« Ukraine: pourquoi l’Inde refuse de stigmatiser la Russie »

Paris et New Delhi cherchent à développer leurs liens économiques comme en témoigne la visite du Premier ministre indien à l’Elysée mercredi. Mais l’Inde, qui veut ménager la Russie, son partenaire historique, fait valoir sa différence sur l’Ukraine.

C'était la troisième visite de Norendra Modi en France. Il a invité le président Macron en Inde.

C’était la troisième visite de Norendra Modi en France. Il a invité le président Macron en Inde. (Gonzalo Fuentes/REUTERS)

Par Virginie Robert

Publié le 5 mai 2022 

La tournée en Europe du Premier ministre indien, Norendra Modi , s’est achevée sans fausse note. De Berlin à Copenhague en passant par Paris mercredi, la position indienne sur l’Ukraine a été répétée à l’identique. Si le pays hôte condamne « avec force » l’agression russe dans le communiqué, il n’est rejoint par l’Inde que pour déplorer la crise humanitaire et demander « la cessation immédiate des hostilités ».

Pays non-aligné, l’Inde se refuse à stigmatiser Moscou, un partenaire historique qui lui fournit près de la moitié de son armement, et encore moins à le sanctionner. « Nous n’avons jamais appliqué d’autres sanctions que celles décidées par les Nations unies », fait valoir Jawad Ashraf, ambassadeur d’Inde en France.

Car pour l’Inde, explique Jean-Luc Racine, directeur du programme Asie du Sud à l’Asia Center, « la Russie est aussi importante car elle peut bloquer, par son droit de veto, d’éventuelles résolutions de l’ONU sur le Cachemire », territoire contesté par le Pakistan et pour partie par la Chine. Il n’y a pas eu d’élections dans cet ex-Etat, rétrogradé par l’Inde au statut de territoire , depuis 2018. Toute la région – où sévissent des groupes séparatistes armés – reste fermée à la presse.

« L’Inde n’a aucune raison de changer de posture. Les pays du Quad [Etats-Unis, Australie, Japon et Inde, NDLR] se sont montrés compréhensifs, à l’exception de Joe Biden qui a souligné une position indienne « un peu faible » vis-à-vis de l’Ukraine, mais ce sentiment a été dissipé lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères et de la Défense indiens et américains il y a quelques semaines à Washington », observe Jean-Luc Racine.

Répercussions

Le conflit en Ukraine a toutefois des conséquences nombreuses, constate Jawad Ashraf : « Il est dévastateur pour l’Ukraine et pour l’Europe en ce qui concerne les prix de l’énergie et de l’alimentation, comme pour la hausse de l’inflation. Mais il va avoir aussi beaucoup de répercussions dans le monde. » L’Inde elle-même vient de remonter ses taux d’intérêts pour la première fois depuis août 2018, pour tenter de freiner un taux d’inflation qui a atteint 6,95 % en avril.

La France et l’Inde ont jeté les bases d’un partenariat stratégique en 1998. La relation politique est bonne. Lors de la rencontre à l’Elysée qui a duré trois heures, Narendra Modi et Emmanuel Macron ont cherché « à explorer des idées plutôt que d’aligner des positions », souligne l’ambassadeur indien. Depuis la rupture du contrat des sous-marins par l’Australie avec la France, New Delhi a marqué son soutien à Paris. Les deux dirigeants ont discuté « renseignement, interopérabilité, capacités de défense » selon le diplomate et abordé le récent accord de la Chine avec les îles Solomon, un sujet de préoccupation nouveau dans la zone indo-pacifique.

La France et l’Inde cherchent à « développer leurs relations économiques, comme en témoigne la très longue liste des coopérations stratégiques, énergétiques ou culturelles publiée hier », remarque Jean-Luc Racine. Les négociations avec EDF se poursuivirent sur le nucléaire civil, la principale pierre d’achoppement restant le coût du projet « qui n’est pas compétitif avec ce que le marché peut absorber », explique l’ambassadeur.

Avec l’Arabie saoudite, l’Inde est l’un des deux premiers importateurs d’armes au monde, et si la Russie est son premier fournisseur, la France est le deuxième. Elle lui a notamment vendu 36 Rafale et 6 sous-marins Scorpène, avec l’espoir de remporter un nouvel appel d’offres pour des avions de combat s’il est relancé.

New Delhi est prêt à appuyer la démarche FARM lancée par la France sur la sécurité alimentaire. « Nous pouvons fournir du blé à un prix subventionné, le problème n’est pas la quantité disponible mais la distribution », explique l’ambassadeur alors que les craintes de famines ne cessent d’augmenter comme le souligne le récent rapport du Réseau mondial contre les crises alimentaires .

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