Vers un nouveau durcissement des relations entre l’Arabie saoudite et l’Iran

5.11.2017
by Virginie Robert, envoyée spéciale à Marrakech

La démission du Premier ministre libanais et l’annonce d’arrestations de princes saoudiens soulignent à la fois une hausse de la tension entre l’Arabie saoudite et l’Iran et une reprise en main à Riyad.

L’annonce, depuis Riyad, de la démission du Premier ministre libanais, un protégé de l’Arabie saoudite, a pris tout le monde de court. Non seulement, Saad Hariri l’a fait depuis une capitale étrangère et a dit craindre pour sa vie, mais il a surtout permis d’écrire un nouveau chapitre dans la lutte contre le Hezbollah, le mouvement chiite membre de son gouvernement depuis un an, en dénonçant l’ingérence iranienne au Liban. « On doit couper la main de l’Iran au Liban », a-t-il déclaré en substance, évoquant un contexte politique qui lui rappelait celui de l’assassinat de son père. Disposant d’un passeport saoudien, il est pour l’instant encore à Riyad.

« C’est un point d’inflexion », constate Michel Touma, le rédacteur en chef de « L’Orient-Le Jour », présent à Marrakech pour la « World Policy Conference » qui réunit des experts en géopolitique. Les questions sur ce qui a provoqué cette démission (qui n’avait dimanche midi pas encore été acceptée par le président) sont entières mais cela fait craindre un nouveau durcissement entre les deux grandes puissances régionales, l’Arabie saoudite et l’Iran, dont le Liban pourrait faire les frais.

Coup de filet « anti-corruption »
Parallèlement au renforcement de son influence dans la région, l’héritier au trône saoudien, Mohammed ben Salmane (MBS), cherche à asseoir son autorité et vient de lancer un vaste coup de filet « anti-corruption » contre ses ennemis de l’intérieur, qui n’épargne ni les plus hauts personnages de l’Etat et du royaume, ni les hommes d’affaires les plus en vue (le prince Al Walid). « Cela s’inscrit dans une prise de pouvoir, et on voit bien qu’elle ne va pas de soi. D’une certaine façon, cela fait penser à la lutte anticorruption menée en Chine qui a pour fonction d’éliminer la concurrence et les opposants », constate le diplomate et géographe Michel Foucher.

Ces développements ne déplaisent pas à Tel Aviv, qui apprécie le renforcement du pouvoir à Riyad. « La relation entre l’Arabie saoudite, les Etats-Unis et Israel n’a jamais été aussi bonne », constate d’ailleurs Méir Chétrit, ancien ministre et membre de la Knesset. Au point même que certains voient en Riyad l’arbitre possible d’une solution entre Israéliens et Palestiniens. L’engagement du prince héritier à bâtir une alliance de pays sunnites qui comprendrait notamment l’Egypte, les Emirats arabes unis, la Jordanie et même les Palestiniens pour contrer Téhéran est vu d’un bon oeil à Jérusalem.

Nouveaux risques
Depuis quelques mois, en plus des conflits armés de la région (Syrie, Irak, Yémen), de nouveaux risques ont émergé : dans les pays du Golfe avec le blocus sur le Qatar imposé par l’Arabie saoudite, et dans la relation entre les Etats-Unis et l’Iran avec le refus du président Trump de certifier l’accord nucléaire. Un grand sentiment d’impuissance prévaut au Moyen-Orient.

« L’alliance arabe manque de leadership et de vision. Nous avons besoin d’outils pour régler les conflits », estime Youssef Amrani, ex-ministre délégué des Affaires étrangères au Maroc. Surtout, « de nouveaux acteurs ont pris beaucoup d’ascendance comme la Turquie, la Russie et l’Iran », note Odeh Aburdene, membre du Council on Foreign Relations et président de OAI Advisors.

On observe ainsi l’apparition d’alliances de circonstances entre Turcs et Iraniens, qui veulent à la fois éviter l’avènement d’un Kurdistan indépendant, préserver leur intégrité territoriale et s’approprier les marchés de la reconstruction. Un rapprochement qui trouve des prolongations dans l’aide que la Turquie apporte actuellement au Qatar dont les liens avec l’Iran s’étendent bien au-delà du partage d’un large champ gazier. Le traditionnel schisme entre sunnites et chiites pour expliquer les hostilités régionales s’estompe donc.

L’entregent de la Russie
De son côté, la Russie joue de son entregent retrouvé grâce à son implication dans le conflit syrien pour faire le « go-between » entre les parties. Le roi d’Arabie saoudite était il y a peu à Moscou et Vladimir Poutine rentre tout juste de Téhéran. « Trump se trompe en s’opposant à l’Iran sur l’accord nucléaire. Il vaut mieux chercher à lui bloquer l’accès à la Méditerranée en Syrie et au Liban », assure Odeh Aburdene.
L’ancien ambassadeur américain et conseiller à la Maison-Blanche de Jimmy Carter, Stuart Eizenstat, estime, quant à lui, que « le vide laissé par le leadership américain au Moyen-Orient va laisser place à des forces très négatives ».