La cyberguerre, au cœur de la polémique Trump-Macron

En atterrissant sur le sol français le vendredi 9 novembre 2018, Donald Trump a émis un tweet peu amène pour son hôte : « Le président français Macron vient de suggérer que l’Europe développe sa propre capacité militaire, pour se protéger des Etats-Unis, de la Chine et de la Russie. Quelle insulte ! » Il se référait à une intervention d’Emmanuel Macron sur Europe 1, incitant l’Europe à se protéger de « la Russie, de la Chine et même des Etats-Unis ». Bien sûr, le président français n’a jamais redouté une quelconque agression militaire des Etats-Unis contre la France, les deux nations étant les plus vieilles alliées du monde. En fait, la citation incriminée faisait suite à une mention par Macron des menaces cyber pesant sur l’Europe.

De fait, le système informatique de l’Elysée a été piraté par la NSA (National Security Agency, institution américaine d’écoutes et d’espionnage informatique planétaires, dotée d’un budget annuel de 12 milliards de dollars). C’était en avril 2012, entre les deux tours de la présidentielle française. De même, en octobre 2011, une conversation téléphonique de la Chancelière allemande avec son chef de cabinet est interceptée et transcrite par la NSA, comme le révélera en 2015 le transfuge Edward Snowden.

Le malentendu franco-américain a été clarifié entre les deux présidents le 10 novembre. Macron a rejoint son homologue américain sur la nécessité d’une augmentation de l’effort européen de défense. Mais le président français a également insisté sur l’urgence d’une autonomie stratégique européenne. Cela concerne en particulier le nouveau et essentiel domaine de la cyberdéfense.

Dans le champ de bataille nouveau qu’est la cyberguerre, Emmanuel Macron agit de manière similaire à Charles de Gaulle sur le nucléaire. Il privilégie le développement des capacités du Commandement de Cyberdéfense (qu’on appelle « COMCYBER » à l’Etat-major des armées). Ce commandement est chargé à la fois de protéger contre tout hacking l’ensemble des systèmes informatiques de la défense française, et de mener le cas échéant des actions cyber-offensives contre tout agresseur, étatique ou non.

En même temps, le président français a présenté, le lundi 12 novembre, au « forum de gouvernance de l’Internet » à l’UNESCO, l’« Appel de Paris pour la confiance et la sécurité dans le cyberespace » . Cette déclaration a reçu l’appui de grandes entreprises du numérique et de nombreux Etats, à l’exception notable des Etats-Unis, de la Russie et de la Chine… C’est un code de conduite, que l’on peut comparer à la Convention de Genève de 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre. Il s’agit de protéger tous les acteurs civils des « activités malicieuses en ligne ». Deux exemples parmi d’autres d’activités malicieuses s’étant déjà produites : le hacking de systèmes de distribution électriques et les tentatives d’interférence dans les processus électoraux.

Au temps de la guerre froide, les Américains, les Russes et les Chinois ne pouvaient s’affronter directement en raison du risque d’escalade nucléaire ; ils se combattaient par « proxies » (Vietnamiens, Angolais, Afghans, etc.). Aujourd’hui, la cyberguerre non létale devient le mode offensif privilégié des grandes puissances. Ce nouveau champ stratégique est remarquablement analysé dans un livre publié le 9 novembre aux Editions du Cerf : Cyber, la guerre permanente, par Jean-Louis Gergorin et Léo Isaac-Dognin.

Les Etats-Unis ont vécu dans l’illusion que leur domination du cyberespace était éternelle grâce à la force de leurs multinationales du numérique et aux capacités gigantesques de la NSA. Leur réveil a été douloureux en 2012, lorsqu’ils ont constaté que l’Iran avait réussi à perturber les systèmes informatiques de grandes banques de Wall Street, en représailles au sabotage en 2010 des centrifugeuses iraniennes d’enrichissement de l’uranium par le virus américano-israélien Stuxnet. Percevant tardivement l’étendue du cyber-espionnage industriel chinois, le président Obama a obtenu en septembre 2015 du président Xi Jinping l’engagement d’arrêter ces pratiques au niveau étatique. La guerre commerciale lancée au printemps 2018 par Trump a rendu inopérant l’engagement chinois.La souffrance des Américains est devenue insupportable lorsqu’ils se sont aperçus en 2016 que les Russes avaient réussi à pirater les fichiers du parti démocrate et du directeur de campagne d’Hillary Clinton, pour diffuser leurs secrets sur les réseaux sociaux juste avant le scrutin présidentiel du mardi 8 novembre.

Soumise aux sanctions, la Russie considère les cyber-offensives comme un moyen de rétablir le rapport de force avec les Etats-Unis, dans la perspective toujours souhaitée d’un accord bilatéral.