Vice-président, Prévention du commerce illicite, Philip Morris international (PMI), depuis 2015. Avant d’occuper ses fonctions actuelles, M. Giustiniani était vice-président de Philip Morris Asia, à Hong Kong. En 2016, il a créé PMI IMPACT, une initiative internationale pionnière de 100 millions de dollars qui finance des projets publics, privés et d’ONG visant à lutter contre le commerce illégal et les crimes connexes, comme la corruption, le blanchiment d’argent et le crime organisé. Il est titulaire d’un MBA de l’INSEAD (France) et d’un diplôme en génie civil de l’Université de Padoue en Italie.
Peter Bruce-Clark
Peter Bruce-Clark est associé directeur de Social Impact Capital. Il a été directeur du développement des affaires de RCI. Avant cela, il a créé une société de capital risque en phase de développement dans le domaine de l’Intelligence artificielle ainsi que Kalytix Partners, un cabinet de conseil spécialisé dans la stratégie et le management pour les investisseurs institutionnels. Ses recherches à l’Université de Stanford et en collaboration avec Planet Heritage et White Sand Investor Group portent sur la finance et l’investissement stratégique. Il est un investisseur providentiel actif. Il est diplômé de la Judge Business School de l’Université de Cambridge en administration des affaires et finances, ainsi qu’en anglais et théorie critique (avec distinction) de l’Université de Londres, Queen Mary.
Liang Wu
Liang Wu est le cofondateur et directeur des systèmes d’information de Green City Solutions, entreprise qui a développé le CityTree, un filtre biologique fait à partir de mousse, augmenté par la technologie des objets connectés afin de nettoyer et rafraîchir l’air des villes. Cette solution permet de créer des conditions climatiques hyperlocales où la mousse absorbe la pollution accumulée à sa surface et rafraîchit l’air ambiant. Les capteurs intégrés créent les conditions de croissance optimales pour les plantes et permettent de suivre leurs performances en contrôlant la qualité de l’air. Au cours de ses études en sciences informatiques et des médias en Allemagne et de son expérience professionnelle en Chine au sein du Centre de Shanghai pour les échanges scientifiques et technologiques avec les pays étrangers, ainsi qu’au sein du département de contenu digital du Shanghai Media Group, il a accumulé l’expertise requise. Durant son séjour en Chine, il s’est rendu compte de la nécessité d’améliorer la qualité de l’air dans les zones sensibles et a ainsi cofondé Green City Solutions.
Stéphane Charbit
Associé-gérant au sein du département de conseil aux gouvernements de Rothschild & Co. Il conseille des gouvernements, des fonds souverains, et des entreprises à capitaux publics, dans le cadre de leur développement économique, leur politique financière et leur stratégie de gestion de la dette publique en Europe, en Afrique, au Moyen-Orient et en Amérique Centrale et Latine. Stéphane est diplômé de l’université de Harvard, de Sciences Po Paris, de l’ESCP et des universités de droit et d’économie de Paris.
Nardos Bekele-Thomas
Directrice générale de l’Agence de développement de l’Union africaine-NEPAD, elle est la première femme à occuper ce poste. Nardos Bekele-Thomas est le fer de lance de l’Agenda 2063, agenda stratégique de l’Afrique pour la croissance et la durabilité (programme pour une Afrique unie, prospère et autosuffisante). Son mandat se caractérise par son engagement à dévoiler le potentiel de l’Afrique grâce à des initiatives à impact fort dans des domaines tels que les infrastructures, l’énergie, la santé et l’autonomisation des femmes. Avant de rejoindre l’Union africaine-NEPAD, Mme Bekele-Thomas était Coordonnatrice résidente des Nations Unies et Directrice principale du Bureau du Secrétaire général en Afrique du Sud où ses efforts pour mettre en place l’Agenda 2030 de développement durable se sont révélés fructueux. De 2008 à 2013, elle occupait le poste de Coordonnatrice résidente des Nations Unies au Kenya et au Bénin, où son rôle a été essentiel dans les processus de paix et de réforme constitutionnelle et dans la promotion de partenariats entre le secteur public et le secteur privé. Elle est titulaire d’une maîtrise de l’Université de New York (NYU) et l’auteur de travaux reconnus sur les questions de développement. Trilingue en amharique, français et anglais, elle met à profit ses compétences multilingues pour collaborer efficacement avec les différents acteurs sur le continent et au niveau mondial.
Carlos Moreira
Fondateur et président-directeur général de WISeKey. Avant de fonder son entreprise en 1999, il a été expert en cybersécurité aux Nations Unies pendant 17 ans. Il est reconnu dans le monde entier comme étant un pionnier d’Internet. Son profil unique combine une grande expérience en diplomatie internationale de haut niveau et une expertise dans le domaine des technologies émergentes. Il a reçu de nombreuses récompenses internationales pour son engagement dans la sécurisation d’Internet. Il est très actif dans les domaines de la cryptotechnologie perturbatrice, de l’IA, de la blockchain, des objets connectés (IoT) et de la cybersécurité. Il est également expert en fusions-acquisitions, levées de fonds, introductions en bourse et en sociétés cotées. Il est coauteur du best-seller The transHuman Code.
Jean-Louis Gergorin
Membre honoraire du Conseil d’État et professeur à Sciences Po Paris, Jean-Louis Gergorin est le gérant de JLG Strategy, une société de conseil dans les domaines de l’aérospatial, de la défense et du cyber. Il a occupé plusieurs postes dirigeants tels que vice-président exécutif et membre du comité exécutif d’EADS (aujourd’hui Airbus) ainsi que directeur du Centre d’analyse et de prévision du ministère des Affaires étrangères. Il est ancien « trustee » et membre du Conseil d’administration de l’IISS. Cofondateur et membre du comité de pilotage de la French American Cybersecurity Conference, il est co-auteur avec Léo Isaac-Dognin de Cyber. La guerre permanente (2018). Il est diplômé de l’École polytechnique et de l’École nationale d’administration, et est ancien élève du Stanford Executive Program.
Randy Kotti
Chef de service économique de l’État pour la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et chargé de mission auprès du préfet, Monsieur Kotti contribue au développement économique et à la décarbonation des entreprises en région. Auparavant, il a été consultant pour la Banque mondiale sur des sujets d’inclusion financière et de stabilité bancaire au Moyen-Orient. Il a également travaillé pour Neoen en Australie, un développeur indépendant d’énergies renouvelables. M. Kotti est docteur en économie, ingénieur du Corps des mines, diplômé de l’École polytechnique et de Harvard Kennedy School.
Jim Bittermann
Correspondant européen pour CNN à Paris depuis 1996. Auparavant il a été correspondant à Paris pour ABC et à Paris et Rome pour NBC. Au cours de sa longue carrière en France, il a couvert toutes les campagnes présidentielles depuis 1981 et a beaucoup voyagé en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique pour couvrir de grands événements de l’actualité. Ses articles ont traité, entre autres, les famines au Soudan, la guerre du Golfe et l’effondrement de l’Union soviétique. Parmi les nombreux prix journalistiques qui lui ont été décernés, on peut compter des Emmys, récompenses de télévision américaines, et un prix de la Royal Television Society pour la couverture collective des attaques terroristes à Paris. Il est coprésident et cofondateur du European-American Press Club et il fait partie du jury du Overseas Press Club et des Emmy television news awards.
