Védrine. « Les rapports internationaux seront plus rugueux »

07.11.2018

Le Télégramme

Hubert Védrine a été conseiller diplomatique et porte-parole de l’Élysée sous François Mitterrand avant d’en devenir le secrétaire général. Ministre des Affaires étrangères de Lionel Jospin durant la cohabitation sous la présidence Chirac, il revient sur la politique internationale de Donald Trump à laquelle le résultat des midterms ne changera probablement rien. Son livre « Comptes à rebours » (Fayard), qui analyse les évolutions de la géopolitique mondiale, a reçu le prix de l’essai décerné, cette année, par L’Express. Cette interview a été réalisée lors de la 11e World Policy Conference.

 

Donald Trump fait-il bouger les lignes ?

Au début, il y a eu un effet de sidération à l’égard de ses propos jugés impensables. Aujourd’hui, certains commencent à dire que ça pourrait marcher. Il y a surtout un effet différé dans le temps qui est la levée des tabous pour l’Occident jusqu’alors dominant avec son discours universaliste. En conséquence, il légitime des comportements brutaux comme ceux de Poutine ou Netanyahou. À l’avenir, je ne crois pas qu’on retrouvera les avocats du multilatéralisme comme Clinton ou Obama. Les rapports internationaux seront plus rugueux.

Pour l’instant, il semble surtout pénaliser les Chinois !

En effet, il y a un manque à gagner sur leurs exportations. À long terme, est-ce que cela peut renforcer l’Occident dans une négociation inévitable entre puissances émergentes et pays développés ? Un jour ou l’autre, ils devront se mettre autour d’une table et évoquer des sujets comme le nombre de sièges au Conseil de sécurité de l‘Onu. Par ailleurs, nous ne devons pas plus surestimer Trump que nous ne l’avons sous-estimé. Exemple : va-t-il imposer sa ligne réaliste avec la Russie ou « l’État profond » (à savoir le Pentagone, le Département d’État et les services secrets) va-t-il lui imposer d’en revenir à la diplomatie traditionnelle. Le complexe militaro-industriel n’osant pas défier la Chine, il a besoin de conserver la Russie comme adversaire.

L’Europe peut-elle en profiter pour se mettre en marche ?

Les Européens ont vécu dans une bulle qui s’effondre. Cela devrait nous inciter à bouger et à faire la synthèse entre la position traditionnelle, entre alliés considérés comme des amis mais pas alignés, et celle d’Angela Merkel selon laquelle il vaut mieux s’organiser entre nous. Mais je ne vois pas venir cette réaction commune. Notamment face à la prise en otage par Trump de l’économie mondiale avec les sanctions américaines.. Les Européens ont abdiqué dans leur tête depuis la Seconde Guerre mondiale et la construction de l’Union ne se conçoit pas sans le parapluie américain. D’où l’échec du concept d’Europe puissance.