Salim Jreissati

Ministre de la Justice, Liban. Avocat à la cour, inscrit au barreau de Beyrouth, président de l’Association nationale pour la protection de la constitution et de la loi depuis 2016. Ancien membre du Conseil constitutionnel et ancien ministre du Travail. Il est détenteur de l’Ordre du mérite national, détenteur de l’Ordre patriarcal de Jérusalem et détenteur de l’Ordre du cèdre national au rang de commandeur.

Jacques Beltran: «L’Europe trois fois malade»

21 septembre 2018

En médecine européenne, l’erreur de diagnostic est fréquente. Elle confond les maux et les symptômes. Tout le monde ou presque s’accordera à dire que l’Union européenne est désunie face à la crise migratoire, qu’elle peine, malgré de récentes avancées, à se doter des moyens d’une défense commune, qu’elle prend du retard face aux Etats-Unis et à la Chine dans plusieurs domaines économiques clés comme le développement des plateformes numériques, qu’elle est largement démunie face aux lois extra-territoriales américaines ou encore qu’elle souffre d’un excès de réglementation aggravé par des sur-transpositions nationales.

Tout ceci est rigoureusement exact, mais aussi graves soient-ils, ces problèmes ne sont que des symptômes. Pour les guérir et sortir l’Europe de la plus grave crise de son histoire, il faut remonter à l’origine de ces difficultés et tenter d’en saisir la cause profonde. De quels maux l’Union européenne souffre-t-elle qui l’empêchent de trouver les solutions adéquates aux défis majeurs auxquels elle doit faire face ? J’en vois trois.

Le premier, c’est la « construction européenne » elle-même.

Depuis plus de soixante-dix ans, l’Europe est en perpétuelle construction. Comme une maison toujours inachevée, dont les habitants débattraient ad nauseam du nombre d’étages ou de l’utilité finale des pièces. De traité en référendum et de conseil en sommet, l’Europe semble victime d’un mouvement brownien fait de réformes institutionnelles, d’élargissements géographiques (13 nouveaux membres entre 2004 et 2013 !), d’extension de ses compétences et de production de nouvelles normes et réglementations.

Et ce mouvement permanent, loin d’être vécu comme un inconfort, devient parfois pour nos responsables une feuille de route, une doctrine, voire une raison d’être. Tout fonctionnaire ou élu européen qui se respecte doit participer à la construction européenne, c’est-à-dire ajouter sa pierre à l’édifice, sa couche d’institution, d’élargissement, de compétence ou de réglementation. A tel point que l’Histoire de l’Union européenne est enseignée davantage au travers des traités (de Rome à Lisbonne, en passant par Maastricht, Amsterdam…), qu’au travers de ses réalisations pourtant nombreuses. Comme si le contenant importait plus que le contenu. Pour que l’Europe vive, il faut qu’elle avance. Toujours. Sinon elle tombe. C’est la parabole du cycliste.

Sauf que cette parabole n’est pas seulement fausse, elle est aussi coupable. Elle a fait de notre Europe, à force d’en complexifier les règles et d’en densifier le contenu, le royaume des juristes et des lobbies. Et elle inspire, à tort, la plupart des propositions de nos responsables politiques qui voient dans les réformes institutionnelles et la révision des traités des passages obligés pour remettre l’Europe sur les rails. Rares sont ceux en France qui considèrent qu’il faut arrêter de toucher aux institutions et concentrer nos énergies sur les projets qui apporteront de vrais changements pour les Européens.

Le second mal de l’Europe, c’est l’attention excessive qu’elle a porté à sa construction interne, au détriment de sa capacité à affirmer son identité européenne et à faire face aux enjeux de la mondialisation.

Le marché unique européen est l’une des plus belles réussites de l’Union européenne. Les Britanniques qui s’apprêtent à le quitter en prennent peu à peu toute la mesure. Plus largement, les quatre libertés de circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux sont les fondements d’un ensemble politique multinational unique au monde, dont nous pouvons être fiers.

Mais là où le bât blesse c’est que la constitution de ce marché unique a totalement accaparé les esprits pendant des décennies, au détriment de notre capacité collective à affirmer son identité et à adresser le monde extérieur. Comme si l’Europe, trop concentrée sur elle-même, avait oublié qu’elle n’était qu’un ensemble parmi d’autres, dans un monde plus vaste au sein duquel évoluaient d’autres puissances poursuivant d’autres intérêts. Comme si en se renforçant de l’intérieur, l’Europe avait créé simultanément les sources de sa fragilité extérieure.

Nous avons ainsi imposé à nos entreprises des règles de concurrence parmi les plus exigeantes au monde, alors même que leurs homologues américaines ou asiatiques ne sont pas nécessairement soumises aux mêmes obligations.

Nous avons favorisé le libre-échange et ouvert notre marché européen aux entreprises de pays tiers, sans toujours exiger de nos partenaires commerciaux une ouverture réciproque de leurs propres marchés.

Nous avons bâti un modèle social et environnemental parmi les plus avancés au monde et qui fait notre fierté, sans réussir à imposer à nos partenaires non européens le respect de normes équivalentes.

Nous avons favorisé la libre circulation des personnes au sein de notre espace européen, nous avons créé « Schengen », sans nous donner les moyens de contrôler efficacement nos frontières extérieures et les flux d’immigration non désirés.

Nous avons construit les bases d’une paix durable en Europe, sans nous donner les moyens collectifs de projeter nos forces hors de nos frontières lorsque notre sécurité l’exige.

Ne soyons pas surpris dès lors que l’attente principale de nos concitoyens à l’égard de l’Europe soit que celle-ci les protège. Ils ne veulent pas d’une Europe parfaite à l’intérieur mais vulnérable de l’extérieur. Ils veulent une Europe capable de défendre les intérêts européens face aux menaces terroristes, aux risques migratoires, environnementaux et commerciaux. Là aussi, nos responsables nationaux et européens doivent opérer une forme de révolution mentale : dans les années à venir, le salut de l’Europe passera moins par sa capacité à parachever son marché unique et ses politiques communes que par sa capacité à démontrer son efficacité face aux enjeux multiples de la mondialisation.

Le troisième mal dont souffre l’Europe, c’est l’absence de leadership.

Quand l’Europe balbutie et peine à décider, il est facile d’incriminer sa gouvernance complexe et le nombre trop élevé de ses Etats membres. Incontestablement, les élargissements nombreux et rapides à partir de 2004 ont rendu la tâche du Conseil européen plus complexe. Arguant d’une double fracture Est/Ouest (sur les questions migratoires) et Nord/Sud (sur les questions économiques et monétaires), nombreux sont ceux qui prônent une Europe des « cercles concentriques » pour contourner les difficultés et avancer malgré tout. Encore faut-il savoir de quoi l’on parle.

Si l’idée est un rétrécissement de l’Europe à 6, 8 ou 12, alors le risque est grand de la faire disparaître totalement. L’annonce d’une telle décision – si tant est que les partenaires envisagés par la France pour faire partie du noyau dur l’acceptent – provoquerait immédiatement l’annonce de coalitions concurrentes. Au « cœur d’Europe » ouest européen répondraient immédiatement une Europe de Višegrad autour des Polonais et Hongrois, ou une Europe nordique et baltique ou encore une Europe des Balkans, sans doute sous influence turque ou russe. Et la position de l’Allemagne serait particulièrement délicate car rien ne dit qu’elle accepterait ce découpage à hauts risques. L’Europe des cercles concentriques est finalement une vision très française.