Lucas Chancel
Lucas Chancel est codirecteur du Laboratoire sur les Inégalités Mondiales, enseignant à Sciences Po et chercheur associé à l’Institut du Développement Durable et des Relations Internationales. Docteur en économie, il est l’auteur d’Insoutenables inégalités (2017), a été coordinateur du Rapport sur les inégalités mondiales 2018 et est l’un des principaux contributeurs du Rapport sur le Développement Humain des Nations Unies de 2019.
Golda El-Khoury
Directrice du Bureau de l’UNESCO à Rabat et Représentante de l’UNESCO pour le Maghreb depuis 2018, Golda EI-Khoury a rejoint l’UNESCO en 2009 en tant que Chef de Section de la jeunesse, du sport et de l’éducation physique. En 2012, elle a été nommée chef de la section de l’inclusion sociale. De 2002 à 2008, elle a occupé le poste de première conseillère régionale de l’UNICEF pour la jeunesse pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Auparavant, elle était Directrice de l’ONG Save the Children en Iraq, Egypte, Jordanie et Indonésie. Mme EI-Khoury est titulaire d’une licence en philosophie de l’Université Libanaise, ainsi que d’un Master en genre et développement de l’lnstitute of Development Studies de l’Université du Sussex.
Chiyuki Aoi
Chiyuki Aoi, est professeur de sécurité internationale à la Graduate School of Public Policy de l’Université de Tokyo. Elle est également professeur invité au Department of War Studies du King’s College de Londres. Récemment, elle a été membre du Conseil de sécurité et de défense du gouvernement Shinzo Abe, qui a conseillé la révision des lignes directrices du Programme de défense nationale publiées en décembre 2019. Ses recherches portent principalement sur la transformation de la guerre, notamment les technologies d’information et la communication stratégique, ainsi que la stratégie de défense japonaise. Elle a fait ses études à l’Université Sophia (licence), au Massachusetts Institute of Technology (Master) et possède un doctorat de l’Université Columbia.
Jean-François Thony
Procureur général près la cour d’appel de Rennes. Il rejoint le Programme des Nations Unies pour le contrôle international des drogues (PNUCID) à Vienne en 1991 comme conseiller juridique, puis directeur du Programme mondial contre le blanchiment. En 2002, il est détaché au FMI en qualité de sous-directeur des affaires juridiques et responsable du Groupe d’intégrité financière, créé après les attentats du 11 septembre 2001. Ancien président de la Conférence nationale des Procureurs généraux (2017-2019), Jean-François Thony est également président de l’Institut international de Syracuse pour la justice pénale et les droits de l’homme (Syracuse, Italie). Il a publié de nombreuses études et recherches sur le blanchiment de l’argent et le financement du terrorisme. Il est officier de l’Ordre de la Légion d’honneur.
Jean Alaux-Lorain
Investisseur dans le pôle d’amorçage industriel de Bpifrance. Auparavant, il a travaillé en conseil en fusion-acquisition au sein de BNP Paribas à Singapour et au sein de la division life sciences du groupe Dassault Systèmes en France. Haut-fonctionnaire français, il est ancien élève de l’École Normale Supérieure en mathématiques et ingénieur du Corps des Mines.
Laurent Marcadier
Magistrat de l’ordre judiciaire, Laurent Marcadier a d’abord occupé entre 1997 et 2004 des fonctions au Parquet de Créteil au sein du département en charge de la criminalité organisée (stupéfiants, armes, traite des êtres humains et contrefaçons). Il a ensuite successivement occupé les fonctions de Secrétaire général du Tribunal de Grande Instance de Paris puis de la Cour d’appel de Paris. Nommé en 2009 directeur de cabinet du Secrétaire d’Etat à la justice, il intègre ensuite le cabinet du ministre de l’Intérieur en 2011. En 2013, il rejoint le Groupe LVMH et sa holding en qualité de Directeur de la protection des actifs et des personnes. Il a notamment en charge la protection de 28 Maisons du Groupe contre la contrefaçon sur les marchés physiques, l’Internet et les réseaux sociaux.
Alain Juillet
Alain Juillet est Président de l’Académie de l’intelligence économique et de l’Association de lutte contre le commerce illicite (ALCCI). Après quelques années comme officier dans les forces spéciales, il a été Directeur du développement du Groupe Pernod Ricard, puis Directeur General d’entreprises agro alimentaires françaises et européennes, avant de terminer comme Directeur général de Marks and Spencer France. Il est aujourd’hui Conseiller senior du Cabinet d’avocats Orrick Huttington Sutcliffe. De 2002 à 2003, Mr Juillet a été directeur du renseignement à la Direction Générale de la Sécurité Extérieure au Ministère de la Défense, puis Haut responsable chargé de l’intelligence économique dans les services du Premier ministre jusqu’en 2009. En 2010 il a été promu Commandeur de la Legion d’Honneur. Il est aussi professeur dans des écoles de commerce et des universités françaises et étrangères en Intelligence économique, gestion de crise, sécurité et géo-économie.
Vergil Chitac
Sénateur, président de la Délégation roumaine à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN. Après avoir effectué des missions à bord de différents navires MCM de la marine roumaine, il a poursuivi sa carrière à l’Académie navale, dont il a été commandant de 2010 à 2016. Après avoir pris sa retraite de la marine en 2016, il a été élu sénateur du comté de Constanța, et a été nommé chef de l’équipe roumaine à l’AP-OTAN. Il possède un doctorat en architecture navale et est l’auteur de nombreux manuels et livres, ainsi que d’articles parus dans les annales scientifiques de diverses conférences nationales et internationales.
Pierre M’Pelé
Ambassadeur de Mercy Ships pour l’Afrique, Dr M’Pelé est médecin depuis 1982. Il est spécialisé en épidémiologie, santé publique, maladie infectieuses et en médecine tropicale. Entre 2007 et 2016, Dr M’Pelé a été Représentant résident de l’OMS dans plusieurs pays d’Afrique. Auparavant, il a notamment été président de la ”Society for Aids in Africa” (1995-2005), directeur du programme national de lutte contre le sida au Congo (1987-1998) et directeur du Laboratoire national de santé publique. Dr M’Pelé a publié en février 2019 sa première autobiographie : Itinéraire d’un médecin Africain, du commencement au début de la fin de l’épidémie du Sida en Afrique (éditions Maia France). Il est diplômé de l’Université de Paris.
