Les moyens cybernétiques, une continuation de la politique par d’autres moyens

15.10.2019

Michel Touma, L’Orient Le Jour

De gauche à droite, Thomas Gomart, directeur de l’IFRI, modérateur, Patrick Nicolet, Jean-Louis Gergorin et Meir Sheetrit.

WPC 2019

La douzième édition de la conférence sur la gouvernance mondiale (World Policy Conference, WPC) a poursuivi ses travaux à Marrakech. L’un des panels a abordé la question des cyberpuissances et des cybermenaces.

La cybersécurité et ses ramifications dans différents domaines d’activité sont de plus en plus au centre des préoccupations des États et des entreprises. Les avancées sur ce plan se sont accélérées à un rythme effréné de sorte qu’au niveau stratégique l’on parle désormais de cyberpuissance. Les défis qui se posent et qui pointent à l’horizon dans ce secteur ont été l’un des thèmes débattus lors de la 12e édition de la conférence sur la gouvernance mondiale (World Policy Conference, WPC) qui s’est tenue trois jours durant à Marrakech, au Maroc, à l’initiative de l’Institut français des relations internationales, en présence de plus de 300 responsables officiels, experts, économistes, universitaires et journalistes des quatre coins de la planète.

Les grands enjeux stratégiques qui se posent aux États en termes de sécurité nationale, au sens le plus large du terme, ont abouti, comme il fallait s’y attendre, à l’émergence de cyberpuissances, de sorte que l’ancien directeur du centre d’analyse, de prévision et de stratégie au Quai d’Orsay, Jean-Louis Gergorin, a souligné, lors du panel organisé sur ce thème, que le cyber est devenu « la continuation de la politique par d’autres moyens ». « En temps de paix, a-t-il précisé, il s’agit pour les cyberpuissances d’atteindre des objectifs politiques et stratégiques sans combattre. »

Corollaire de cette nouvelle donne, relève M. Gergorin : le développement rapide de divers moyens numériques permettant d’atteindre des objectifs stratégiques. Parmi ces voies – facilement accessibles à toute personne bénéficiant d’un minimum de connaissances techniques – le hacking, la diffusion de fake news, le montage (souvent parfait) de fake vidéos qui sont dans la plupart des cas très difficiles à distinguer des vidéos authentiques, sans compter évidemment le moyen le plus répandu et le plus redoutable, à savoir la manipulation des réseaux sociaux dans le but d’influencer une opinion publique ou même d’influer sur le cours de certains événements politiques, tels que les élections.

Nul ne saurait être à l’abri de cette arme numérique, de sorte que les grandes puissances et la plupart des États consacrent désormais d’importantes ressources humaines et financières au développement de leurs cybercapacités. D’où l’émergence de cyberpuissances qui se doivent aujourd’hui de relever de nombreux défis, d’autant que « plus nous nous digitalisons, plus nous sommes vulnérables », comme l’a souligné Jean-Louis Gergorin, qui a appelé à cet égard l’Europe à « agir de manière plus efficace ».

La perméabilité totale des smartphones

L’analyse de M. Gergorin a été largement partagée, avec force détails, par Meir Sheetrit, ancien membre de la Knesset, ancien ministre israélien de l’Intérieur et ancien ministre des Renseignements et du Comité de l’énergie atomique. D’emblée, il entame son exposé en mettant l’accent sur le caractère totalement perméable des smartphones. « Tout ce que vous dites, tout ce que vous écrivez, tous les messages que vous envoyez et toutes les photos que vous prenez en utilisant votre smartphone pourraient être facilement captés, et en un court laps de temps, par n’importe quelle personne qui ferait l’effort nécessaire en ce sens et qui saurait comment s’y prendre », a affirmé M. Sheetrit.

Se basant sur son expérience dans ce domaine, l’ancien député et ministre israélien indique qu’en temps de paix, « Israël est la cible de 100 000 attaques cybernétiques par jour et en temps de guerre, ce chiffre peut atteindre un million d’attaques par jour ». D’où la politique suivie par l’État hébreu pour se hisser au rang de cyberpuissance, a souligné M. Sheetrit qui a affirmé qu’Israël « exporte des services cyber pour un montant de 7 milliards de dollars par an ».

L’ancien ministre des Renseignements n’a pas manqué au passage de faire étalage des progrès enregistrés par son pays sur ce plan, en développant notamment la recherche, la formation à différents niveaux et la mise en place d’une autorité étatique centrale coordonnant les actions entreprises dans ce domaine.

Soulignant que « plusieurs milliards de dollars sont actuellement investis dans le monde afin de développer les ordinateurs quantiques », M. Sheetrit a relevé dans ce contexte qu’aujourd’hui, « il est possible de détruire un pays en restant derrière son ordinateur, sans avoir besoin de recourir à des tanks ».

Des géants plus forts que les États

Prenant à son tour la parole, Patrick Nicolet, directeur des technologies et membre du comité de direction générale de Capgemini, a évoqué les efforts déployés par les grands États au niveau de la cybersécurité, soulignant que les cyberpuissances s’emploient de plus en plus à axer leurs recherches sur l’intelligence artificielle. Pour Patrick Nicolet, les géants de la technologie deviennent « des rivaux à certains États » et sont même parfois plus forts que les États. « Ces géants de la technologie ont généré énormément de richesses », a rappelé M. Nicolet qui a indiqué à ce sujet que Google et Amazone ont investi 40 milliards de dollars dans la recherche au cours des douze derniers mois. Et d’ajouter que face à un tel essor vertigineux, certains candidats à la présidence américaine préconisent de démanteler purement et simplement ces géants de la technologie.

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