Le président Erdogan profite d’un changement de géopolitique majeur en Europe, avec la demande d’adhésion de la Finlande et la Suède à l’Otan, pour tenter de faire avancer des dossiers au cœur des intérêts d’Ankara.
Par Virginie Robert
Le feuilleton de l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’Otan ne fait que commencer. Les deux pays ont formellement remis, mercredi, leur candidature à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord – rompant, à cause de l’agression russe en Ukraine, avec des décennies de neutralité et de non-alignement militaire – mais la lumière s’est aussitôt déportée sur la Turquie.
Devant le Parlement turc, le président turc Recep Tayyip Erdogan a redit son opposition à l’entrée de deux pays qui refusent, selon lui, d’extrader des personnes accusées d’appartenir aux groupes terroristes du PKK ou du YPG. Helsinki et Stockholm ont de surcroît participé à un embargo sur les exportations d’armes vers la Turquie en 2019. « Nous ne pouvons dire oui », a-t-il répété, « soutenir le terrorisme et demander (notre) appui est un manque de cohérence ». Ce faisant, il fait obstruction à un processus requérant l’accord de tous les membres et qui devrait durer un an.
Marchandage
Ces dernières années, Ankara a profité du mandat de Donald Trump, qui a désorganisé l’Otan, et du Brexit, qui a distrait les Britanniques, pour conforter ses assises au sein de l’Alliance atlantique, malgré des dissensions nombreuses. Le régime turc cherche aujourd’hui à prouver son autonomie et à obtenir des avancées espérées depuis longtemps.
Il veut faire valoir « ses intérêts » , notamment dans sa guerre totale contre le PKK, qui pousse aujourd’hui les Turcs à des opérations très risquées en Irak. Ils veulent que la lutte contre le PKK soit classée dans les objectifs de l’Otan. « Aucun de nos alliés n’a jamais respecté ces inquiétudes, je ne parle pas de soutien », a insisté le chef de l’Etat.
« La Turquie estime être en passe de prendre des positions très importantes à l’Otan. Elle remet donc sur la table tous les dossiers qui comptent pour elle », explique Dorothée Schmid, chercheuse à l’Ifri (Institut français des relations internationales).
Face-à-face avec la Russie
« La Turquie contrôle les détroits et se situe sur tous les dossiers de désengagement américain au Moyen-Orient : elle avait négocié la sécurisation de l’aéroport de Kaboul avec les Américains jusqu’à ce que les talibans s’interposent, poursuit-elle. C’est encore la Turquie qui est face à la Russie en Mer noire, ce qui va devenir un énorme sujet, comme elle l’est en Syrie, où elle reproche la trahison des Américains, proches des Kurdes. Et elle s’est engagée dans une lutte d’influence avec la France en Méditerranée. »
Il y a déjà eu un précédent de blocage avec les pays scandinaves quand la Turquie s’était opposée au choix du Danois Anders Fogh Rasmussen comme secrétaire général de l’Otan. Cela s’était soldé par un accord une fois qu’un adjoint turc avait été nommé.
« Le fait qu’ils ciblent la Suède, alors qu’elle est le pays ayant le plus constamment soutenu la Turquie dans son adhésion à l’Union européenne, montre que l’alliance atlantique a plus d’importance que l’UE pour la Turquie aujourd’hui », poursuit Dorothée Schmid.
Si les émissaires suédois et finlandais ne sont pas les bienvenus, plusieurs sources soulignent que la Turquie pourrait, in fine, favoriser l’adhésion de la Finlande aux dépens de la Suède.
Le ministre turc des affaires étrangères était à Washington, mercredi, pour évoquer ces sujets avec Antony Blinken, le secrétaire d’Etat américain. Il devait également faire valoir le désir d’Ankara d’accélérer la vente de F16, qui doit être approuvée par le Congrès. La Turquie a été exclue du programme des F35 après l’achat de missiles russes sol-air S-400 en 2019. D’autres marchandages devraient avoir lieu d’ici le sommet de l’Otan à Madrid fin juin.
Lire l’article original sur le site des Echos.