Robert Dossou
Avocat au Barreau de Paris et actuellement au Barreau du Bénin, Président de l’Association Africaine de Droit International. Il est également membre du curatorium de l’Académie africaine pour la coopération régionale (Maroc) et membre du comité d’honneur de la Fondation René Cassin (France). Ancien Bâtonnier, Robert Dossou a été député, ministre du plan puis ministre des affaires étrangères. Ancien Président de la Cour Constitutionnelle du Bénin, expert-consultant, il a effectué et effectue encore diverses missions pour diverses organisations internationales : ONU, UA, CEDEAO, OIF…etc. Il est arbitre du commerce international. Président du Comité National Préparatoire de la Conférence Nationale du Bénin, il a à son actif plusieurs publications sur la démocratie, les droits de l’homme, la transition démocratique. Ancien enseignant à l’Université de Paris I puis à l’Université d’Abomey-Calavi (UAC BENIN), doyen honoraire de la Faculté de Droit et Sciences Politiques de l’UAC, il est également membre associé de l’Académie des sciences d’Outre-Mer (France), Grand officier de l’Ordre National du Bénin et Commandeur des Palmes académiques (France).
Vidéo. Michel Foucher : « L’Europe doit venir au monde »
Ambassadeur Michel Foucher, Chaire de Géopolitique mondiale au Collège d’études mondiales de la Fondation Maison des Sciences de l’Homme (Paris). Conseiller de la direction de la prospective du Ministère des Affaires étrangères et européennes. Directeur des études de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale (2009 à 2013). Michel Foucher a publié de nombreux ouvrages, dont « L’Europe, un dessein, un destin », éd. Marie B, 2019. Résumé de la vidéo par Joséphine Boucher pour Diploweb.com.
Venir au monde c’est suivre le conseil de Machiavel qui dit : sortez de chez vous et considérez ceux qui vous entourent. Savoir d’où on vient et ce qui a présidé aux origines de la communauté économique devenue Union européenne fonde aussi une conscience tragique historique puissante. Et demain ? Une passionnante conférence prononcée dans le cadre du Festival géopolitique. Vidéo accompagnée d’un résumé rédigé par Joséphine Boucher pour Diploweb.com.
« L’Europe doit venir au monde » : le titre choisi pour cette conférence porte un double sens. Venir, c’est aller vers mais c’est aussi advenir au monde, puisque l’ouverture nécessaire de l’Europe sera la condition de son existence. Pour illustrer cela, la formule suivante émise par le politologue et diplomate américain Henry Kissinger (1923 – ) semble résumer l’ensemble de la problématique de cette conférence : « L’Europe ne peut pas se couper de sa quête contemporaine pour un ordre mondial en faisant de sa construction interne son objectif géopolitique ultime. »
Venir au monde, c’est confronter et non pas subir et c’est aussi raisonner à une autre échelle que les échelles de référence habituelles. L’enjeu aujourd’hui est d’ajouter une échelle de référence à celles qui ont précédé, à savoir le franco-allemand, l’échelle continentale avec l’élargissement de 2004 ou encore l’euro-méditérranée. Penser la coopération européenne à l’échelle mondiale ne va pas de soi, car sur tous les sujets, les désaccords sont plus importants que les accords. Il faut donc élaborer une revue stratégique de tous les défis d’échelle mondiale pour savoir dans quelle mesure on est en accord ou pas.

S’il est intéressant de parler de géopolitique, il convient aussi de traiter de l’Histoire en revisitant les grands récits fondateurs de la construction européenne. L’historien britannique Tony Judt rappelle à ce titre que pour que l’invention européenne soit possible, « il a fallu que des dirigeants éclairés créent des institutions à vocation prophylactique capables de tenir le passé en respect des nationalismes extrêmes. L’Europe post-nationale, pacifique et coopérative de nos Etats Providence n’est pas née du projet optimiste qu’imaginent aujourd’hui de manière rétrospective les euro-idéalistes. La construction européenne est la fille vulnérable de l’angoisse. » Telle est la matrice fondatrice du projet européen, qu’il ne faut pas oublier aujourd’hui. En effet, depuis le premier jour, dès la fin de la Seconde Guerre Mondiale, la construction européenne s’est développée dans un contexte mondial. Véritable club de vaincus mis à part les Britanniques, la construction européenne est énoncée dans ses principes par W. Churchill (1874-1965) dès le 19 septembre 1946. Il affirme ce jour là que « la première étape de la recréation de la famille européenne doit être un partenariat entre la France et l’Allemagne. (…) La Grande-Bretagne, le Commonwealth des nations britanniques, la puissante Amérique et j’en suis convaincu la Russie soviétique (…) doivent être les amis et les parrains de la nouvelle Europe ». De plus, les situations mondiales successives ont toujours été à l’horizon de la construction européenne. Si la France signe le traité de Rome en 1957, c’est à cause du contexte des indépendances de quelques anciennes colonies et c’est avec le pivot européen de de Gaulle que la puissance française se projette de l’empire colonial au champ européen. C’est ainsi qu’ont été créées une communauté de droit, une puissance juridique et une véritable fabrique de la règle. Pourtant, cette communauté ne semble pas préparée à l’événement au sens d’Hannah Arendt.
Intéressons-nous désormais aux questions structurelles et aux valeurs européennes dans un contexte international brutal et dans un ordre mondial redéfini. Quelle est la place actuelle de l’Europe entre rivalités, formation de blocs, démontage de l’ordre international libéral et compétition beaucoup moins militaire que géotechnologique ? Dans cet ordre mondial, il est impossible de ne pas traiter de la Chine. En voulant devenir une référence en termes de normes, elle rivalise avec les Etats-Unis et l’Europe dans tous les compartiments de la puissance et est en train de créer un système mondial alternatif à travers ses banques de développement, le rattrapage militaire et tout un travail de méthodologie qui comprend des jumelages avec des régions, des villes, des firmes et autres ports italiens et slovènes. Alors, quel est l’impact de cette réalité pour l’Union européenne ? En tant que première puissance commerciale du monde, elle est d’abord un marché mais aussi une cible. Qui contrôle l’Europe contrôle le monde, selon la déclaration d’un haut responsable de la politique étrangère du comité central du parti communiste chinois. Entre achats et investissements multiples en Europe au nom d’idéologies néo-libérales, des pays comme l’Allemagne ont mis en place des changements de législations pour empêcher la prise de contrôle d’actifs stratégiques. Cette forme de réveil pour protéger les industries nationales s’accompagne aussi d’une prise de conscience du ciblage dans les Balkans. Cependant, force est de constater qu’il n’y a pas de réponse européenne à cette politique chinoise. Face à la puissance américaine qui s’accroche à ses éléments de puissance que sont l’extra-territorialité, le dollar, le budget militaire, les bases militaires et le soft power, elle semble participer au réveil d’une conscience géopolitique en Europe et à l’idée d’autonomie stratégique. Sur le plan commercial, l’Europe est en position de force mais elle se trouve en position de faiblesse en termes d’extra-territorialité du droit comme en témoigne le conflit autour de la 5G. Il va donc falloir se situer dans le cadre européen face à un paramètre structurant pour 30 ans. Quant à la Russie, c’est une puissance militaire, diplomatique, nucléaire et d’influence mais c’est aussi un pays très sensible aux sanctions pour lequel l’Union européenne constitue et reste le premier débouché commercial, notamment pour le gaz et le pétrole. Il semble nécessaire de reprendre le dialogue des deux côtés entre les deux entités. Enfin, l’environnement du Maghreb et du Proche-Orient a beaucoup de conséquences directes dans tous les domaines. L’UE se retrouve définitivement hors-jeu au plan diplomatique au Moyen-Orient. Il faut en fait laisser les puissances régionales se réorganiser et rétablir l’ordre. Ce sont elles qui possèdent la vraie maîtrise du terrain, et les Européens peuvent de leur côté essayer de faire circuler des idées sur un système de sécurité régionale sur le modèle de Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) devenue en 1994 l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Il est clair que les Occidentaux et surtout les Européens n’ont plus aucun poids politique au Proche et au Moyen Orient. S’il s’agit bien de notre voisinage critique, ce n’est pas cela qui a réveillé la conscience géopolitique européenne mais plutôt la remise en cause géopolitique de l’alliance par les Etats-Unis de Donald Trump (2017 – ).