Si l’idée en revanche est de s’appuyer sur les structures et procédures existantes, comme la zone euro, les coopérations renforcées ou les projets intergouvernementaux, alors oui bien sûr il faut exploiter toutes ces marges de manœuvre, bien plus que nous ne le faisons actuellement, et permettre ainsi aux Etats membres qui le souhaitent d’avancer plus vite et plus loin.

Mais quel que soit le périmètre dont on parle, l’enjeu principal n’est pas le nombre d’États membres mais l’existence d’un leadership, c’est-à-dire la capacité de quelques Etats membres à convaincre les autres de l’intérêt de travailler ensemble. Reconnaissons que le président de la République a donné en la matière une impulsion inédite dès son élection, mais que l’absence de partenaire solide outre-Rhin a quelque peu douché nos espoirs d’une relance de l’Europe grâce au couple franco-allemand.

La France peut-elle reprendre ce leadership avec une chancelière allemande affaiblie, un gouvernement italien franchement hostile au Président français et une Europe centrale et orientale en rupture avec les valeurs fondamentales de notre Union ?

Ce sera tout l’enjeu des prochains mois. C’est à mon sens encore possible à la double condition. 1. Instaurer un moratoire de 10 ans sur les réformes institutionnelles, les élargissements géographiques et les extensions de compétence. 2. Provoquer un électrochoc en proposant à nos partenaires la tenue d’un conseil européen exceptionnel pour aboutir à des propositions concrètes et budgétées sur trois sujets vitaux pour les Européens, à savoir l’autonomie européenne en matière de défense, la maîtrise de l’immigration et le rattrapage de notre retard en matière d’innovation, par exemple en matière d’intelligence artificielle. Trois sujets qui ne couvrent pas tous les champs possibles bien entendu, mais qui enverraient à nos concitoyens avant les prochaines élections européennes un signal très clair quant à l’utilité de l’Union européenne.

Moins de réformes institutionnelles, moins de réglementation, plus de réalisations concrètes. C’est en passant de la « construction européenne » aux « réalisations européennes » que l’on regagnera la confiance de nos concitoyens et que l’on pourra espérer voir renaître le sentiment d’une communauté de destin.

Jacques Beltran est chargé des affaires européennes et internationales à la Région Ile-de-France.

Brexit: holding out hope for pragmatism, and a miracle

22 September 2018

Prince Michael of Liechtenstein, GIS Reports

The European Union’s heads of state and government met in Salzburg last week, as Austria currently holds the rotating EU presidency. One of the main items on the agenda was a discussion with United Kingdom Prime Minister Theresa May on Brexit.

Prime Minister May negotiated based on her “Chequers” proposal, a British plan for an orderly exit from the EU, assuring free trade but not a free exchange of people. The plan has been in discussion for a while now. Mrs. May, however, has very little room to make any further compromises, due to her government’s fragile position domestically.

The EU side showed a lack of pragmatism, giving Mrs. May a “take it or leave it” offer. Unlimited freedom in exchanging goods, capital and services is always desirable in a trade relationship. For the EU, this free exchange is unacceptable if it is not linked with the free exchange of people.

For those who think logically and pragmatically, it would appear more desirable to maintain the free exchange of goods, services and capital, even without the free exchange of people, than to have none at all. By all appearances, logic was nowhere to be found at the discussions in Salzburg. Instead of a constructive discussion, we witnessed a celebration of bureaucratic fundamentalist ideology. It was embarrassing.

But there is a lot at stake, not only for the UK, which is a crucial trading partner for most EU countries. The argument that access to the internal market can only be granted when all conditions are fulfilled was elevated to dogma, even though it neglects the negative consequences.

It also fails to take into account that the biggest promoters of the “everything or nothing” position are the same people who have recently tried to limit the EU’s economic freedoms and curb internal competition when it suited their interests. French President Emmanuel Macron, for example, uses minimum wages and social security pretexts in an attempt to limit the posting of workers, mainly from Central European businesses, throughout the union. In another example, last year his governmentseized French shipyards to block their acquisition by an Italian company.

Fading optimism

Until now, one could have been optimistic and believed that finally, some reasonable decision makers would have pushed for more flexibility, not only in the interest of European economies. Europe is built on diversity, and the future of the EU will depend on the ability to respect and take advantage of this diversity. Unfortunately, the approach of increasing harmonization and the insistence that “one size fits all” is killing the European spirit and sapping its strength.

As opposed to political fundamentalism, business thinking tends to be pragmatic and logical. What business often neglects to take into account, however, is the irrationality of bureaucratic politics. So far, businesses have believed that a mutually acceptable solution to Brexit would be found. Expecting businesses to invest huge sums to prepare for the bizarre alternative is asking a lot. Some will be caught unprepared.

The EU leaders in Salzburg have set October 18 as the deadline to resolve the impasse – not even four weeks. A miracle could still happen, although by definition, miracles are rare.

Multilatéralisme : vers la fin de l’ordre occidental

ANALYSE. L’assemblée générale des Nations unies s’est ouverte lundi à New York sans les dirigeants chinois, indien et russe. Un signe supplémentaire que l’ordre international tel que nous le connaissons a vécu : son épicentre se déplace vers l’est, avec de nouvelles règles et un nouvel acteur majeur, la Chine.

Cette année, ni Xi Jinping, ni Narendra Modi, ni Vladimir Poutine ne seront présents à l’assemblée générale des Nations unies à New York. La Chine et l’Inde seront pourtant les puissances démographiques et économiques majeures du XXIe siècle, et la Russie est une puissance régionale qui compte, grâce à son engagement militaire. Ces absences font mieux que souligner en creux la perte d’influence de l’organisation, elles mettent en lumière un fait majeur : un autre ordre multilatéral est en train de naître, dont l’Occident sera cette fois le parent pauvre.

On aurait pu avoir l’impression, depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, que les Etats-Unis étaient les champions de la charge contre le multilatéralisme. Avec son programme d’« America First », où la relation bilatérale et le protectionnisme sont préférés , le président américain n’a ménagé ses coups de boutoir à aucune institution, de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) aux Nations unies. Convaincu que ces arrangements entre amis lui rapportaient finalement assez peu, il préfère améliorer son jeu en profitant du rapport de force dont il dispose.

Deux chocs

En réalité, la déliquescence de l’organisation de l’ordre mondial telle que nous la connaissons est plus ancienne. Elle date de deux chocs successifs. Celui du  11 septembre 2001, puis de  la crise financière de 2008 , qui ont débouché sur une « contestation de l’ordre occidental », explique le diplomate Jean-David Levitte. Jusque-là, les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) avaient profité de la globalisation pour moderniser leurs économies et asseoir leur statut de puissances émergentes. L’attentat du 11 septembre est perçu comme un refus des valeurs libérales occidentales, tandis que la crise financière – dont les économies émergentes vont être une des premières victimes – les ébranle profondément. Si elles ont été favorables à la mondialisation, elles souhaitent désormais en réécrire les règles. En commençant par refuser l’occidentalisation. D’où l’hindouisme triomphant de Modi ou l’exaltation de la Turquie de Soliman par Erdogan.

