? – est une opportunité inédite pour les territoires qui veulent développer leur attractivité, accompagner la création d’écosystèmes créateurs d’emploi. Le rôle de l’élu, agrégateur de ces écosystèmes, est dès lors central. Le projet que nous prônons au sein de l’IDATE DigiWorld est inclusif, responsable et durable. Pour cela, il doit tout d’abord s’exercer dans un cadre régulé. Les Digital Market Act/Digital Service Act européens, en sont un premier pas.

Le numérique est aussi le levier pour bâtir une société plus « green » et responsable. Le « green by design » intégrant nativement les préoccupations environnementale et énergétique est un impératif. Ainsi, le digital est-il la clé pour opérer notre « saut de grenouille » et « être absolument moderne ».

Il est temps que la France accompagne sa mutation en accélérant la modernisation de son système productif, en se dotant des « Humanités du numérique » : former chaque citoyen à la compréhension des enjeux du numérique, à l’utilité de ses actes digitaux au quotidien et investir dans la préparation aux emplois de demain, tout en favorisant la R&D au travers de projets européens. Et bien courons maintenant !

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