Structurer et improviser : ce sont là deux termes clés pour décrire l’Europe d’aujourd’hui. Ainsi, la crise grecque a finalement été surmontée au prix d’un choix politique par Angela Merkel de ne pas faire sortir la Grèce de la zone euro, même provisoirement. En ce qui concerne le Brexit (2016 – ), il faut rappeler qu’il ne s’agit pas d’un problème européen mais d’un problème britannique, celui du parti conservateur et du parti travailliste. Il a même renforcé l’Union européenne en témoignant de la cohésion des 27. Contrairement à tout ce qui est dit à ce propos, ce n’est donc pas une crise de l’UE mais la stratégie d’une petite fraction des conservateurs nostalgiques de l’Empire. Par ailleurs, si l’on veut aborder le sujet des problèmes internes autour des souverainismes et autres populismes, il convient de noter qu’ils concernent seulement certains Etats et non pas l’ensemble des 27 ou des 28. Qu’est ce que le populisme ? Au lieu d’une idéologie, il s’agit plutôt d’un style qui explique au peuple qu’il y a des solutions simples aux problèmes compliqués, à travers des outils simples comme le référendum et les réseaux sociaux. Est ainsi entretenue une forme de fantasme d’un peuple élu et homogène contre des dirigeants qui comploteraient contre eux. Ce style de campagne permanente met en scène des ennemis verticaux, à savoir l’Union européenne, et des ennemis horizontaux que sont l’autre et l’immigré. Pour saisir tous ces enjeux, il faudrait prêter plus d’attention aux cartes électorales. En effet, les cartes du Brexit, du Front National aux présidentielles de 2017, de l’Alternative pour l’Allemagne (en allemand : Alternative für Deutschland, AFD) dans les anciens länder allemands de l’est du pays, du vote 5 Etoiles et du vote de la Ligue en Italie disent quelque chose et définissent en réalité des zones prioritaires d’action qu’il faudrait prendre en compte. En ce qui concerne le cas polonais, il s’avère assez particulier dans la mesure où il traduit une réaction conservatrice face à une modernisation rapide, dans un pays où l’Eglise catholique a un rôle prépondérant, est une puissance financière et d’influence considérable. Elle exprime un certain malaise d’une partie de la population face à la modernisation accélérée d’un pays qui par ailleurs a un taux de croissance économique supérieur à 5%.
Suite aux élections européennes de mai 2019, peut-être pourra-t-on espérer que le Parlement européen devienne un véritable parlement, c’est-à-dire un lieu de débat. Jusqu’à maintenant, diverses coalitions rassemblaient le Parti Populaire Européen, les Socialistes européens, les Libéraux et les Verts. Cette forme de parallélisme convergent des nuances cache une absence de débat sur le fond. Il y aura sans doute après les élections des groupes dispersés qui apporteront la contradiction au projet européen habituel et connu à travers des débats, obligeant alors les pro-européens à mieux préciser les finalités de la coopération, ce dont ils se dispensent actuellement.
Finalement, il est possible de parler d’une véritable prise de conscience de ce que Michel Barnier appelle les intérêts partagés des Européens, c’est-à-dire que le monde ne leur est pas spontanément favorable et qu’ils ont des intérêts à promouvoir et à protéger. Pourtant, c’est au moment où commence à s’éveiller une conscience géopolitique qu’il y a des faiblesses internes. Autrement dit, l’Europe de l’Union progresse en tant qu’alliance d’intérêts objectifs mais elle est mise en cause comme union des valeurs.
Pour conclure, venir au monde c’est suivre le conseil de Machiavel (1469-1527) qui dit : sortez de chez vous et considérez ceux qui vous entourent. Mais comment convaincre la jeunesse de l’utilité de l’UE quand elle a tant de mal à s’incarner ? La réponse se trouve dans Education européenne (1945) de Romain Gary (1914-1980), qui rappelle la longue durée de cette coopération entre Etats nations qui ne va pas de soi. Car il faut répéter à la nouvelle génération que ça n’est pas un acquis pour qu’elle en soit consciente et qu’elle puisse prendre le relais et assumer sa part d’Europe. Enfin, n’oublions pas l’importance de l’Histoire et de la longue durée. Savoir d’où on vient et ce qui a présidé aux origines de cette communauté économique devenue Union fonde une conscience tragique historique puissante. Or, comme l’a fait remarquer l’ancien vice-président du Conseil d’Etat Jean-Marc Sauvé, tout se passe comme si « le consensus anti-totalitaire qui a présidé à la naissance du projet européen n’était plus partagé par tous. »
Joséphine Boucher pour Diploweb.com
Publié le 21 août 2019
Kervasdoué – Du CETA aux particules ultra-fines, comment de vraies questions sanitaires ou environnementales se transforment de plus en plus en peurs irrationnelles
Que ce soit à la suite du rapport de l’Anses sur les dangers sur la santé des particules ultra-fines dans l’air ou à propos des normes sanitaires qui sont prévues dans le cadre du CETA, la quête de perfection en matière de santé est de plus en plus sensible dans le débat public.
Atlantico : Le rapport de l’Anses sur les dangers sur la santé des particules ultra-fines dans l’air ou le sujet des normes sanitaires prévues dans le cadre du CETA mettent en lumière la quête de perfection en matière de santé, de plus en plus sensible dans le débat public. N’y a t-il pas un manque, dans le débat d’opinion, d’appréciation rationnelle des risques sanitaires, qui peuvent être réels mais qui doivent être mesurés avec plus de nuances ?
Jean de Kervasdoué : Le rapport savant et détaillé de l’ANSES illustre la qualité des travaux récents en matière de santé et d’environnement, mais aussi les dérives de cette expertise, comme celles du principe de précaution.
Après une analyse approfondie des normes internationales en matière de particules ultrafines, fines ou grossières, de produits chimiques (sulfates, nitrates, ammonium …), de métaux (nickel, zinc, cuivre, vanadium …), de poussières diverses, d’émanation des moteurs à explosion, du charbon, du pétrole … ce rapport recense les études internationales qui montrent que, dans certaines conditions, une dose plus ou moins élevée de ces substances dans l’air peut avoir un effet soit sur la santé des animaux de laboratoire, soit sur celle des enfants, soit sur des sujets asthmatiques … La cible varie donc selon les études.