Arrimés à la Chine

Cela est possible grâce à la formidable locomotive qu’est devenue la Chine, derrière laquelle beaucoup de pays souhaitent s’arrimer. En quarante ans, elle s’est profondément enrichie et transformée. Sa nouvelle puissance lui permet de réorganiser l’ordre international comme elle le voit, autour de l’empire du Milieu. Elle veut devenir le leader technologique du XXIe siècle, se réarme et se crée des obligés et des débouchés sur la moitié de la planète avec son programme  « one belt, one road » . Elle finance la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures, qui entend marcher sur les plates-bandes du FMI comme de la Banque mondiale.

Enfin, la Chine soutient de nouvelles instances intergouvernementales, comme  l’Organisation de coopération de Shanghaï . Conçue comme une réponse à l’effondrement de l’URSS qui promeut la coopération économique et sécuritaire, celle-ci réunit la Russie, la Chine, le Kazakstan, le Kirghizistan, le Tadjkistan et l’Ouzbékistan. L’an passé, elle a accueilli l’Inde et le Pakistan. Au final : 3,2 milliards d’habitants et un PIB combiné de 37.000 milliards de dollars. Et, contrairement aux Etats-Unis, la Chine continue d’investir dans les organisations internationales de l’après-guerre, réclamant ou conquérant davantage de poids autant au FMI qu’aux Nations unies, et profite à loisir de la tribune de Davos.

Nouvel épicentre

Le multilatéralisme est donc loin d’être mort. Mais son épicentre a bougé. Il n’est plus sur la 47e rue Est à New York, qui a démontré son impuissance à résoudre les conflits, notamment la crise syrienne. Surtout, les solidarités et les ambitions sont différentes.  Les émergents se tiennent les coudes et se retrouvent sur des valeurs anti-occidentales, et surtout non interventionnistes. L’Inde est collée à la Russie, la Chine anime une coalition hétéroclite d’obligés, du Pakistan à la Corée du Nord. De nombreux pays d’Afrique ou d’Amérique latine peuvent y trouver leur compte, soit par intérêt économique, soit par anti-américanisme. Poutine s’intéresse davantage à l’organisation de Shanghai qu’à réintégrer un G8 dont il sait que la France et le Royaume-Uni seront sortis dès 2030 pour faire la place, d’ici à 2050, à l’Indonésie, au Brésil et au Mexique. Pour les Occidentaux, expliquait récemment  Hubert Védrine aux « Echos »« il est urgent de trier entre ce qui est fondamental et ce qui peut relever d’un compromis avant que les Chinois ne nous mettent devant le fait accompli ».

Alliances tactiques

Dans son dernier ouvrage, « Quand le Sud réinvente le monde » (La Découverte), l’expert en relations internationales Bertrand Badie décrit la fin d’un système international westphalien – qui tire son nom de la paix de Wesphalie en 1648, et qui s’organisait autour d’Etats, de souveraineté, de territorialité. A la faveur de la globalisation, explique-t-il, « on découvre que la stabilité internationale ne dépend plus tellement de l’équilibre de puissances, mais de l’équilibre très précaire des conditions sociales. Autrement dit, le positionnement du faible et son excès d’impuissance deviennent presque mécaniquement la source des grandes menaces qui pèsent sur la stabilité de l’ensemble. »Le printemps arabe et ses conséquences, la crise grecque qui a menacé l’édifice européen, en sont des illustrations. L’auteur note également que, désormais, l’acteur régional, voire l’acteur local, détient plus de capacités que l’acteur mondial. Pour preuve, Iran, Turquie, mais aussi groupes terroristes ont une capacité d’action supérieure à celle de puissances mondiales dans le conflit syrien.

Lors de son  discours aux ambassadeurs , fin août, Emmanuel Macron constatait lui-même que « les nationalismes se sont réveillés. L’Europe affadie est affaiblie. Le système multilatéral est remis en cause par des acteurs moyens et des régimes autoritaires. » Le président français a néanmoins une réponse « pour une refondation en profondeur de notre ordre mondial ». Il s’agit de construire des alliances tactiques pour « la protection des biens communs mis en danger par la crise du multilatéralisme et la politique des Etats-Unis ». Climat, éducation, santé, espace numérique, commerce international : une stratégie multilatérale qui se gère chapitre par chapitre, et qui dépasse les seuls Etats, puisqu’il est impératif, à l’instar de la COP 21, d’inclure un maximum d’acteurs non étatiques.

Virginie Robert

Entretien avec Thierry de Montbrial, président de l’Institut français des relations internationales

«La grande affaire pour les 30 prochaines années sera la rivalité entre la Chine et les États-Unis»

Invité par l’Académie du Royaume du Maroc et l’OCP Policy Center, le président de l’Institut français des relations internationales (Ifri), Thierry de Montbrial, livre pour les lecteurs du «Matin» une analyse globale des futurs enjeux géopolitiques dans le monde et de leurs principaux protagonistes. Il évoque au passage le rôle que le Maroc est appelé à jouer dans le partenariat entre l’Afrique et l’Union européenne et nous donne un avant-goût de la 11e édition de la World Policy Conference prévue en octobre prochain à Rabat.

Le Matin : Vous êtes économiste, géopolitologue, professeur, président et fondateur de l’Institut français des relations internationales, membre de l’Académie des sciences morales et politiques, président de la World Policy Conference… et vous avez bien d’autres casquettes. Quelle est celle qui vous tient le plus à cœur ?
Thierry de Montbrial :
Je crois que tout cela est lié. Cela procède d’un intérêt pour le monde et d’un désir farouche d’être utile pour les grands enjeux des années et décennies qui viennent pour voir comment maintenir un monde que j’appelle raisonnablement ouvert. Car c’est cela le grand enjeu du 21e siècle. Je voudrais aussi signaler que la World Policy Conference, qui existe maintenant depuis 11 ans, tiendra ses débats pour la quatrième fois au Maroc, à Rabat, fin octobre.

À travers l’Ifri, que vous avez fondé en 1979, vous publiez régulièrement le Ramsès (Rapport annuel mondial sur le système économique et les stratégies), mais également la revue «Politique étrangère» créée par le Centre d’études de politique étrangère en 1936 et qui a été reprise et publiée par l’Ifri en 1979. Quel est l’apport de ces deux importants documents ?
«Politique étrangère» est une revue classique dans les relations internationales qui paraît tous les trois mois et qui couvre beaucoup de sujets, mais qui sont traités d’un point de vue européen. Les grandes revues américaines en la matière traitent ces sujets d’un point de vue américain. C’est pour cela qu’il faut avoir la pluralité des points de vue. Quant au Ramsès, il s’agit d’un document annuel qui, tous les ans depuis 36 ans, fait une sorte de tour du monde. C’est un livre qui porte sur l’état de la planète. Si on prend tous les Ramsès depuis le premier numéro en 1981, on peut avoir comme une espèce de film qui montre comment le monde a évolué depuis maintenant 37 ans. Chaque année, on essaye de faire le point. Moi-même, j’apporte des analyses d’ensemble dans ce rapport. Par exemple, aujourd’hui, il y a la conséquence des rivalités entre la Chine et les États-Unis et bien d’autres sujets. Nous privilégions certains thèmes, par exemple, cette année nous traitons les questions démographiques, les questions de migration, les réfugiés, la question du Moyen-Orient, l’Iran… Nous traitons également le sujet de la Chine qui retiendra notre attention pendant longtemps.

