Depuis l’émergence d’internet, l’outil numérique échappe à tout contrôle

14.10.2019

Michel Touma, L’Orient Le Jour

WPC 2019 La 12e session de la conférence sur la gouvernance mondiale (World Policy Conference) a poursuivi hier à Marrakech, au Maroc, ses travaux qui ont porté, entre autres, sur les rapports entre technologie et société, la cybercriminalité et le dossier du changement climatique.

Le fondateur et président de l’IFRI Thierry de Montbrial prononçant son allocution à la séance inaugurale.

La 12e édition de la conférence annuelle sur la gouvernance mondiale (World Policy conference, WPC) a poursuivi ses travaux hier, dimanche, les interventions et les débats ayant été axés lors de cette deuxième journée sur les thèmes de la technologie et ses rapports avec la société et la politique ainsi que sur la question complémentaire des cyberpuissances et de la cybermenace. Une conférence, un panel et un atelier de travail ont d’autre part été consacrés au dossier explosif du changement climatique et de l’environnement. Les travaux, qui se poursuivront aujourd’hui lundi, se déroulent à Marrakech, au Maroc, à l’initiative de l’Institut français des relations internationales (IFRI). La séance inaugurale avait eu lieu samedi matin en présence de plus de 300 responsables officiels, anciens députés et ministres, universitaires, économistes, experts et journalistes venant des quatre coins de la planète. Le ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil devait faire une intervention sur la question des réfugiés syriens au Liban, mais il s’est décommandé à la dernière minute en raison de la tenue au Caire d’une réunion ministérielle de la Ligue arabe, comme l’a indiqué son bureau de presse.

Le thème « technologie, société et politique » a suscité un intérêt particulier parmi l’assistance en raison de ses effets évidents sur la vie quotidienne des populations. Les intervenants ont notamment relevé que la révolution numérique et les développements à grande échelle des moyens de communication, notamment au niveau des réseaux sociaux, ont bouleversé les rapports de l’homme avec la technologie et le monde du travail. Avant l’émergence d’internet, les progrès technologiques étaient contrôlés, en ce sens que l’utilisation pratique et la finalité de toute innovation étaient bien connues et déterminées par les scientifiques, comme l’a relevé François Barrault, président d’IDATE DigiWorld.

L’exemple d’internet et des réseaux sociaux ont apporté une donnée nouvelle, du fait qu’il s’agit là d’une innovation qui échappe à tout contrôle. « Lorsqu’on a livré un outil comme internet à l’individu, il n’y a pas eu de gouvernance et d’encadrement qui ont accompagné cette innovation, laquelle peut donc aller dans tous les sens », a relevé M. Barrault qui a ajouté à cet égard que par le passé, « la science était encadrée, mais avec l’internet, l’outil a été donné à tout le monde sans aucun contrôle, et aujourd’hui, si nous voulons contrôler ce qui ne l’était pas, on nous qualifie de rétrograde ».

Dans le monde des affaires, a également souligné M. Barrault, avant l’émergence des moyens de communication numériques, un patron d’entreprise pouvait se targuer de pouvoir monopoliser les informations en rapport avec son domaine d’activité, alors qu’avec internet, toutes les informations sont à la portée du public. M. Barrault a prôné à ce propos une « inclusion digitale » dont le but serait d’organiser, en quelque sorte, les données de manière qu’elles soient « pertinentes pour une catégorie déterminée de personnes, la technologie venant ainsi automatiquement à cette catégorie de personnes, alors qu’auparavant, c’est la personne qui allait vers la technologie ».

L’interaction entre technologie et démocratie a été abordée par Susan Liautaud, professeure de droit et de politique publique à l’université de Stanford, qui a évoqué le problème de la « responsabilité éthique » qu’entraîne la révolution numérique, affirmant qu’il est désormais « très difficile de concilier démocratie et technologie ».

Abondant dans le même sens, Holger Mey, vice-président des concepts avancés chez Airbus à Munich et ancien PDG de l’Institut pour les analyses stratégiques à Bonn, a abordé le thème des rapports entre société et intelligence artificielle (IA) sous l’angle de la liberté et de la sécurité. Il a notamment relevé qu’une « sécurité totale » entraîne des atteintes graves aux libertés, et inversement l’absence de sécurité aboutit à une liberté poussée à l’extrême.

La séance inaugurale

Les grandes lignes des différents thèmes de cette 12e édition de la WPC 2019 – répartis, pendant trois jours, sur 18 sessions plénières (panels) et trois ateliers de travail – avaient été exposées succinctement lors de la séance inaugurale de samedi par le fondateur et président de l’IFRI, Thierry de Montbrial, dans son allocution de bienvenue.

Abordant notamment les développements en cours au Moyen-Orient, M. de Montbrial a relevé que « l’Iran n’a pas cédé aux pressions imposées par les États-Unis », soulignant à ce sujet que « le leadership iranien manifeste sa résistance malgré sa complexité et sa diversité ». Quant à l’Arabie saoudite, elle « vient de manifester sa grande vulnérabilité face à ses adversaires en dépit des centaines de milliards de dollars investis dans la défense ». Le président de l’IFRI a souligné sur ce plan que « le prince héritier du royaume saoudien n’a toujours pas établi sa crédibilité, que ce soit dans l’ordre politique ou par rapport à ses projets économiques ». Rappelant que l’État islamique a perdu ses territoires, M. de Montbrial a toutefois relevé qu’il survit malgré tout, « caché et redoutable », et dans un tel contexte le danger du terrorisme islamiste « n’a diminué nulle part et semble même se renforcer, comme au Sahel ».

Le climat de crise chronique à l’échelle internationale a également été relevé par le Premier ministre ivoirien Amadou Gon Coulibaly qui a souligné la nécessité d’une « création massive d’emplois » en Afrique, plus particulièrement en Côte d’Ivoire. Précisant que la « croissance de la production industrielle est insuffisante », il a appelé à des investissements étrangers de grande envergure dans le continent africain. Quant au Premier ministre français, Édouard Philippe, il a déploré dans un message lu par l’ambassadrice de France au Maroc, Hélène Le Gal, « les nombreux nuages qui planent sur notre avenir dans le monde », soulignant que « la météo est plutôt maussade ».

Évoquant le dossier du changement climatique, le Premier ministre français a affirmé que « nos populations attendent des actes ». Quant au développement durable, il a appelé à une « transformation de notre modèle de développement » et à « la construction d’une mondialisation ouverte qui doit contribuer à la stabilité du monde ». Et M. Philippe de conclure en relevant que « la violence prend sa source dans le désespoir ».

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