Remarquons tout d’abord que ce rapport néglige la source de loin la plus dangereuse de pollution de l’air pour les asthmatiques : le pollen ! Peut-être parce que cette pollution est « naturelle » et ses effets autrement sensibles.
Mais l’essentiel de ce rapport, on ne peut plus précautionneux, est qu’il extrapole les effets de ces polluants à des populations dont le degré d’exposition n’est pas mesuré, en supposant de surcroit que l’effet toxique est linéaire, ce qui reste à démontrer. Il aboutit ainsi, une fois encore, à une estimation absurde de 40 000 à 70 000 décès prématurés dus à la pollution de l’air, alors que la dernière estimation de l’effet sanitaire des cancers potentiellement évitables en France, le 25 juin 2018, le Bulletin hebdomadaire du CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer) soutient que les cancers attribuables à la pollution atmosphérique ne sont plus que 1466.
Bien entendu, il faut réduire la pollution atmosphérique, mais à quel coût ? En interdisant toute activité économique et tout transport par les véhicules propulsés par un moteur à explosion ? En interdisant toute cuisine au gaz dans une atmosphère confiné ? En exportant chez les autres la pollution comme le font les Japonais qui développent des moteurs à hydrogène chez eux en oubliant que ce gaz liquéfié a été fabriqué en Australie grâce à des centrales à charbon ?
Pourquoi ces estimations irréalistes ? Parce qu’en France sévit à la fois le principe de précaution, principe sans limite pour tout risque qui n’a pas besoin d’être avéré, principe absurde qui prétend prendre pour un risque incertain des mesures « proportionnées ». Proportionnées à quoi ?
Le coût de ces précautions hasardeuses est considérable et est, notamment, la cause principale de la baisse de nos exportations de produits agricoles.
Dans le privé, nos concitoyens sont probablement moins regardant sur les pratiques et les consommations nocives. Comment expliquer ce phénomène de psychologie collective (peur dans le domaine public, et relative irresponsabilité dans le privé) ?
Les humains sont très sensibles aux risques subits et notamment aux conséquences pour eux des comportements des autres, pondèrent très différemment les risques choisis et de surcroît, dans ce dernier cas, cela se fait sans grande logique. Il serait intéressant, par exemple, de savoir combien d’adeptes d’une alimentation « bio » – au bénéfice nutritionnel non démontré – fument ou pratiquent les sports de montagne. De même, je me souviens d’une journaliste m’expliquant comment elle faisait venir à grand frais de la viande « bio », tout en m’accompagnant pour fumer sa dixième cigarette de la matinée.
Ceci a toujours existé. Ce qui est nouveau, c’est à la fois la coupure des populations urbaines du monde agricole et la disparition des rites et des rythmes alimentaires. Les urbains mythifient une nature qu’ils croient bonnes. En outre, omnivores, redoutant donc toute alimentation, ils ne sont plus guidés par les rites religieux et les rythmes des repas pris en famille. A Paris, 25% des habitants ne préparent plus jamais de repas et cherchent ce qu’ils croient être bon pour leur santé.
En outre, comme la doxa de l’écologie politique diffuse dans la très grande majorité des médias, ces croyances sont renforcées par notre très naturel biais de confirmation : tout homme cherche les faits qui semblent confirmer ses croyances et ignorent ceux qui les remettent en cause. Contrairement à Saint-Thomas, on ne voit que ce que l’on croit.
Enfin, on confond risque (le fait d’avoir un couteau chez soi) et danger (celui d’être poignardé). Or, le principe de précaution voudrait nous faire croire que l’on pourrait vivre sans risque.
En quoi est-ce que l’importance donnée dans le droit au principe de précaution a aussi une influence sur cette question ?
Incapable de réduire le chômage, la classe politique a laissé entendre qu’elle allait pouvoir protéger la population de tout. Ainsi, les assurances sociales sont devenues la sécurité sociale et celle-ci s’est transmutée en protection sociale. Comme cela ne suffisait pas est venu le principe de précaution, dont les écologistes politiques, anticapitalistes et apôtres de la décroissance définissent les thèmes, les règles et les solutions et ainsi nourrissent l’agenda politique et confortent les croyances de la population. S’ils trouvent un terrain fertile, c’est parce que derrière toutes ces croyances se cachent le refoulement de la mort et la promesse, avec l’OMS, de la santé parfaite, « état complet de bien-être psychique, physique et mental, et pas seulement absence de maladie ».
Pourtant tout n’est pas affaire d’opinion. Si les vérités scientifiques sont provisoires, leur évolution, voire leur révolution, se produisent grâce à un processus complexe. Certes les scientifiques font mourir leurs hypothèses à leur place, mais leur débat est d’une autre nature et même si vous croyez que tout est relatif, quand vous appuyez sur la commande d’un téléviseur, vous voyez une image ! Terminons par une citation de Marie Curie. « Notre société, où règne un désir âpre de luxe et de richesses, ne comprend pas la valeur de la science. Elle ne comprend pas que celle-ci fait partie de son patrimoine moral le plus précieux, elle ne se rend pas non plus suffisamment compte que la science est la base de tous les progrès qui allègent la vie humaine et en diminuent la souffrance ».
Avec Jean de Kervasdoué
Publié le 18 juillet 2019 par Atlantico
Renaud Girard : « Le cancer islamiste s’incruste dans le monde »
CHRONIQUE – Depuis 2001, le cancer islamiste a plus progressé que régressé dans le monde. La contre-offensive occidentale a globalement échoué.
Presque une génération a passé depuis les attentats islamistes du 11 septembre 2001 à New York et Washington. À l’époque, du fait d’un nombre comparable de victimes américaines, les analystes du monde entier avaient comparé cette attaque à celle du 7 décembre 1941 à Pearl Harbor. Mais il fallut moins de quatre ans aux États-Unis pour détruire la menace nippone, et quelques années de plus pour transformer l’Archipel en allié stratégique en Asie, ce qu’il demeure aujourd’hui. Contrairement à leurs lointains prédécesseurs japonais, les kamikazes du 11 Septembre n’avaient pas d’État à défendre, seulement une idéologie à répandre. Force est de reconnaître que, malgré les moyens gigantesques mis par l’Amérique de George Bush dans sa contre-offensive, ces djihadistes, pour la plupart saoudiens, n’ont pas échoué dans leur opération de propagande. Depuis 2001, le cancer islamiste a plus progressé que régressé dans le monde. La contre-offensive occidentale a globalement échoué.
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La suite de la chronique de Renaud Girard est disponible sur Le Figaro.
Renaud Girard
Publié le 15 juillet 2019 dans Le Figaro
Renaud Girard : « Il faut une stratégie industrielle française »
CHRONIQUE – La France n’a eu que de modestes «politiques industrielles», qui n’ont jamais servi qu’à placer des sparadraps dans des secteurs structurellement condamnés, afin d’afficher le sauvetage (toujours provisoire) de quelques emplois.
