Au Liban, la crise des réfugiés ne doit plus se traiter dans l’urgence mais s’inscrire dans la politique de développement

06.12.16

VIRGINIE ROBERT

Le Liban ploie sous le fardeau des réfugiés. Les solutions provisoires ne suffisent plus.

« La situation au Liban est catastrophique et explosive », prévient le docteur Kamel Mohanna, fondateur de l’association Amel et coordinateur du collectif des ONG libanaises et arabes. Selon l’ONU, 1,1 million de Syriens (1,5 million selon le gouvernement) sont répartis dans 1.400 villages et 1.900 camps informels. Les Libanais veulent partager le fardeau. « Il est temps que la solidarité prime sur l’identité et la sécurité. Oui à l’Europe solidaire, non à l’Europe forteresse », plaide avec force le médecin dont l’association figurait parmi les nobélisables pour la paix cette année. A peine la moitié des fonds promis pour la communauté internationale (7 milliards de dollars) ont été versés. Et « 60 % de l’argent distribué est utilisé pour la logistique des associations », regrette Kamel Mohanna.

« En un an, tous les services publics ont été saturés », constate Olivier Ray, responsable de l’unité prévention des crises et relèvement post-conflit de l’Agence française de développement (AFD). Les réfugiés syriens ont toutes les peines du monde à trouver des places dans les hôpitaux et le financement de leurs soins (pris en charge à 75 % par le Haut-Commissariat aux réfugiés et des associations) est encore insuffisant pour des gens qui n’ont rien. 70 % des réfugiés vivent sous le seuil de pauvreté et 90 % sont endettés à un niveau moyen de 842 dollars par foyer pour couvrir leurs besoins de base (nourriture et santé). De même, le programme de scolarisation ne peut prendre en charge que 150.000 enfants sur les 400.000 qui résident dans le pays. Il y a aujourd’hui plus de naissances d’enfants syriens au Liban que d’enfants libanais. La gestion des déchets (7.500 tonnes par jour contre 5.000 avant le conflit syrien) est devenue un véritable casse-tête. « Le coût de la guerre en Syrie a représenté 12 milliards de dollars pour le Liban », rappelait récemment Raed H. Charafeddine, premier vice-gouverneur de la Banque du Liban à la World Policy Conference à Doha. « Il y a un fossé de plus de 6 milliards avec l’argent promis par l’aide internationale. »

La population est passée de 4 millions à près de 6 millions en deux ans (il faut aussi compter 450.000 réfugiés palestiniens) alors que l’approvisionnement en électricité, l’assainissement de l’eau ou les conditions sanitaires sont très largement insuffisants. « Tout a été impacté : le PIB s’est effondré, le coût des infrastructures s’est envolé et cela a pesé sur les finances publiques comme sur le développement social », insiste Raed H. Charafeddine. Et pourtant, observe Kamel Mohanna, les Syriens qui représentent un tiers de la population sont bien intégrés (à échelle équivalente cela équivaudrait à 22 millions de réfugiés en France). La population reste accueillante et résiliente. « On a pu développer des ateliers où les femmes travaillent, retrouvent leur dignité », se félicite le patron d’Amel. « Ce qui me donne confiance, c’est la jeunesse, et surtout les filles. » L’organisation non confessionnelle a développé 24 centres de services et 6 cliniques mobiles.

Une situation qui risque de durer

Mais le provisoire ne peut plus durer. Toutes les instances savent qu’on ne peut plus raisonner en crise de court terme et que cette situation va durer plusieurs années. « L’enjeu d’urgence doit maintenant être intégré dans la politique de développement », souligne Olivier Ray. Jusqu’à présent l’AFD, qui intervient principalement au moyen de prêts, avait très peu de ressources – une enveloppe de 4 à 5 millions d’euros – pour aider directement les associations. Cela va changer dès janvier prochain. Le Comité interministériel pour la coopération internationale et le développement vient en effet de doter l’agence d’un budget de 100 millions d’euros par an. D’autres institutions internationales comme la Banque mondiale ou KfW, l’équivalent allemand de l’AFD, ont déjà franchi ce cap. Cette dernière a consacré 800 millions d’euros pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient en 2016.

Il s’agit pour l’AFD d’investir dans la prévention des crises (en particulier sanitaires, politiques, environnementales et sociales), par une action en amont sur le chômage et le sous-emploi des jeunes, sur les systèmes éducatifs défaillants et pour pallier les tensions entre réfugiés et populations hôtes. C’est un travail qui se fera avec des associations comme Amel ou Arc-en-Ciel au Liban, mais aussi avec les municipalités et les organisations de formation professionnelle. « Les moyens qu’on donne doivent aussi aider à reconstruire la Syrie de demain », explique Olivier Ray.

Le sommet d’Istanbul sur l’action humanitaire, en mai dernier, a beaucoup insisté sur l’adaptation des organisations aux défis posés par les crises et sur l’importance de faire des victimes les acteurs de leur rétablissement. Cela passera par une meilleure coordination en amont de l’action humanitaire et l’aide au développement.

V. R., Les Echos