Le rassemblement des forces contre Daech marque un changement d’époque

23.11.2015

Dans une conférence internationale à Montreux ce week-end, l’ancien ministre français Hubert Védrine a estimé que l’alliance de circonstance avec la Russie au Moyen-Orient signe la fin de l’après-guerre froide. Récit de François Nordmann

Le terrorisme, les réfugiés, le Moyen-Orient et la situation économique et sécuritaire en Asie, tels ont été les thèmes principaux de la huitième «World Policy Conference» réunie à Montreux le week-end dernier.

Présidée par Thierry de Montbrial, son fondateur, la conférence a été ouverte par le conseiller fédéral Didier Burkhalter. Elle a tenté de dresser un ordre de priorité dans l’enchaînement des crises qui surgissent simultanément dans le monde.

La lutte contre Daech s’intensifie et donne naissance à une nouvelle coalition entre grandes puissances. C’est peut-être un tournant majeur, le plus important depuis la fin de la guerre froide. Pour Hubert Védrine, ancien ministre français des affaires étrangères, l’Occident, qui a bien réagi à la fin de la guerre froide, n’a pas su gérer ensuite l’après-guerre froide. La nouvelle donne qui se dessine avec la Russie permet de sortir de cette époque. Elle découle notamment de l’accord nucléaire avec l’Iran – même si les difficultés de sa mise en œuvre demeurent. Elle laisse bien augurer de la recherche en commun d’une solution politique à la guerre de Syrie, selon la formule esquissée à Vienne.

Détruire Daech et de s’en donner les moyens

A la guerre comme à la guerre: l’urgence au Moyen-Orient relègue au second plan les efforts pour régler les conflits tels que celui d’Ukraine. Il s’agit d’abord de détruire Daech et de s’en donner les moyens.

Autre urgence, la crise des réfugiés: il faut avant tout rassurer les Européens qui, bien au-delà de l’extrême droite, ont le sentiment d’être envahis. Pour Hubert Védrine, le rétablissement des contrôles aux frontières de l’Europe, la coopération accrue des polices et un renforcement de Frontex, l’organisme chargé de la sûreté extérieure sont indispensables. On ne doit laisser passer que les réfugiés persécutés. Il faut en finir avec la confusion actuelle, source d’inquiétude pour l’opinion publique, surtout quand on invoque le déficit démographique en Europe pour justifier l’accueil des migrants, ou que l’on appelle à relancer le débat sur l’Europe fédérale, ou encore que l’on veuille remodeler le Moyen-Orient. Ce sont de fausses pistes: c’est le pire moment pour les aborder.

Générosité indispensable mais insuffisante

La générosité est évidemment indispensable – sans cela l’Europe n’existe plus – mais elle ne suffit pas: faute de maîtriser la crise migratoire, c’est le droit d’asile lui-même qui sera remis en cause. Schengen reflète les idéaux qui prévalaient à sa création en 1985 mais le système ne fonctionne plus. Il faut donc se concentrer sur le problème de sécurité sans laisser la panique s’installer.

La construction européenne est fragile: les responsables de l’analyse politique des ministères des affaires étrangères de France, de Grande-Bretagne et d’Allemagne en conviennent, tout en soulignant aussi sa résilience à travers les crises. Les partenaires de Londres feront toutes les concessions possibles pour éviter le Brexit qui affaiblirait l’UE. Le referendum était nécessaire, car le débat sur l’Europe a atteint une telle intensité en Grande-Bretagne que la politique du gouvernement en Europe était menacée de paralysie. Mais – comble du cynisme – même si le non l’emporte, les Britanniques souhaitent que l’UE reste forte…

L’Asie se montre apaisée et toute à son développement économique, en dépit des tensions: le ralentissement en Chine est maîtrisé et d’ailleurs relatif. La Chine et ses voisins cherchent une issue à la contestation des frontières maritimes en mer de Chine, et de leur côté les Etats-Unis et la Chine sont tombés d’accord pour empêcher toute escalade si leurs marines devaient s’affronter. D’ailleurs, les deux puissances sont en train de définir un nouvel équilibre durable dans leurs relations. Les présidents chinois, coréen et japonais se sont récemment rencontrés, démarche sans précédent et positive pour la région.