La première partie du rapport Ramsès est réalisée par vous. Elle a été consacrée aux «Perspectives», est-ce en relation avec le titre de cette édition «Les chocs du futur» ?
En fait, je pars de l’idée que la grande affaire pour les 30 prochaines années va être la rivalité entre la Chine et les États-Unis qui peut déboucher sur plusieurs scénarios. La question majeure est donc de savoir où se situe l’Europe. Ce n’est pas intéressant uniquement pour les Européens, mais également pour le reste du monde, en particulier pour votre pays, pour l’Afrique et l’Afrique du Nord qui est à la porte de l’Europe. Tout ceci conduit aussi à analyser de plus près les forces immédiates. Il s’agit par exemple de la situation au Moyen-Orient, la Corée ou des évolutions en Asie. Mais j’accorde cette année aussi une place importante aux questions idéologiques, les régimes politiques, la démocratie, la démocratie libérale, la démocratie «illibérale»… Des sujets qui sont de plus en plus débattus et qui me paraissent essentiels pour l’avenir du monde. Il faut admettre l’hétérogénéité du monde et admettre qu’on est interdépendant avec des pays qui n’ont pas tous la même culture, n’ont pas les mêmes régimes politiques et il faut respecter cela. Sinon, cela ne peut que dégénérer, comme cela fut le cas au Moyen-Orient. Ces perspectives touchent donc à des sujets que je crois assez fondamentaux et durables.

Vous parlez également de l’importance de la construction de l’Europe. Dans ce cadre, et étant donné le statut avancé dont jouit le Maroc, ne pensez-vous pas qu’il y a un rôle à jouer par le Royaume, notamment celui de trait d’union entre l’Europe et l’Afrique ?
Je pense que le Maroc est bien évidemment un pays qui a une position de plus en plus privilégiée dans la relation entre l’Europe et l’Afrique. C’est d’ailleurs la direction dans laquelle le Maroc s’engage. Il a réintégré l’Union africaine, il a une politique ambitieuse de collaboration avec un certain nombre de pays africains. Je crois que c’est une bonne politique qui peut contribuer, sur la durée, à donner un sens de plus en plus riche au partenariat entre le Maroc et l’Union européenne.

Vous êtes également le président de la World Policy Conference, dont des éditions ont eu lieu au Maroc. La prochaine édition aura lieu à Rabat. Pouvez-vous nous donner un avant-goût du programme de cette onzième édition ?
C’est la 11e édition de la World Policy Conference (WPC). Le but de cette conférence est d’examiner l’évolution de la gouvernance mondiale. C’est un thème un peu abstrait. Mais le véritable enjeu c’est la capacité du monde à vivre ensemble et à gérer l’interdépendance entre les nations. Je mets l’accent, depuis le début, sur les puissances moyennes, parce que je crois qu’on ne peut s’en remettre exclusivement aux principales puissances, d’autant plus que ces grandes puissances ne s’intéressent plus au droit international et ont tendance à jouer uniquement avec des relations de pouvoir.
C’est pourquoi nous mettons, depuis le début, l’accent sur les puissances moyennes qui sont soucieuses et désireuses de contribuer à façonner positivement leur environnement. Nous traitons toujours les grands sujets géopolitiques et économiques, mais également d’autres sujets. Par exemple, cette année nous allons avoir une session sur l’importance de l’enseignement et de l’éducation dans les premières années. Ce débat sera animé par des personnalités éminentes venant de différents pays, notamment de l’Afrique et de l’Inde. Là, nous avons un exemple de sujets types non classiques, mais qui est très porteur pour l’avenir. Autre exemple de sujet un peu original, la question des religions en Chine puisque, actuellement, surtout depuis le dernier congrès du Parti communiste en Chine, le pouvoir persécute systématiquement les religions. Ce sont aussi des éléments de compréhension du monde dans lequel nous vivons. Un dernier point, c’est que la World Policy Conference se veut comme une sorte de club, dans ce sens que ce n’est pas une énorme conférence où tout le monde vient. C’est plutôt un cadre où les gens sont invités un à un avec un nombre relativement limité. C’est un club global et nous sommes très heureux de tenir cette édition, pour la quatrième fois (sur 11 éditions), au Maroc. D’ailleurs, le Royaume s’est intéressé dès le début à la WPC et je crois que le Maroc a une excellente sensibilité à ce genre de thèmes et je le remercie d’accueillir cette conférence.

Brian Gallagher

PDG de United Way Worldwide, le plus important organisme privé à but non lucratif au monde. Sous la direction de M. Gallagher, United Way fait figure de chef de file mondial en termes de changement communautaire, une approche qui rassemble les gens pour créer plus d’opportunités pour tous. En 2002, M. Gallagher est devenu président et PDG de United Way of America, qui a fusionné avec United Way International pour former United Way Worldwide en 2009. Soutenu par près de 3 millions de bénévoles et 9 millions de donateurs, United Way se bat pour la santé, l’éducation et la stabilité financière dans près de 1 800 communautés à travers le monde.

Georges Ghosn

Journaliste, Président Groupe de Presse. En 1992, il a racheté puis il a fusionné La Cote Desfossés avec La Tribune, pour créer La Tribune Desfossés. La diffusion de La Tribune est ainsi passée de 43 500 à 70 457 exemplaires payants. En 1996, Georges Ghosn, associé à Claude Solarz, un industriel spécialisé dans la récupération de vieux papiers, a repris Le Nouvel Économiste. A compter de 2012, il a repris une activité de restructuration d’entreprises et a racheté Swisscosmetics Ch. En juin 2018, il a racheté le magazine hebdomadaire VSD au groupe Prisma Presse.

Responsabiliser la finance mondiale pour éviter une nouvelle crise

LE CERCLE/POINT DE VUE – Dix ans après la crise des subprimes, la finance ne dispose toujours pas d’une régulation holistique efficace et d’une approche consolidée des risques. Il faut encourager la bonne allocation du capital au niveau mondial.

La crise financière de la livre turque, qui a menacé de s’étendre aux pays émergents et au secteur bancaire européen, a rappelé la totale interdépendance du système financier mondial.  Dix ans après la crise des subprimes, la finance, malgré des progrès importants, ne dispose toujours pas d’une régulation holistique efficace et d’une approche consolidée des risques.

Surtout, la dynamique de l’endettement souverain dans un nombre important de pays, les taux d’intérêt proches de zéro,  les incertitudes sur la sortie du « QE » comme le développement des fonds vautours, spécialisés dans le rachat de dettes émises par des débiteurs en difficulté, et des fonds activistes qui spéculent sur les sociétés, créent une instabilité dommageable à la stabilisation de l’économie mondiale. L’incapacité à responsabiliser la finance entretient une instabilité structurelle et pourrait préfigurer une nouvelle crise de grande ampleur.

Actions spéculatives

A un niveau plus microéconomique, les entreprises sont touchées par l’arrivée, au capital, de fonds activistes qui jouent à la baisse sur les actions et spéculent sur la restructuration des actifs, à l’instar de Vivendi ou Danone. Au premier semestre 2018, 104 fonds activistes ont lancé 145 raids sur 136 entreprises à travers le monde avec un montant de capital engagé de 40 milliards de dollars.