Il y a vingt ans, les Chinois admiraient encore l’industrie française. Ils nous enviaient nos «quatre A»: Alstom, Alcatel, Airbus, Areva. Aujourd’hui,ils ne nous en envient plus qu’un seul A. C’est Airbus, dont ils essaient de soutirer les secrets technologiques par tous les moyens.
Il y a seulement une génération, Alcatel caracolait dans le monde comme la plus brillante entreprise de télécommunications. Elle a fondu, à coups de dépeçages, de plans sociaux, de fusion, d’absorption. Aujourd’hui avalée par Nokia, elle n’est plus que l’ombre de ce qu’elle fut. Parallèlement, Huawei, qui n’était à l’époque qu’un distributeur provincial chinois, est devenu un géant technologique mondial, en avance sur tous ses concurrents en matière de 5G.
Quelle explication à ce désastre pour l’économie et l’emploi français? Les Chinois ont une stratégie industrielle, alors que la France n’en a pas. […]
La suite de la chronique est disponible sur Le Figaro.
Renaud Girard
L’adieu au monde plat
PARIS – Il y a cinquante ans, on pensait que le monde n’avait rien de plat. Les pays riches dominaient les pauvres et aucune lueur n’annonçait un avenir meilleur : au fil des années les riches allaient s’enrichir d’avantage et les pauvres, s’appauvrir, au moins en termes relatifs. Des économistes comme Gunnar Myrdal en Suède, Andre Gunder Frank aux Etats-Unis et François Perroux en France annonçaient l’augmentation des inégalités entre pays, le développement du sous-développpement et le renforcement de la domination économique. Commerce international et investissements étrangers étaient considérés avec suspicion.
Ces théories ont été démenties par les faits. Le phénomène le plus important des cinquante dernières années est le rattrapage économique d’un ensemble de pays pauvres. Comme l’a montré Richard Baldwin du Graduate Institute de Genève dans un livre éclairant, The Great Convergence, ses moteurs principaux ont été le commerce international et la chute spectaculaire du coût de la mobilité des idées – ce qu’il appelle la « deuxième séparation » (entre maîtrise de la technologie et localisation de la production). D’une formule saisissante Thomas L. Friedman, du New York Times, a résumé cette nouvelle donne en 2005 : le monde est plat.
Ce nivellement des relations économiques internationales ne se limitait d’ailleurs pas à la connaissance, aux échanges et aux investissements. Il y a vingt ans, la plupart des chercheurs tenaient aussi les taux de change flottants pour un puissant facteur d’égalisation : grâce à eux, disait-on, chaque pays, petit ou grand, pouvait déterminer sa propre politique monétaire, dès lors que ses institutions de politique économique étaient solides. C’en était fini de la hiérarchie caractéristique des régimes de changes fixes. Même les flux de capitaux ont été considérés, fût-ce brièvement, comme un facteur potentiel d’égalisation. Le Fonds Monétaire International n’a-t-il pas envisagé, en 1997 de faire de leur libéralisation un objectif général ?
À la limite, dans ce monde, les États-Unis n’étaient guère qu’un pays plus gros et plus avancé que les autres. Bien sûr, cette image était exagérée. Mais les responsables politiques américains d’alors avaient eux-mêmes tendance à relativiser la singularité de leur pays et le poids démesuré des responsabilités correspondantes.
Et voici, cependant, que le monde paraît à nouveau changer de tournure. À l’heure de l’économie immatérielle, des réseaux numériques et de la finance globalisée, centralité et hiérarchies s’imposent à nouveau. Se révèle un nouveau monde qui n’a plus l’air plat du tout. Il est au contraire hérissé de pointes.
La première raison de ce changement de perspective est que dans une économie toujours plus numérique, où une part croissante des services est produite à un coût marginal nul, la création de valeur et la captation de la valeur se concentrent dans les lieux d’innovation et d’investissement immatériel, au détriment des sites de production.
Les réseaux numériques contribuent également à cette asymétrie. Il y a encore quelques années, on présumait souvent que l’internet allait devenir un réseau global point à point, dépourvu de centre. En fait, il a évolué vers un système hiérarchisé de type « moyeu et rayons ». La raison de cette évolution est avant tout technique : une telle structure est plus efficace. Mais comme l’ont récemment souligné dans un passionnant article deux spécialistes de science politique, Henry Farrell et Abraham Newman, un réseau structuré procure un avantage considérable à tous ceux qui en contrôlent les nœuds.
Cette même structure en étoile se retrouve dans d’autres domaines. La finance en présente un cas particulièrement clair. La crise financière globale a mis en évidence la centralité de Wall Street dans le réseau financier mondial, au point qu’une série de défauts dans un segment mineur du marché du crédit immobilier américain a pu contaminer l’ensemble du système bancaire européen. Elle a également révélé la dépendance des banques internationales au billet vert, et leur besoin d’accès à la liquidité en dollar. La carte des facilités de crédit accordées par la Réserve fédérale américaine à une série de banques centrales partenaires pour les aider à répondre à cette demande de liquidité fournit une image saisissante de la hiérarchie du système monétaire international.
Cette nouvelle prise de conscience de l’interdépendance internationale comporte deux conséquences majeures. La première est purement économique : les asymétries internationales croissantes sont devenues un sujet de recherche. Hélène Rey de la London Business School a réfuté l’idée dominante selon laquelle des taux de change flottants mettent les pays qui les adoptent à l’abri des aléas des cycles monétaires américains. Elle affirme au contraire que la seule manière pour un pays de se protéger d’entrées et de sorties de capitaux déstabilisantes consiste soit à piloter fermement l’évolution du crédit, soit à avoir recours au contrôle des changes.
Dans un esprit analogue, Gita Gopinath, aujourd’hui économiste en chef du Fonds Monétaire International, a mis l’accent sur la dépendance de la plupart des pays vis-à-vis du taux de change du dollar. Alors que l’approche usuelle considérait le taux de change entre le won et le réal comme le déterminant principal du commerce entre la Corée et le Brésil, la réalité, dans la mesure où les échanges de ces pays sont le plus souvent libellés en dollar, est que leurs taux de change vis-à-vis du dollar jouent un rôle plus significatif que leur taux de change bilatéral. A nouveau, ceci souligne la centralité de la politique monétaire américaine pour tous les pays, indépendamment de leur taille.
Dans ce contexte, la répartition des bénéfices de l’ouverture et de la participation à l’économie globale est de plus en plus biaisée. De plus en plus de pays se demandent quel est leur intérêt à participer à un jeu dont les gains ne sont pas distribués de manière égale, et qui leur fait perdre leur autonomie macroéconomique et financière. Le protectionnisme reste une lubie dangereuse. Mais il est devenu plus difficile d’argumenter pour l’ouverture économique.
