L’Europe « aux temps du choléra » : pourquoi faut-il plus que jamais promouvoir le « mode de vie européen »

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Une opinion de László Trócsányi, député européen, professeur des universités. 

L’Amour aux temps du choléra, le chef d’œuvre de Gabriel Garcia Marquez, peut être considéré comme un éternel intempestif dans lequel le rationnel se mélange à la sphère des mystères aux moments les plus inattendus. Nos propres vies n’y échappent pas, non plus. Qui aurait cru encore il y a quelques mois que tout un continent sera en quarantaine, des pays entièrement fermés et repliés sur eux-mêmes où la solidarité entre Etats membres ne se posent plus. Qui va reprocher à la France de ne pas fournir de masques ou d’équipement médical à son voisin transalpin ? Ceci étant je n’ai jamais senti l’Europe aussi solidaire qu’en ce moment ! Quelles sont les origines exactes de cette crise et quelles seront les conséquences sur notre Union? Questions rhétoriques, du moins pour l’instant. Mais la gestion de la crise sanitaire sans précédent nous fournit tout de même un certain nombre d’enseignements braquant la lumière sur la question controversée en automne dernier sur le mode de vie européen. La gestion de la crise n’est pas partout parfaite mais les acteurs nationaux (Etats membres), régionaux (p.e. l’Union européenne) ou globaux (p.e. l’Organisation mondiale de la Santé) agissent de concert en fonction de leurs compétences – même si la responsabilité politique est la plus tangible au niveau national. On comprend aisément qu’une telle gestion est menée de façon radicalement différente en Chine, aux Etats-Unis, en Iran ou encore en Europe.

Le « mode de vie européen » est plus que jamais d’actualité

L’idée de la protection et de la promotion d’un « mode de vie européen » est donc plus que jamais d’actualité. Il convient de comprendre sa raison d’être et sa finalité au-delà des discours politiques simplistes et réducteurs de la gauche.

L’essence de la polémique c’est que le terme « mode de vie européen » est de nature à faire ressortir l’idée selon laquelle des différences puissent exister ou existent entre les citoyens européens et ceux vivants dans d’autres parties du monde. Certes, la réalité sous-jacente de ce terme ne rend pas plus facile à forger et propager l’idée martelée d’uniformisation. Idée – par ailleurs rejetée par la majeure partie de nos citoyens – aspire à relativiser les différences entre les nations et entre les cultures divergentes afin d’imposer des principes uniformes et par la suite une seule idéologie au monde et à l’Europe. Les critiques venues de la gauche à l’égard du nouveau portefeuille consistent à reprocher que le « mode de vie européen » est mis en relation avec la question migratoire car l’idée de l’établissement de ce portefeuille est survenu à la suite de la crise migratoire de 2015.

Pour y répondre j’aimerais me référer à Chantal Delsol, philosophe et écrivaine française de renommée internationale, qui a souligné l’importance de la délimitation et de la définition. Selon elle, une rivière sans bord est plutôt un marais. Par conséquent, si on ne reconnaissait pas l’existence d’une vie européenne séparée, rien ne distinguerait l’Europe d’autres parties du monde. Cela est réconforté par la constatation selon laquelle lorsqu’on est en Europe la perception générale de l’identité est toujours la diversité : les différents « styles de vie » ou « modes de vie » qui coexistent simultanément en Europe. En effet, ce que nous voyons à l’intérieur n’est que les différences et les lacunes entre les nations et les cultures. Cependant, quand on est sur un autre continent les citoyens européens se retrouvent et partagent des points communs. Ce sont les mêmes visions et les valeurs fondamentales communes qui les rapprochent. Ce que nous voyons donc à l’extérieur est l’impact de notre lien réel parmi nous Européens. Cette constatation dévoile l’existence d’un « mode de vie européen ». Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères français, un pro-européen bien que critique, qui dans son livre « Face au chaos, sauver l’Europe » a aussi senti la nécessité de dédier un chapitre à la préservation du « mode de vie européen ».

Mais quelles sont ses composantes et pourquoi faut-il le défendre et le promouvoir de nos jours?

Le Vieux Continent partage une histoire et des expériences historiques communes qui se sont formées au cours des siècles culminant dans une civilisation ayant des valeurs intrinsèques et singulières. On reconnaît l’arbre à ses fruits : ce sont ces valeurs qui servent de base théoretique au « mode de vie européen ». Ces valeurs trouvent leurs origines dans le temps antique. C’est la philosophie grecque antique et la loi naturelle qui nous permettent la recherche et de la découverte de la vérité ou la capacité de distinguer le bien du mal. Elles nous ont également donné la fondation des valeurs démocratiques. En outre, les fondements moraux et éthiques de l’identité européennes étaient influencées par les Dix Commandements et l’émergence de culture judéo-chrétienne. Le droit romain est non seulement la base du droit civil et du droit de la famille à ce jour dans la plupart des pays européens, mais il contient aussi des leçons très importantes sur l’organisation de l’Etat, la citoyenneté et le patriotisme. Toutes ces colonnes d’un mode de vie européen ont été unifiées et maintenues par le christianisme pendant et après le Moyen Âge. C’est l’esprit du christianisme qui a établi l’idée de la dignité humaine inaliénable et sacrée qui est devenue alors l’élément central du tissu social de l’Europe et de la pensée européenne. Enfin, « le Siècle des Lumières » a suscité l’émergence d’un discours scientifique.

Cet héritage commun – forgé autour du christianisme et du Siècle des Lumières – a abouti à la naissance et au renforcement de la civilisation européenne telle qu’on la connaît aujourd’hui et dont les valeurs ont eu un « rayonnement culturel et économique » à travers le monde.

Au lieu de la cacher, il faut la protéger et la mettre en avant.

Pour lutter contre ses faiblesses que je m’abstiendrais à énumérer, l’UE aurait besoin de promouvoir « l’identité européenne », – son identité je dirais – dans laquelle tous les citoyens de l’Europe peuvent s’identifier. La promotion d’une telle identité et d’un tel « mode de vie » est essentielle à la fois pour développer un sens d’appartenance à la maison commune européenne et pour surmonter les difficultés avec succès. Sans l’ébauche d’une identité européenne, la collaboration politique et la solidarité entre l’UE, les Etats et les peuples d’Europe risquent de n’avancer que trop lentement. Il faudrait avoir une vision d’identité forte européenne même si le débat sur les racines chrétiennes du continent pendant la rédaction du Traité établissant une Constitution pour l’Europe a mis en évidence le désaccord sur ce sujet. Notre identité peut nous aider à faire face aux enjeux mondiaux comme les changements climatiques, une pandémie mondiale ou les bouleversements technologiques. Ce sont les raisons pour lesquelles l’initiative de la nouvelle Commission constitue un acte de courage nécessaire. Comme le dit le proverbe « à cœur vaillant, rien d’impossible ». Il faut restaurer la confiance des citoyens dans la construction de l’Europe en reconnaissant les « valeurs » et le « mode de vie » européens. Ça peut non seulement promouvoir une identité européenne commune, mais aussi stimuler l’émergence d’une Europe plus efficace, collégiale et solidaire.

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