Ces opérations se concentrent de manière croissante sur le terrain européen selon la dernière étude de la banque Lazard, notamment pour les fonds qui spéculent sur la baisse des actions en les vendant à crédit pour les racheter plus tard en réalisant un bénéfice. Ces fonds n’hésitent pas à financer des études biaisées, qui contribuent à la chute des cours, à influencer la presse avec des forums, voire à tromper les algorithmes sur Internet.

Les difficultés à contrer de telles actions spéculatives sont nombreuses, notamment l’incapacité intellectuelle à articuler un discours cohérent sur la refondation de la finance mondiale, sans toucher pour autant à la mondialisation et à la libéralisation des marchés. Pourtant, le rôle de la finance est simple : assurer le financement de la croissance, garantir la sécurité de l’épargne, payer une prime à la hauteur du risque pris par les investisseurs, permettre de gérer le temps, l’espace et les risques associés.

Or jusqu’à présent, les réformes ont été réalisées de manière fragmentée, sans développer de vision globale du système financier qui permette de relever les grands défis que sont notamment le développement durable et la lutte contre le changement climatique.

« Do good and do well »

A une période où les risques s’accumulent, il faudrait relancer une réflexion d’ensemble sur l’architecture mondiale de la supervision financière au sein du G20 dont le Financial Stability Board fête son dixième anniversaire.

Comment favoriser une bonne allocation du capital au niveau mondial ? On pourrait envisager en son sein une réflexion sur les obstacles au financement du long terme et du développement durable ou le voir travailler à la promotion du « do good and do well » (« faire bien et comme il faut », en français), afin que notamment les particuliers – épargnants retraités investisseurs – soient rassurés sur l’usage de leur épargne et que les investisseurs en général aient accès à un univers d’opportunités le plus vaste possible et se sentent encouragés à revoir leurs politiques.

C’est avec des mesures de responsabilisation, au-delà du « tout-réglementaire », que seront jugés les dirigeants des démocraties et les acteurs financiers alors que le populisme continue à se nourrir d’actions spéculatives qui révoltent les opinions publiques. Beaucoup a été discuté. Il y a plus encore à faire.

Ne soumettons pas l’Europe à la noire dialectique progressistes / nationalistes

CHRONIQUE – La procédure visant à priver la Hongrie de ses droits de vote au sein du Conseil des ministres de l’Union européenne est excessive sur le fond, inefficace sur la forme, et contre-productive sur le long terme.

Nombreux sont les responsables européens à s’être réjouis du vote du Parlement de Strasbourg du 11 septembre 2018 qui, suivant la proposition d’une députée écologiste hollandaise, a ouvert une procédure visant à priver la Hongrie de ses droits de vote au sein du Conseil des ministres de l’Union européenne (UE). Ils ont eu tort. Car, sans le vouloir, ils sont en train d’affaiblir la cohésion d’une UE qui, après le Brexit, n’avait pas besoin de cela.

Le vote européen est excessif sur le fond, inefficace sur la forme, et contre-productif sur le long terme. Sur le fond, on a bien sûr le droit de combattre la politique du premier ministre hongrois. On a le droit de détester les idées de M. Orban, son style, son visage. On peut lui reprocher d’être trop « nationaliste ». On peut même, si l’on veut, le qualifier de « populiste », quitte à courir le risque de se voir opposer cette définition : est populiste celui qui n’a pas les mêmes idées que moi mais qui est plus populaire que moi et qui engrange davantage de voix que moi. On peut surtout, dans le régime parlementaire qui est celui de la Hongrie, voter contre Orban aux élections législatives, qui s’y déroulent sans la moindre fraude tous les quatre ans. Aux élections d’avril 2018, où la participation fut très élevée, la liste de centre-droit de Viktor Orban a obtenu 49% des voix et 133 députés sur 199. Le parti MSZP de centre-gauche, avec 12% des voix, a conquis 20 sièges. Le parti Jobbik, ultra-nationaliste, a obtenu 19% des voix et conquis 26 sièges. Le parti écologiste LMP a obtenu 7% et 8 sièges.

Faut-il le répéter ? Orban n’est pas Hitler. En Hongrie, vous pouvez dire ce que vous pensez publiquement, vendre les livres que vous voulez, lire les journaux que vous aimez, et faire campagne dans la rue contre Orban. Il ne vous arrivera rien. Si vous êtes juif et que vous habitez une banlieue de Budapest, vous pouvez pratiquer votre religion en toute quiétude. En Seine-Saint-Denis, ce n’est, en revanche, plus le cas. S’il y a un scandale de libertés publiques et d’Etat de droit en Europe, c’est bien en France qu’on le trouve. Il est proprement scandaleux que, dans certaines banlieues de France, un Juif ne se sente pas en sécurité, doive raser les murs, sous prétexte qu’il porte une kippa sur la tête. Avant de donner des leçons à l’Europe entière, la France serait bien avisée de balayer devant sa porte.

En 2015, sans consulter ses partenaires européens, la chancelière d’Allemagne a décidé d’ouvrir grand ses frontières aux migrants venus du Moyen-Orient et d’Asie centrale, provoquant un appel d’air sans précédent vers tous les miséreux de la planète. On a tout à fait le droit de louer le grand cœur de Mme Merkel, et de penser que cette immigration sans visa est une chance pour l’Europe. Mais doit-on pour autant refuser d’entendre les arguments de M. Orban qui, avec ses partenaires du Groupe de Visegrad, ne veut recevoir que des réfugiés chrétiens, estimant que l’intégration des populations musulmanes ne se fait pas de manière satisfaisante dans les sociétés d’Europe de l’Ouest ?

Il serait légitime que l’Allemagne et la France veuillent arrêter de financer à Bruxelles les programmes structurels en Europe de l’Est, afin de consacrer cet argent à la lutte contre les circuits de trafic d’êtres humains en Afrique du Nord et aux politiques de développement des investissements productifs en Afrique noire. L’immigration illégale est devenue en effet la première urgence de l’UE.

Mais il est illégitime de vouloir sanctionner à ce point (par la privation de ses droits de vote) la Hongrie, alors qu’elle n’a fait, depuis 2015, qu’appliquer strictement les accords de Schengen. Pourquoi les frontières européennes devraient être les seules du monde à pouvoir être, impunément, franchies illégalement ? Les pays européens n’entretiennent-ils pas un réseau d’ambassades et de consulats à travers le monde, ouverts à toute demande légitime de visa ?

Sur la forme, la procédure du Parlement européen n’a aucune chance d’aboutir car il lui faudrait l’unanimité des votes au sein du Conseil. Or la Pologne a déjà fait savoir qu’elle voterait non. A court terme, il s’agit donc de beaucoup de bruit pour rien.

Mais à moyen et long terme, ce geste du Parlement est contreproductif. S’il avait voulu accroître les divisions au sein des nations de l’Union européenne, le Parlement n’aurait pas agi différemment. Ce n’est pas en diabolisant l’Italie et le Groupe de Visegrad (Hongrie, Tchéquie, Slovaquie, Pologne) qu’on fera progresser l’Union européenne. Vouloir défendre l’identité des vieilles nations chrétiennes de l’Europe n’est tout de même pas un crime ! Comme n’est d’ailleurs pas un crime la volonté de se montrer accueillants envers des familles étrangères dans la détresse. Il y a un simplement un équilibre à trouver entre la défense de sa culture et une politique d’accueil des étrangers qui ne la mette pas en danger.

