World Policy Conference : Le monde en quête de leadership

01.11.2018

Anthioumane D. Tandia, Afrimag 

Sous l’impulsion d’OCP Policy Center, 250 leaders venus des quatre coins du globe s’étaient donné rendez-vous à Rabat le temps d’un long week-end pour débattre des défis de la planète. Entre les choix controversés de Donald Trump et l’absence de leadership mondial, les participants ont appelé à plus de cohérence dans la gouvernance mondiale.   

Partenaire d’OCP Policy Center, la World Policy Conference a réuni du 26 au 28 octobre à Rabat des dirigeants politiques, des chefs religieux, des militants de la société civile, des universitaires et journalistes, des chefs d’entreprise et des penseurs critiques du monde entier. Une des ambitions de ce forum était de discuter pour ensuite proposer des solutions constructives aux grands défis régionaux et internationaux. Outre Thierry de Montbrial, président et fondateur de la World Policy Conference, 250 leaders issus d’une quarantaine de pays ont pris part à cette rencontre de haut vol, parmi lesquels le Premier ministre de Côte d’Ivoire Amadou Gon Coulibaly, l’ancien Premier ministre français et actuel président du Conseil constitutionnel Laurent Fabius, le président de Nakasone Peace Institute Ichiro Fujisaki, le président de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi Carlos Ghosn, le président de l’Institute  of International and Strategic Studies at Peking University, Wang Jisi…

Les sujets  traités lors de cette onzième édition de la World Policy Conference concernent les choix cruciaux que le monde doit faire, tout en critiquant les mauvaises décisions prises récemment. C’est le cas de la dénonciation par Donald Trump des accords internationaux dont les Etats-Unis ont souvent été les initiateurs ou les contributeurs déterminants, de la rivalité entre la Chine et les Etats-Unis, de la migration et du multiculturalisme, de l’intégrisme religieux, du changement climatique, du développement de l’Afrique, du conflit du Moyen-Orient, de la route de la soie…

D’emblée, dans son discours inaugural, Thierry de Montbrial donne le ton. “Le monde d’hier marque toujours notre présent de son empreinte”, explique-t-il. “La technologie, disaient certains, allait abolir les frontières et favoriser l’avènement rapide d’une mondialisation heureuse. Au lieu de quoi, on assiste à une exacerbation des réalités nationales, qui nous renvoie irrésistiblement aux deux siècles passés.” Poursuit-il. “S’il me fallait caractériser le phénomène géopolitique dominant des trente prochaines années, je dirais sans hésiter : la rivalité entre la Chine et les Etats-Unis ?”, conclut-il.

En effet, le retrait des États-Unis des accords internationaux déséquilibre le leadership mondial en attendant qu’une autre puissance prenne le relais. Or les nations ou le groupe de nations (UE, BRICS, notamment) susceptibles de jouer ce rôle ne sont ni préparés ni capables pour diverses raisons objectives dont les législations nationales, le déploiement de la puissance militaire américaine d’une région à une autre en un temps record,  la diversité des langues, les politiques économiques et sociales… Le leadership américain, avec ses atouts qui semblent infinis, allant des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) aux médias mainstream en passant par sa monnaie, ses forces de défense, ses universités, sa culture pop et sa langue, n’a ni d’égal ni de concurrent pour préserver les piliers sur lesquels le monde s’appuie depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Essentiel ou même vital pour  maintenir l’équilibre qui a permis aux nations de prospérer à travers le libre-échange.

Au rythme des Etats-Unis

Parmi ses atouts, le Cloud, une arme redoutable !  Le cas du Cloud Act (Clarifiying Lawful Overseas Use of Data Act.) est symptomatique de cette propension des Etats-Unis à impulser une marche globale. Désormais le Cloud Act. s’applique à toutes les sociétés relevant de la juridiction des Etats-Unis et qui contrôlent les données quel que soit le lieu où elles sont stockées. Les grands acteurs américains du cloud et leurs filiales devront donc s’y conformer. Tout comme le devront les autres entreprises du secteur, y compris européenne, qui opèrent sur le territoire américain. Clairement, des données stockées hors des Etats-Unis mais sur des serveurs appartenant à des sociétés américaines ne peuvent plus être considérées comme sécurisées.

Un des bénéfices escomptés de cette situation depuis 1945 est la paix, éloignant ainsi le monde des années funestes de 1930, sans laquelle aucun progrès n’est possible dans quel que domaine que ce soit. L’amélioration de la gouvernance mondiale, contrairement aux fougueuses déclarations du président américain, est essentielle. Il reste à espérer, avec la sagesse  de Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères français que le monde “dollarisé et numérisé d’une Amérique toute puissante” de l’administration Trump soit la politique de l’autruche.  

Pour plus de cohérence dans la gouvernance mondiale, de transparence et d’humanisme

C’est autour de ces valeurs essentielles que les think tanks comme OCP Policy Center et son partenaire, la World Policy Conference, mènent sans cesse des réflexions. “Pour éviter les politiques qui conduisent vers la récession, il faut inéluctablement une coordination entre les politiques économiques, notamment du G20”, conseille Igor Yurgens, chairman of  the Management Board of the Institute of Contemporary Development, Russia, lors du panel sur les conséquences de la politique de Trump.

En effet, le monde est à un moment critique où la mise en place de politiques économiques cohérentes s’impose comme une priorité. Ceci est d’autant vrai que les relations économiques exécrables, faites de sanctions et de répliques, entre les deux premières puissances économiques du monde, les Etats-Unis et la Chine, ne cessent de se détériorer. Situation qui a un impact néfaste sur les économies les plus fragiles, principalement en Afrique où la Chine est devenue le grand investisseur.

“Si nous sommes ici, c’est parce que vous étiez là-bas”

L’une des conséquences de cette situation est l’accentuation du phénomène migratoire. D’ici 2050 la population africaine vivant avec 2 dollars par jour risque de tripler. Sans création de valeur pour offrir des perspectives heureuses à cette population jeune, cela se traduira  immanquablement par des déplacements massifs partout dans le monde, notamment en Europe, continent le plus proche de l’Afrique.

“Nous devons trouver une solution collective, européenne, aux défis de la migration. Les Etats-Unis aussi doivent trouver des solutions à leurs problèmes avec leurs voisins. Sinon, ce sont les structures sociales de l’Europe et des Etats-Unis qui vont se disloquer. Cela met en danger les démocraties. Nous le remarquons avec l’extrême droite qui prend du galon en Europe”, prévient Jean-François Copé, ancien ministre français du Budget et maire de Meaux.

Face au discours anti-migratoire claironné par les populistes, certains ont fait la leur cette boutade de l’ancien directeur du cercle de réflexion Institute of Race Relations en Grande-Bretagne, feu l’écrivain sri-lankais Ambalavaner Sivanandan : “si nous sommes ici, c’est parce que vous étiez là-bas”. Déclaration au contenu puissant dans un monde de plus en plus globalisé, et où les intérêts sont inextricablement liés. Tout le contraire de l’isolationnisme de la politique de l’administration Trump.