L’autre conséquence est géopolitique : un système économique global plus asymétrique affaiblit le multilatéralisme. Il suscite au contraire une lutte pour le contrôle des nœuds de connexion des réseaux internationaux. De manière éloquente, Farrell and Newman parlent de « militarisation de l’interdépendance » pour décrire la transformation de structures économiques efficaces en machines à concentrer le pouvoir.
La brutalité avec laquelle Donald Trump utilise la centralité du système financier américain et du dollar pour contraindre ses partenaires économiques à se conformer aux sanctions économiques imposées de manière unilatérale à l’Iran ont suscité dans le monde entier une prise de conscience : le prix à payer pour l’interdépendance économique asymétrique est élevé. À coup sûr, la réplique de Pékin sera de se battre pour mettre en place ses propres réseaux et s’assurer du contrôle de leurs points de connexion. Ici encore, la victime risque d’être le multilatéralisme.
Un nouveau monde commence à émerger, dans lequel il sera très difficile de séparer l’économique du géopolitique. Un monde qui ressemble davantage à celui de Game of Thrones qu’au « monde plat » de Friedman.
Par Jean Pisani-Ferry
Publié le 1er juiller 2019 dans Project Syndicat
Thomas Gomart : « Les diplomaties occidentales et européennes ont oublié la vertu cardinale de la prudence »
Thomas Gomart publie « L’affolement du monde : 10 enjeux géopolitiques » aux éditions Tallandier. Jean-Yves Le Drian a remis le Prix du livre géopolitique 2019 à Thomas Gomart le 18 juin dernier pour cet ouvrage. En exclusivité pour Atlantico, il décrypte les instabilités géopolitiques.
Atlantico.fr : Contrairement à ce qui est généralement admis, vous affirmez que l’Europe et les États-Unis sont davantage responsables des instabilités géopolitiques actuelles que de la Chine et de la Russie. Comment expliquer cette situation ?
Thomas Gomart : Ce que je dis est un peu différent. Le risque géopolitique a été inventé par les Européens et les Américains pour apprécier les trajectoires d’émergence d’un certain nombre de pays. Or, aujourd’hui, ce sont les Etats-Unis et l’Union européenne qui représentent un risque géopolitique dans la mesure où ils portent plus d’incertitudes que de certitudes.
En ce qui concerne les Européens sur la cohésion de l’UE et pour les Etats-Unis sur la trajectoire qu’ils peuvent suivre. Ces incertitudes créent un effet de contraste avec les régimes autoritaires que sont la Chine et la Russie. Un effet de contraste qui, à mon avis, crée un effet de trompe l’œil.
Au bilan, on a une instabilité globale qui s’est accentuée en raison du changement de cap des Etats-Unis et de l’Europe, mais pas seulement.
Pour chaque puissance internationale (USA, Europe, Russie, Chine), vous détaillez la « conception du monde » qui correspond. L' »affolement du monde », provient-il du choc entre ces conceptions ou de la divergence de chacune par rapport au modèle occidental et libéral ?
Les deux. Effectivement, quand on regarde la conception du monde chinoise et qu’on la met en perspective, ce qui est certain, c’est qu’il y a une volonté de retrouver la centralité qu’occupait la Chine dans le monde à travers l’histoire. Du côté américain l’histoire est plus récente, mais est marquée par un leadership exercé pendant la deuxième partie du 20e siècle. La Russie repose sa vision sur le concept de solitude stratégique.
Ces trois exemples et les effets de choc qu’ils induisent montrent que le modèle de gouvernance que les Européens ont inventé et qu’ils pensaient voir se répandre est de plus en plus contesté par les logiques de puissance précédemment décrites.
Selon vous, il est difficile d’aborder sereinement le sujet russe depuis l’annexion de la Crimée en mars 2014. De manière générale, l' »affolement du monde » ne proviendrait-il pas finalement de notre incapacité à traiter les problèmes avec pragmatisme, sang-froid et lucidité ? À quoi ce manque de pragmatisme est-il dû ?
L’affolement du monde est davantage éprouvé en Europe qu’ailleurs. Il y a eu de la part des diplomaties occidentales et européennes en particulier l’oubli de la vertu cardinale qu’est la prudence. En ce qui concerne la Russie c’est un problème important pour les Européens car nous avons un voisinage partagé mais la Russie est un problème secondaire sur la scène internationale si on compare avec les événements qui secouent le Moyen Orient et l’Asie Pacifique.
Aujourd’hui, quand on regarde la composition du nombre de membres permanents du Conseil de sécurité, il ne reflète plus les rapports de force globaux. À mon avis, à terme, la France, le Royaume-Uni et la Russie risquent d’être vus de manière de plus en plus illégitime de la part des puissances émergentes.
Cette absence de prudence s’explique sans doute par la perte d’une culture historique et d’une vision de moyen et de long terme : c’est le triomphe de l’immédiateté et de la communication. L’idée selon laquelle une politique étrangère se construit sur la durée se perd. Plus réactifs que créatifs, les Européens sont dans une immédiateté politique qui les empêche de penser même le moyen terme. Cela accompagne l’émergence de leaders qui n’ont pas forcément la profondeur nécessaire pour saisir des politiques de puissance inscrites dans la durée. Ces leaders sont souvent pris dans un temps politique contaminé par le temps médiatique.
Vous faites référence dans votre ouvrage à plusieurs auteurs de philosophie politique, et notamment Machiavel qui ouvre et conclut votre analyse. En quoi l’auteur du Prince donne-t-il des clés de lecture unique du monde contemporain ?
Machiavel venait écouter Jérôme Savonarole au couvent saint-Marc à Florence. Il y a une opposition pour moi entre deux types de pensée. La prédication qui fustige du Dominicain et la pensée qui dévoile les mécanismes du pouvoir chez Machiavel.
De plus, il ne faut pas oublier que Machiavel a personnellement éprouvé le mal et nous rappelle en permanence que le mal est plus significatif que le bien en politique. C’est une manière de dire que l’Historie est tragique. Ce tragique, il faut l’avoir en tête pour éviter qu’il ne se reproduise. Nous sommes face à une sorte d’amnésie dans le cadre des relations internationales qui me semble dangereuse au regard de la brutalité des temps.
Par ailleurs, Machiavel rappelle des principes élémentaires d’organisation du pouvoir. Un de ses préceptes doit toujours être conservé à l’esprit : la solidité d’un Etat dépend de celle de ses forces armées.
Renaud Girard : « Iran-USA : Macron et Abe doivent agir, vite ! »
Emmanuel Macron, en visite officielle au Japon, aura tout le temps pour travailler sérieusement, avec le premier ministre Shinzo Abe, sur la crise du Golfe persique.
Par une ruse positive de l’Histoire, le 26 juin 2019, se retrouveront, en tête-à-tête à Tokyo, les deux leaders les plus à même de bâtir une médiation entre Américains et Iraniens, pour mettre fin à leur dangereuse escalade actuelle, qui risque d’embraser le Moyen-Orient.
Emmanuel Macron, en visite officielle au Japon, aura tout le temps pour travailler sérieusement, avec le premier ministre Shinzo Abe, sur la crise du Golfe persique. Ce n’est en effet que le 28 juin que commence le sommet du G 20 d’Osaka, auquel participera Donald Trump.