Ne jetons pas dans les bras des partis nationalistes antieuropéens tous ces citoyens qui aiment la construction européenne mais qui sont opposés à une immigration de masse, lui préférant une immigration choisie. Ne soumettons pas l’Europe à la noire dialectique « progressistes » contre « nationalistes ». On peut accepter le progrès tout en aimant sa nation, son histoire, sa civilisation.

Evitons que cette dialectique délétère fasse désormais système dans le paysage politique européen. Renforçons la cohésion de l’Union. Car, en tant que Français, nous avons besoin d’une Europe forte et unie, d’une Europe qui soit capable de résister à l’hégémonisme financier et juridique américain, ainsi qu’au dumping commercial et au pillage technologique venus de Chine.

Depuis le Brexit, la santé de l’UE n’est pas bonne. Gardons-nous de la dégrader davantage.

Staffan de Mistura

Staffan de Mistura a été nommé Envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la Syrie en juillet 2014. Auparavant, il a notamment été Représentant spécial du Secrétaire général pour l’Iraq (2007-2009) et l’Afghanistan (2010-2011), et Vice-ministre italien des affaires étrangères. Au cours d’une carrière de plus de quarante ans au sein d’organismes des Nations Unies, il a servi dans de nombreuses zones de conflit et dirigé opérations de secours complexes, distributions alimentaires et campagnes de vaccination. Il a notamment été affecté au Soudan, en Éthiopie, en Albanie, en Afghanistan, en Iraq, en Bosnie et en Somalie. Il a également occupé de hautes fonctions politiques et humanitaires au Liban et en Irak, et a été Directeur exécutif adjoint du Programme alimentaire mondial. M. de Mistura a la double nationalité italienne et suédoise et parle sept langues.

Bertrand Badré: «La plus grosse perte engendrée par la crise financière c’est celle du capital-confiance»

14 septembre 2018

Propos recueillis par Irène Inchauspé

« Personne n’a vraiment songé au modèle d’après-crise : quelle type d’économie veut-on financer et comment ? »

Bertrand Badré est fondateur et PDG de «Blue like an Orange Sustainable Capital». Il a été auparavant directeur général finances de la Banque Mondiale, directeur financier de la Société Générale et du Crédit Agricole. En 2016, il a publié «Money Honnie : et si la Finance sauvait le monde ?»

Comment expliquer la détestation farouche de la finance qui a suivi la crise de 2008 ?

Cette crise financière et la grave récession qui a suivi ont fait de la finance l’ennemi à abattre. Pour bien comprendre son effet dévastateur, il faut se rappeler ce dont on parlait en France à l’été 2008. Le thème qui dominait était le débat autour du revenu national d’activité (RSA) proposé par Martin Hirsch. On discutait alors de savoir quel budget y consacrer : 500 ou 600 millions d’euros ?

Lire la suite sur le site de l’Opinion.

« Emmanuel Macron doit faire le pari de la Russie »

Interview de Renaud Girard

PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-CLAUDE GALLI | LE COURRIER INTERNATIONAL DE RUSSIE | 12 SEPTEMBRE 2018

Emmanuel Macron a annoncé début juillet l’organisation, les 11, 12 et 13 novembre prochains, d’un grand Forum sur la Paix à Paris, dans le cadre de la célébration du centenaire de l’armistice de 1918. Il y a convié les chefs d’État des pays ayant participé à la Première Guerre mondiale, dont Vladimir Poutine et Donald Trump. Certains, à Paris et Moscou, évoquent, à cette occasion, la tenue d’un mini-sommet entre les trois présidents. Par ailleurs, le 27 août, lors de la conférence annuelle des ambassadeurs, Emmanuel Macron a appelé à une « remise à plat des relations russo-européennes » et à l’ouverture de discussions avec Moscou sur la sécurité en Europe. Le chroniqueur de politique internationale du Figaro, Renaud Girard, qui a rencontré le président Poutine lors de sa venue à Versailles en mai 2017 et accompagné, cette année, le président Macron à Saint-Pétersbourg, commente pour le Courrier de Russie, ces dernières évolutions diplomatiques.

RENAUD GIRARD.

Le Courrier de Russie : Emmanuel Macron vient de proposer une « remise à plat » des relations russo-européennes. S’agit-il d’une inflexion majeure de la politique étrangère française ou d’une déclaration de bonne intention ?

Renaud Girard : Après plus d’un an d’exercice du pouvoir, il convient désormais de juger la politique d’Emmanuel Macron à ses actes. En ce qui concerne les relations avec la Russie, je suis de ceux qui estiment que la politique de sanctions européennes est contre-productive. Je ne pense pas que l’on puisse faire changer la stratégie d’un pays comme la Russie ‒ un pays qui a résisté pendant plus de mille jours au siège de Leningrad par l’armée allemande ‒ avec de simples sanctions commerciales. Mais, par ailleurs, je devine chez les Russes un désir de rapprochement avec les Européens. Je crois que les Russes ne sont pas ravis d’être rejetés par les Occidentaux dans les bras des Chinois.

Malgré les erreurs commises de part et d’autre et malgré la paranoïa qui peut régner dans les états-majors russes, comme dans la presse et les états-majors occidentaux, l’intérêt à moyen et long termes du vieux continent, est de ramener la Russie dans la famille européenne… qu’elle n’aurait jamais dû quitter, puisque depuis Pierre le Grand, il y a eu cette décision stratégique de l’ancrer à la civilisation européenne. Il me semble que le président Macron n’est personnellement pas très favorable aux sanctions. Il sait bien que ses partenaires italiens, espagnols, tchèques, hongrois, grecs et de nombreux autres pays de l’Union européenne, y sont également hostiles. Aujourd’hui, chez les pro-sanctions, on ne trouve plus que la Hollande, l’Allemagne et la Suède, je n’en vois pas d’autres. Peut-être la Pologne et les pays baltes. Mais ce n’est pas dans leur intérêt non plus. Leur intérêt, c’est de faire du commerce avec la Russie.

« Je pense qu’à long terme, la vision gaullienne est la bonne, celle de l’Europe de l’Atlantique à l’Oural. »

Il faut donc une politique et une diplomatie plus tranchées, qui renonce au « en même temps », qui prend des options. Et je suis favorable à une diplomatie qui ferait le pari de la Russie. On peut se tromper, certes. Le général de Gaulle, lui même, avait été très déçu par Moscou, lui qui avait misé sur la Russie avec son voyage de 1966 : on ne peut pas dire que l’expédition russe, deux ans plus tard à Prague, ait été un beau remerciement pour son audace.

Mais je pense qu’à long terme, la vision gaullienne est la bonne, celle de l’Europe de l’Atlantique à l’Oural. J’aurais aimé une politique de Macron qui fasse le même pari, qui persuade Angela Merkel ‒ parce que là les Hollandais et les Suédois auraient suivi ‒ d’abandonner ou, du moins, de réduire les sanctions européennes. J’ai l’impression que les Français attendaient les Italiens pour s’engager dans ce sens, puisque les Italiens avaient promis dans leur campagne électorale de demander la levée des sanctions. Ils n’ont pas eu le courage de le faire. N’oublions pas qu’il suffit qu’un pays ne veuille pas les renouveler pour qu’elles ne le soient pas.

EMMANUEL MACRON LORS DE LA FINALE DE LA COUPE DU MONDE DE FOOTBALL, LE 15 JUILLET 2018 À MOSCOU. CRÉDITS : TASS

LCDR : Certains, à Paris, estiment que cette « remise à plat » ressemble curieusement au reset [redémarrage] proposé en son temps par Barack Obama à Vladimir Poutine. Un reset des relations russo-américaines qui, on le sait, s’est soldé par un échec politique.

