Le premier jour des travaux de la WPC à Séoul : pour un système de sécurité en Asie de l’Est

La présidente Park Geun-hye : « La Corée du Sud a beaucoup souffert de la pauvreté et de l’occupation ; elle désire donc œuvrer contre la pauvreté et pour le développement durable. »

Débat

La présidente de la Corée du Sud, Park Geun-hye, a donné le coup d’envoi des travaux de la World Policy Conference, à Séoul, en prononçant un discours axé sur la recherche d’un système assurant la paix et la sécurité en Asie de l’Est.

SÉOUL, de Michel TOUMA | OLJ

Un peuple qui, comme les Coréens, manie sept niveaux de langage, c’est-à-dire sept façons différentes de s’adresser à un interlocuteur en fonction de la nature des rapports entretenus avec la personne à qui il s’adresse, est à l’évidence un peuple qui sait faire dans la nuance et qui manifeste une finesse certaine dans son comportement ou sa perception des choses de la vie. Cela se reflète d’abord au niveau populaire, dans le caractère particulièrement affable, serviable et respectueux du Coréen lambda croisé dans la rue. Cela se traduit aussi, à un tout autre niveau – macropolitique – par la ligne de conduite adoptée par la Corée du Sud à l’égard des contentieux, des sources de tension et des grands dossiers qui ponctuent l’actualité internationale.
Telle est l’impression globale qui se dégage de la première journée de la World Policy Conference (WPC) qui a entamé ses travaux hier matin, lundi (à 16h, heure de Beyrouth), au somptueux hôtel Conrad de Séoul. Telle est surtout l’impression qu’a laissée la présidente de la Corée du Sud, Mme Park Geun-hye, qui a pris la peine de faire le déplacement pour prononcer le discours d’ouverture de la conférence, dans un geste symbolique illustrant l’intérêt qu’accorde son pays à la bonne gouvernance mondiale (leitmotiv qui sous-tend l’action de la WPC, depuis sa fondation à l’initiative de Thierry de Montbrial en 2008).
Dans son mot de bienvenue à la présidente, prononcé devant près de 200 décideurs, hauts responsables et experts du monde politique, économique, diplomatique, des affaires et de la presse, M. de Montbrial a d’ailleurs annoncé la couleur en rappelant que la Corée partage les mêmes objectifs de dialogue, d’échanges libres et d’ouverture que la WPC, ce qui fait d’elle le principale partenaire de cette conférence pour la région asiatique. Le fondateur de la WPC a d’autre part rendu hommage à la diplomatie audacieuse de Séoul, fondée sur la recherche et la mise en application de « mesures de confiance » ( « Confidence building measures » ) en vue d’aboutir à un « monde ouvert » et d’instaurer un climat, voire un système, de paix et de stabilité en Asie.
La politique initiée sur ce plan par Séoul a été explicitée dans le discours de la présidente Park Geun-hye qui a réaffirmé la détermination de son pays à œuvrer en vue d’améliorer la gouvernance mondiale et de mettre en place un système de sécurité en Asie de l’Est. « Nous sommes un pays qui a beaucoup souffert de la pauvreté et de l’occupation, a notamment déclaré la présidente. Nous soutenons donc la lutte contre la pauvreté et le combat mené pour favoriser le développement durable. »
Évoquant les rapports complexes entre la Corée du Sud, le Japon et la Chine, la présidente a souligné que son pays œuvre à mettre en place « un cadre adéquat assurant la sécurité de la péninsule coréenne, ce qui constitue une démarche vitale pour la paix et la stabilité dans le monde ». Elle a relevé dans ce cadre qu’à eux trois, la Corée du Sud, la Chine et le Japon représentent non moins de 25 % de l’économie et du commerce internationaux. Stigmatisant l’obstination de la Corée du Nord à aller de l’avant dans son programme nucléaire, « ce qui constitue un défi et une véritable menace pour la région », elle a proposé la mise en place de « mesures de confiance au niveau de la péninsule coréenne », tout en se déclarant prête au dialogue avec la Corée du Nord. « Si nos deux pays font de petits pas au niveau du secteur privé, cela nous permettra d’enregistrer des progrès dans la réalisation de la paix et la stabilité dans la péninsule coréenne », a affirmé, en faisant preuve de pragmatisme, Mme Park Geun-hye qui a précisé que son pays œuvrait avec la Russie et les États-Unis, notamment, pour mettre en place « une structure de paix dans la péninsule ».

Le parallèle avec l’Europe
L’absence d’un système de sécurité en Asie de l’Est a été mise en relief, notamment, par M. Jean-David Levitte, ancien haut conseiller à l’Élysée, lors du premier panel de la conférence ayant pour thème « Organisation de la sécurité en Asie et en Europe ». M. Levitte a établi dans ce cadre un parallèle entre les expériences, foncièrement divergentes, de l’Europe et de l’Asie en matière de sécurité. Il a relevé à ce propos que durant près de cinq décennies, l’Europe a été divisée, du fait du rideau de fer, et elle a connu de graves crises, comme celles de la Tchécoslovaquie et de la Hongrie, mais elle n’a pas pour autant connu de guerres. Par contre, parce qu’elle ne bénéficie pas d’un système de sécurité adéquat, comme c’est le cas de l’Europe, l’Asie a connu après la Seconde Guerre mondiale plusieurs guerres, au Vietnam, au Laos, en Corée et au Cambodge.
Dans un tel contexte, M. Levitte a dénoncé la politique suivie par le président Vladimir Poutine « qui semble vouloir rebâtir l’empire russe, ce qui constitue un défi majeur pour l’Europe ».
Les propos de M. Levitte à cet égard ont été rejetés par l’un des intervenants, Igor Morgulov, ministre adjoint russe des Affaires étrangères, en charge du dossier de l’Asie. « Nous vivons une époque de transformations fondamentales et de ce fait la tension dans le monde ne saurait être attribuée à la Russie et à ce qui est perçu comme une volonté de la Russie de faire resurgir l’empire russe », a affirmé M. Morgulov, qui a déploré dans ce contexte le fait que certaines parties ignorent tout des réalités et spécificités régionales. « Ce qui nous inquiète est l’absence de système de sécurité en Asie », a affirmé M. Morgulov.
M. Richard Haass, président du Conseil américain pour les relations étrangères et ancien haut responsable au département d’État, a abondé dans le même sens que M. Levitte, relevant que l’Asie de l’Est n’a pas connu une expérience semblable à celle des relations entre la France et l’Allemagne au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. « En Europe, a-t-il déclaré, le système de sécurité a été institutionnalisé, ce qui n’est pas le cas de l’Asie. » Ce même constat a été fait par l’ancien ministre coréen des Affaires étrangères, Han Sung-joo, qui a précisé que l’Asie de l’Est bénéficie d’un système d’alliance, relevant, cependant, à ce sujet que « les États-Unis sont au cœur de ce système d’alliance ».
Un ancien diplomate japonais, Shotaro Oshima, professeur à l’université de Tokyo, a souligné pour sa part que la structure de sécurité en Asie était dominée par l’Occident. « Or nous assistons aujourd’hui à un retrait de l’Occident et à l’émergence de la Chine alors que nous n’avons pas de système de sécurité asiatique », a-t-il déclaré, indiquant qu’il n’est pas vrai, dans un tel contexte, que nous assistons à l’émergence d’une « idéologie nationaliste au Japon ».
Cette séance consacrée à l’Asie a été suivie des deux sessions qui ont porté sur les thèmes « Inégalités et mondialisation » et « L’Afrique dans le contexte mondial », parallèlement à la causerie-débat de l’émir Turki al-Fayçal.