Après que, le jeudi 20 juin, les Iraniens eurent abattu un drone de surveillance de l’US Navy (survolant les eaux iraniennes selon Téhéran, les eaux internationales selon le Pentagone), la planète frôla de près le déclenchement d’une quatrième guerre du Golfe, en l’espace de quarante ans. […]
La suite de la chronique de Renaud Girard est disponible sur Le Figaro.
Renaud Girard
Election municipale à Istanbul : « Erdogan doit faire preuve d’une certaine ouverture »
La victoire d’Ekrem Imamoglu à la mairie d’Istanbul va contraindre le président Erdogan à davantage d’ouverture pour ne pas s’isoler, estime Dorothée Schmid, spécialiste des questions turques.
L’écrasante victoire dimanche de l’opposition face au candidat de Recep Tayyip Erdogan aux élections municipales d’Istanbul est un avertissement pour le président turc, estime Dorothée Schmid, chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI), spécialiste des questions turques.
Comment expliquer ce large revers du parti d’Erdogan aux élections municipales d’Istanbul dimanche ?
DOROTHÉE SCHMID. Il y a de nombreux facteurs. Les problèmes de politique extérieure de la Turquie, c’est-à-dire sa relation extrêmement orageuse avec les Etats-Unis ou ses difficultés militaires en Syrie, pèsent très fortement. La Turquie doit aussi se sortir de la crise économique dans laquelle elle est plongée. Tout cela donne l’impression d’un pouvoir à bout de souffle avec trop de dossiers difficiles à gérer à la fois. Pour la première fois, on sent que le colosse est beaucoup plus fragile qu’il y a deux ou trois mois.
Le manque de démocratie en Turquie a-t-il pu jouer dans la récente défaite de l’AKP, le parti d’Erdogan ?
Peut-être, mais il y a un climat liberticide en Turquie depuis longtemps déjà avec les manifestations anti-Erdogan de 2013. Il s’est renforcé avec la tentative de coup d’Etat manqué de 2016.
Que va concrètement changer cette élection municipale ?
C’est la première fois que les partis d’opposition à Erdogan arrivent à s’allier contre l’AKP, en surmontant leurs divisions. On retrouve trois groupes dans cette alliance : le CHP, c’est-à-dire le parti kémaliste de Imamoglu, quelques dissidents du parti nationaliste et le soutien d’une partie des Kurdes. Mais, le parti kémaliste doit maintenant se réformer et tenir la route après sa victoire aux municipales.
Quelle stratégie pourrait appliquer Erdogan face à ce nouveau concurrent qu’est Imamoglu ?
Erdogan a commencé sa carrière politique à Istanbul, c’est l’homme du peuple stambouliote. Cette défaite de l’AKP a donc été un choc symbolique. On a l’impression qu’il est à bout de souffle, usé. Il sera peut-être obligé de lâcher du lest. Mais le président turc est aussi capable de retournement de situation impressionnant. Le grand défi pour Erdogan, c’est de ne pas s’isoler. Il doit faire preuve d’une certaine ouverture, pratiquer le pouvoir avec plus de collégialité au sein de son parti pour éviter une dissidence.
Erdogan et Imamoglu, c’est finalement un choc entre deux personnalités très différentes ?
Oui, Erdogan joue sur le clivage et passe son temps à insulter son adversaire. Pour lui, le nouveau maire est une sorte de bobo qui n’a pas compris les besoins du vrai peuple d’Istanbul. Il le traite même de terroriste. À l’inverse, Imamoglu est quelqu’un d’assez atypique et dynamique. Il est jeune, utilise beaucoup les réseaux sociaux et parle aux minorités. Les électeurs sont satisfaits d’avoir une tête différente de celle d’Erdogan : Imamoglu incarne une nouvelle génération de politiciens plus modernes.
Peut-il être un concurrent sérieux pour Erdogan en 2023 ?
Depuis qu’Imamoglu est sorti du bois, tout le monde a cela en tête et considère qu’il a un très bon profil pour être candidat. J’imagine aussi qu’Erdogan y pense, dans ses pires cauchemars ! Mais il peut se passer tellement de choses en l’espace de trois ans… La Turquie est un pays qui bouge vite.
Publié le 24 juin 2019 dans Le Parisien
Hubert Védrine : « Le but de Donald Trump, c’est de mettre les Iraniens à genou »
Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères, était ce mercredi 26 juin, l’invité du matin de RFI. Il répond aux questions de Frédéric Rivière.
Olivier Blanchard : « Les taux vont rester durablement bas »
L’ancien chef économiste du FMI redoute que la zone euro soit mal préparée pour affronter la prochaine récession.
Ancien chef économiste du Fonds monétaire international, Olivier Blanchard appelle les Etats à sortir de l’obsession de la dette publique. Présent à Sintra (Portugal), au Forum de la Banque centrale européenne (17 au 19 juin), il souligne les marges de manœuvre que leur offrent les taux bas.
Les pays membres viennent de s’entendre sur un projet de budget pour la zone euro. Est-ce une avancée majeure, comme l’estime Bruno Le Maire ?
Je n’ai pas encore eu le temps de me pencher sur les détails, mais c’est l’embryon de quelque chose. Certains soulignent que c’est un début, d’autres, que c’est un moyen de tuer tout projet plus ambitieux. D’une certaine façon, les deux sont vrais ! Je pense que mettre le pied dans la porte est en général positif. Il est plus facile d’avancer lorsqu’une institution existe que de partir de rien. Dans tous les cas, je suis favorable à la création d’un vrai budget commun.
Alors que la croissance ralentit, vous appelez les gouvernements à réviser leur politique budgétaire à l’aune des taux bas. Que voulez-vous dire ?
Lorsque les taux d’emprunt sont bas, la dette publique s’accumule moins vite, son coût pour le budget et l’économie est plus faible. De plus, lorsque les taux sont bas, il devient difficile ou même impossible de les diminuer encore, si bien que la politique monétaire a des marges de manœuvre limitées. Dès lors, la politique budgétaire prend une importance majeure : elle est presque le seul levier susceptible d’augmenter la demande, et donc la production et l’emploi.
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La suite de l’interview de Oliver Blanchard est disponible sur Le Monde.
Cosmin Ghita
PDG de Nuclearelectrica depuis 2017, le seul producteur d’énergie en Roumanie, qui couvre environ 20% de la consommation énergétique du pays. Depuis 2019, il est le seul membre roumain du Conseil de direction principal de l’Association mondiale des exploitants nucléaires (WANO). Le rôle de M. Ghita en tant que PDG de Nuclearelectrica est de mettre en place des projets stratégique qui soutiennent la sécurité énergétique de la Roumanie, son processus de transition et ses objectifs de décarbonisation. A travers ses projets d’investissements, Nuclearelectrica doublera sa production après 2031 et la contribution à la production énergétique sans CO2 totale de la Roumanie augmentera de 66% d’ici 2030.