R.G. : Je ne crois pas à l’impossibilité d’un dialogue avec les Russes. Ils ont quand même donné beaucoup de gages à l’Occident récemment. Je veux parler de l’aide logistique qu’ils ont apportée aux États-Unis dans la première décennie du nouveau millénaire, pour la guerre américaine en Afghanistan. Il y a aussi, avec eux, une bonne coopération sécuritaire contre le djihadisme. Même aujourd’hui, en Syrie par exemple, Américains et Russes parviennent à se parler.

« Sébastopol est un port russe depuis aussi longtemps que l’Amérique est un État indépendant. »

Nous devons corriger les fautes commises de part et d’autre. Je pense que c’était une erreur d’agiter devant la Russie le chiffon rouge d’une possible intégration de l’Ukraine dans l’OTAN. Elle est inacceptable pour les Russes. Les Occidentaux ont également commis une invraisemblable erreur diplomatique en laissant tomber le magnifique accord intra-ukrainien du 21 février 2014, qu’ils avaient eux-mêmes négocié. On peut comprendre, du point de vue de Moscou, l’annexion de la Crimée : ils voulaient être sûrs que Sébastopol ne tomberait jamais entre les mains de l’OTAN. Sébastopol est quand même un port russe depuis aussi longtemps que l’Amérique est un État indépendant. Mais il y a eu, aussi, une erreur stratégique de la Russie : son intervention dans le Donbass. Je ne vois toujours pas quel était son intérêt. Il y a bien d’autres choses à faire dans cette immense Russie que de s’occuper du Donbass. C’est par leur faute que les Russes ont perdu l’amitié des Ukrainiens. La Crimée, à la rigueur, ça pouvait passer. Mais ils ont humilié à deux reprises l’armée de Kiev, en août 2014 et en janvier 2015.

Aujourd’hui, la priorité est de rétablir la paix dans cette région; de mettre un terme à cette absurde situation de tension dans nos relations avec la Russie. Il suffit d’aller à Moscou, de se promener au parc Gorki, pour comprendre à quel point la jeunesse russe est favorable à l’Occident, à quel point les Occidentaux, lorsqu’ils vont faire du tourisme en Russie, sont bien accueillis. Il y a une proximité, et il ne faut pas se laisser entraîner par les événements, les extrémismes, les miliciens…

LCDR : Vous dites que Berlin souhaite maintenir les sanctions contre la Russie. Mais dernièrement, le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, s’est prononcé pour un rapprochement avec Moscou, afin notamment de résister à l’extra-territorialisation du droit américain. L’Allemagne n’est-elle pas en train de supplanter la France dans le rôle d’intercesseur entre la Russie et l’Europe – et, au delà, de l’Occident –, qui est traditionnellement le sien ?

R.G. : En fait, toute l’Allemagne n’est pas antirusse. Angela Merkel a une politique très antirusse parce qu’elle a été profondément déçue par Vladimir Poutine. Elle estimait avoir des liens d’amitié avec lui…

LCDR : Il lui a menti.

R.G. : Poutine lui a menti sur la Crimée, elle ne le lui a pas pardonné. Les chrétiens-démocrates sont traditionnellement plus antirusses. En revanche, les sociaux-démocrates allemands, et les autres partis, d’ailleurs, n’ont strictement rien contre la Russie. Ils estiment, au contraire, qu’il faut que l’Allemagne fasse encore davantage de business avec elle.

Vladimir Poutine et Angela Merkel pendant le dialogue russo-allemand du 18 août 2018. Crédits : kremlin.ru
VLADIMIR POUTINE ET ANGELA MERKEL PENDANT LE DIALOGUE RUSSO-ALLEMAND DU 18 AOÛT 2018. CRÉDITS : KREMLIN.RU

Pour ce qui est du paysage politique français, il faut se rappeler que des quatre candidats majeurs du premier tour de la dernière élection présidentielle ‒ ceux qui ont obtenu plus de 20% des voix ‒, trois sont ouvertement prorusses. Emmanuel Macron est le seul à ne pas l’être. Depuis son élection, il a indéniablement fait un pas vers la Russie, mais dans la vie il faut savoir parfois prendre des risques. Je trouve que sa diplomatie à l’égard de Moscou est amicale, et il a raison sur ce point. Simplement, elle ne va pas assez loin. Je ne demande pas à la France de reconnaître l’annexion de la Crimée. Ce ne sera possible qu’après un accord entre l’Ukraine et la Russie, c’est évident. Mais je pense que l’on pourrait faire le pari de la suppression des sanctions et voir ce qui se passe après.

Il y a des options à prendre, il faut se montrer courageux. C’est ce que la France radical-socialiste n’a pas su faire en 1935. C’était une époque difficile, le régime de Staline n’était pas très attrayant mais, quand les Anglo-Saxons nous ont laissé tomber sur la question de la remilitarisation de la Rhénanie, nous aurions du faire le pari d’une alliance de revers avec la Russie contre l’Allemagne. Ce n’était pas facile et je ne suis pas sûr que Staline ait été particulièrement disposé à s’engager avec nous… Quoi qu’il en soit, nous n’avons pas essayé. C’est une erreur stratégique que Félix Faure n’avait pas commise avant la Première Guerre mondiale.

« L’Amérique a renoncé au triangle stratégique de Kissinger, qui postulait que Washington devait toujours être plus proche de Moscou et de Pékin que Moscou et Pékin entre elles. »

Aujourd’hui, dans le monde tel qu’il est, face notamment à la montée en puissance de la Chine avec ses politiques de « Routes de la soie », je ne vois pas en quoi un axe Paris-Berlin-Moscou pourrait nuire à nos intérêts. Les Américains y sont très hostiles… Enfin, les Américains, c’est un peu vite dit, il y a une différence entre Trump et le Congrès. Mais l’État profond américain est très hostile à la Russie, ce qui peut se comprendre parce qu’il n’a aucun commerce avec elle. Ce n’est pas notre cas.

Je pense d’ailleurs que l’Amérique se trompe de politique. Elle a renoncé au triangle stratégique de Kissinger, qui postulait que Washington devait toujours être plus proche de Moscou et de Pékin que Moscou et Pékin entre elles. Ce triangle stratégique kissingerien est bien illustré par l’année 1972 avec, en février, la visite de Nixon à Pékin et, en mai, sa venue à Moscou pour la signature du traité SALT. Aujourd’hui, l’Amérique est un catalyseur, par sa politique extrêmement antirusse, du rapprochement entre Moscou et la Pékin, au point que la Russie a invité les militaires chinois à participer aux manœuvres Vostok qui ont lieu du 11 au 15 septembre dans l’Est du pays.

