Quelle gouvernance pour Internet ? Le grand écart des diplomates

Aujourd’hui, « tout le monde collecte des données sur tout le monde »… et l’affaire Snowden n’a pas suffi à favoriser une régulation. De notre envoyée spéciale à la World Policy Conference, à Séoul.

 

Un Data center de Google à Berkeley (Connie Zhou/AP/SIPA)

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Dix-huit mois après l’affaire Snowden, quelles leçons peut-on en tirer pour améliorer la gouvernance mondiale d’Internet et de l’utilisation faites par les gouvernements du « Big data », la collecte massive de données numériques ? Diplomates et chercheurs en relations internationales réunis à l’occasion de la 7e édition de la World Policy Conference, à Séoul, ont bien du mal à trouver un terrain d’entente sur ce sujet.

Premier point de divergence, l’analyse de l’affaire elle-même. Faut-il s’étonner et s’ulcérer de la surveillance exercée par la NSA, l’agence de sécurité américaine, sur Internet et sur les communications téléphoniques passées dans le monde entier ? Pour Chang Dae Whan, président du groupe de médias sud-coréen Maekyung, l’affaire Snowden est un non-événement complet. Pas question pour ce grand allié des Etats-Unis de critiquer la NSA. Mais il avance un autre argument : « vous savez que nous ne sommes pas réunifiés, lance-t-il. Alors nous sommes habitués à être espionnés. Mon groupe subit chaque jour plusieurs milliers d’attaques de hackers. Et de toute façon, tout le monde collecte des données sur tout le monde », balaie le magnat des médias et ancien Premier ministre de la péninsule, pointant du doigt les Nord-coréens. Il faut juste vivre avec ce web ouvert à toutes les oreilles…

Le professeur Joseph Nye, célèbre pour avoir popularisé dans les années 90 le concept de Soft power (la puissance douce ou la capacité de séduction des Etats par leur influence culturelle), est presque aussi complaisait avec la NSA. « Affaire Snowden ou pas, nous aurions eu un problème avec le Big data », assure-t-il. Pour lui, chacun de nous sait qu’il est surveillé. « Nous avons tous un ‘panoptique’ dans la poche », lance-t-il en montrant son téléphone portable. Un panoptique ? C’est un concept de prison décrit par le philosophe Jeremy Bentham qui place le gardien au centre du pénitencier avec vue sur toutes les cellules. Un gardien omniscient en quelque sorte, qui oblige chacun à adapter son comportement en fonction de cette surveillance. « Relisez ‘Surveiller et punir’ de Foucault », sourit Thomas Gomart, le directeur du développement stratégique de l’Ifri, le think tank qui organise cette conférence très select.

Trois pistes

Pour Ben Scott, qui a travaillé avec Hillary Clinton au ministère des Affaires étrangères à Washington et conseille aujourd’hui l’Open Technology Institute et la Fondation Neue Verantwortung à Berlin, on ne peut pas balayer d’un revers de main l’affaire Snowden: « Dix-huit mois après, malgré les protestations des gouvernements en Europe, il ne s’est rien passé. Aucune conclusion politique n’en a été tirée », note-t-il.

Pour lui, c’est dangereux, car si les Etats ne montrent pas qu’ils prennent à bras le corps la question de l’accès aux données collectées via Internet, les citoyens pourraient devenir méfiants et technophobes. D’ores-et-déjà, les sondages d’opinion montrent qu’ils sont plus résignés qu’enthousiastes… Ben Scott relève trois pistes pour améliorer la gouvernance. D’abord la transparence. « Les gens ne sont pas contre le fait que l’on regarde leurs données pour des raisons de sécurité mais ils veulent de la transparence, ils veulent savoir ce que l’on fait et pourquoi », explique-t-il. La deuxième piste concerne l’espionnage industriel. « L’affaire Snowden a montré que ce n’était pas le cœur du sujet, alors pourquoi les Etats ne signeraient-ils pas un traité international pour l’interdire », lance-t-il. Un moyen de mettre Pékin face à ses responsabilités, alors que « l’Obs » vient de révéler l’existence d’un centre d’écoute chinois à Chevilly-Larue, qui s’intéresse de près aux contrats miniers ! Troisième point, les Etats devraient définir les conditions d’utilisation des données collectées dans un pays et surveillées dans un autre. Qui peut avoir accès à quoi ? En la matière, le débat ne fait que commencer.