« En Syrie et en Irak, il faut que chiites et sunnites trouvent un équilibre politique stable »

22.11.15

L’avenir du Proche-Orient était au centre de la 8e  édition du World policy conference à Montreux.

Nelson Cunningham, ancien conseiller spécial du président Clinton pour les affaires occidentales.

Ancien conseiller spécial du président Clinton, Nelson Cunnigham détaille la réaction du président Barack Obama aux événements dans cette région.

 Comment analysez-vous la réaction de l’administration Obama aux attentats de Paris le 13 novembre dernier ?

 Nelson Cunningham : L’approche du président Obama est ce que l’on appelle un « statu quo + ». Cela signifie faire ce que les États-Unis ont fait jusqu’à présent : s’efforcer de constituer une coalition avec les pays européens et du Moyen-Orient pour combattre Daech. À cela s’ajoute l’opération diplomatique d’ampleur lancée par le secrétaire d’État John Kerry pour réunir la Russie, l’Iran, les puissances européennes, la Turquie et les pays voisins pour trouver une solution en Syrie. Qui passerait par un accord avec Bachar Al Assad, un effort pour vaincre Daech et une solution à long terme pour l’avenir de la Syrie.

 Quel pourrait être l’accord avec Assad ?

 N. C. : Assad ne veut pas quitter le pouvoir. Il a des alliés, la Russie et l’Iran, qui ne veulent pas qu’il parte. La question est : qu’est-ce que les États-Unis peuvent leur offrir pour qu’ils forcent Assad à quitter le pays ou le pouvoir. Je pense que la solution pourrait être que Bachar al Assad nomme un gouvernement intérimaire et obtienne un sauf-conduit pour lui-même. Cela a déjà été fait par le passé.

 Et sur le plan militaire ?

 N. C. : Je pense que les Français vont être extrêmement agressifs contre Daech. C’est ce qu’il faut dans cette situation. Les Français n’ont cessé de prouver qu’ils étaient excellents pour les opérations aériennes, et pour celles effectuées par des forces spéciales ou des opérations ponctuelles, menées par des forces concentrées. Ce qu’ils ont fait en République centrafricaine et au Mali est tout simplement superbe. Ce qu’ils peuvent faire conjointement avec les forces spéciales américaines, la CIA et l’appui aérien peut être très efficace contre Daech, en Syrie et en Irak.

 Peut-on éviter d’envoyer des troupes au sol ?

 N. C. : L’expérience des États-Unis en Irak montre qu’envoyer des troupes au sol en grand nombre, nécessite un large soutien de la société et que cela n’apporte pas nécessairement la stabilité dans le pays. Les Français peuvent envisager d’envoyer des commandos en nombre limité pour frapper des objectifs très ciblés. En Syrie et en Irak, il faut que chiites et sunnites trouvent un équilibre politique stable. Et que parmi les sunnites, d’autres groupes que les combattants de Daech prennent en charge leur avenir.

 L’Otan pourrait-elle jouer un rôle dans la lutte contre Daech ?

 N. C. : La France pourrait invoquer l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord stipulant qu’une attaque armée contre un de ses membres sera considérée comme une attaque dirigée contre tous. C’est ce qu’ont fait les États-Unis après les attaques du 11 septembre 2001, ce qui a conduit à lancer la guerre contre les Talibans en Afghanistan. Mais la France ne l’a pas fait jusqu’ici. François Hollande a préféré avoir recours à un article similaire du Traité de Lisbonne. Je pense qu’il y a de bonnes raisons à cela, notamment stratégiques.

 Y a-t-il un risque de remise en cause des frontières au Proche-Orient, notamment en Syrie et en Irak ?

 N.C. : C’est une question très intéressante. Les accords Sykes-Picot qui sont à l’origine de la création de l’Irak et de la Syrie, ont aujourd’hui cent ans. Peut-être que cette guerre montre qu’ils ne signifient plus rien désormais. Je sais que l’Iran veut garder à tout prix telles quelles les frontières régionales. Je pense que la Turquie aussi, car elle craint que d’une remise en cause de ses frontières émerge un Kurdistan indépendant. Il y aura une forte pression pour garder la situation telle quelle.

 Est-il possible de reconstruire le Proche-Orient sans accord israélo-palestinien ?

 N. C. : Ce qui se passe actuellement en Irak et en Syrie est déconnecté du conflit israélo-palestinien. Le printemps arabe en Tunisie, en Égypte ou en Syrie avait sa logique propre. Mais cela pourrait offrir une opportunité pour résoudre cette question. Je pense que le secrétaire d’État John Kerry veut faire une nouvelle démarche en vue de la paix. Je ne sais pas si le gouvernement israélien y est prêt. Mais j’ai noté qu’en fin de semaine dernière, les États-Unis ont libéré l’espion israélien Jonathan Pollard. Je dirais que cela a un lien avec le voyage de Benyamin Netanyahou à Washington la semaine précédente. Si Obama a alors promis de relâcher Pollard, qu’a promis Netanyahou en échange ? On peut être optimiste et se dire qu’il peut s’agir d’une stratégie de paix à long terme.

Recueilli par Vincent de Féligonde (à Montreux)