LE MINISTRE DE LA DÉFENSE RUSSE SERGUEÏ CHOÏGOU ET SON HOMOLOGUE CHINOIS WEI FENGHE. 12 SEPTEMBRE 2018. BASE D’ENTRAÎNEMENT DE TSUGOL, SUD-EST DE LA RUSSIE. CRÉDITS : MIL.RU

C’est une erreur stratégique des américains. La Russie n’est plus en état d’être un concurrent stratégique. C’est la Chine qui l’est, et qui va supplanter les États-Unis. C’est la Chine qui a déjà conquis illégalement plus de mille hectares de terre sur les récifs des Paracels et des Spratleys, ces îlots où elle aménage des bases militaires, qu’elle veut même doter, paraît-il, de centrales nucléaires. Cet expansionnisme maritime chinois, les « Routes de la soie », le pillage systématique de la technologie occidentale, les déficits de commerce énormes entre la Chine et l’Amérique… tout cela est beaucoup plus grave que les Russes qui récupèrent Sébastopol, lequel est, quand même, un port russe.

LCDR : Emmanuel Macron a estimé récemment qu’il n’y avait pas de solution pour la sécurité en Europe sans la Russie. Donc, en creux, il appelle à l’organisation d’une conférence sur la sécurité en Europe. Est-ce que cela vous semble réalisable ?

R.G. : J’appelle depuis longtemps, dans mes chroniques pour le Figaro, à la constitution d’une nouvelle conférence pour la sécurité en Europe. Je ne peux donc que me réjouir, qu’Emmanuel Macron fasse sienne cette idée. Aura-t-il suffisamment de partenaires pour l’épauler, cela reste à voir. Une telle conférence ne peut se faire qu’avec la participation américaine.

Emmanuel Macron est parvenu à instaurer de bonnes relations avec Donald Trump, mais ce dernier n’a pas les coudées franches : il est sans arrêt obligé de prouver qu’il n’est pas prorusse. Le président américain a accepté de venir à Paris le 11 novembre prochain pour assister au défilé militaire du centième anniversaire de la victoire ; mais comme il n’est pas vraiment en mesure de faire une grande politique étrangère, on ne sait pas ce que ça va donner. Et si les Américains ne sont pas associés à cette conférence sur la sécurité en Europe, vous ne pouvez pas compter sur des pays comme, par exemple, la Pologne ou les États baltes, qui sont complètement et volontairement inféodés aux États-Unis, pour des raisons historiques très compréhensibles, qui remontent à la fin des années 1930, très précisément au pacte Molotov-Ribbentrop.

EMMANUEL MACRON, DONALD TRUMP, ET LEURS ÉPOUSES. MOUNT VERNON. 23 AVRIL 2018. CRÉDITS : SHEALAH CRAIGHEAD – FLICKR @WHITEHOUSE

Il y a une autre difficulté pour Macron. C’est un homme, qui, par son énergie, sa culture, sa jeunesse, a suscité, et suscite toujours, beaucoup d’espoirs en Europe. L’Angleterre étant aux abonnés absents, Merkel vieillissante et politiquement affaiblie, il pourrait s’emparer d’un leadership désormais vacant sur le continent. Le problème est que vous ne pouvez pas être suivi par vos partenaires européens si vous n’êtes pas vous-même un exemple. Selon moi, c’est une chose que le président français n’a pas suffisamment intériorisée. Le général de Gaulle a pu construire sa grande politique étrangère parce que sur le plan intérieur, la France était irréprochable et faisait l’admiration de l’Europe entière, sinon du monde entier. Il n’y avait pas de désordre dans les finances publiques, le pays était en croissance, son industrie se développait, sa recherche fonctionnait, son éducation était d’un très haut niveau.

Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Emmanuel Macron n’a pas encore apporté la preuve, alors qu’il est au pouvoir depuis seize mois, d’une véritable volonté de réforme de l’État français. Tant que les comptes publics du pays n’auront pas été rétablis ‒ et on en est encore loin au vu du dernier budget, qui est un budget « hollandais » ‒ nous n’aurons pas le respect de l’Allemagne et des autres pays. Le couple franco-allemand ne fonctionnant pas à sa pleine puissance, on n’arrive finalement à rien. Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. Macron veut tout faire en même temps, eh bien non ! Il faut d’abord rétablir les comptes publics français. Pour développer cette grande politique étrangère, que le président français dessine fort intelligemment, il nous manque cette indispensable exemplarité intérieure.

« Il y a un attachement de la Russie à la France, à l’âme de la France, bien supérieur à l’importance géopolitique ou économique française dans le monde. »

LCDR : Est-ce que c’est aussi un pré-requis pour avoir la considération de la Russie ?

R.G. : Moins, parce que les Russes ont une vision plus romantique des relations internationales. Pour eux, c’est la France de Louis XIV, de Bonaparte, de Félix Faure… de Charles de Gaulle, de Normandie-Niemen, de la littérature française, des Trois Mousquetaires… qui compte avant tout. C’est une vision, un attachement culturel très fort de la Russie à notre pays, qui remonte au XIXe siècle. À l’époque, toutes les familles russes de la haute société parlaient français. Il y a un attachement de la Russie à l’âme de la France, bien supérieur à l’importance géopolitique ou économique française dans le monde. Je dirais même que dans l’esprit russe… pas dans celui de Vladimir Poutine, qui parle allemand, mais dans l’esprit russe, la France est un pays qui compte peut-être encore plus que l’Allemagne, alors qu’économiquement ce n’est pas le cas. Je pense donc que cet aspect est moins important pour les Russes, qui d’ailleurs n’offrent pas chez eux un modèle de gestion à faire pâlir d’envie les Français ! Rires.

Hungary’s Democracy Is in Danger, E.U. Parliament Decides

By Patrick Kingsley and Steven Erlanger

European lawmakers voted by a wide margin on Wednesday to begin a punishment procedure against Hungary for potentially breaching democratic norms, a measure never previously initiated by the European Parliament.

The vote was only the first step toward potential sanctions. The leaders of the European Union’s 28 member states must ultimately decide if the government of Prime Minister Viktor Orban is at fault, and whether it should be punished.

But it was nevertheless a meaningful moment in contemporary European politics, because it showed Mr. Orban — for years sheltered by Europe’s center-right leaders, even as he undermined the rule of law in Hungary, criticized European institutions, and became a hero of the far right — losing the support of most of his allies in the European mainstream.

The measure passed 448-197, narrowly meeting a two-thirds threshold needed to validate it, after a majority of Mr. Orban’s conservative alliance broke with him.

That alliance, the European People’s Party, whose members include the leaders of the European Parliament, European Commission and European Council, as well as Chancellor Angela Merkel of Germany, had avoided publicly criticizing Mr. Orban, despite rising external objections to his autocratic tendencies in Hungary and his shift toward more extreme positions on European identity, migration and integration.

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Prime Minister Viktor Orban of Hungary addressed the European Parliament on Tuesday.CreditFrederick Florin/Agence France-Presse — Getty Images

That changed on Wednesday, when 115 members of the alliance voted against Mr. Orban’s government. Only 57 voted to support him, while 28 abstained. Manfred Weber, the alliance’s leader in the European Parliament, and Chancellor Sebastian Kurz of Austria, who leads another party in the alliance that has shifted right, both backed the measure.

The government of Hungary said the vote was not valid, because it did not reach the two-thirds threshold once abstentions were included.

Considered for much of his career a conventional center-right politician, Mr. Orban began to arouse criticism after returning to office in 2010 with an unexpectedly large majority that he used to stack the Hungarian constitutional court with loyalists, reshape the electoral system, and install loyalists at the top of major state institutions.

Five years later, he emerged as a hero to the far right after calling for the legalization of the death penalty — banned by European Union convention — and for an end to liberal democracy. His opposition to European migration policy and his call for a “cultural counterrevolution” in Europe put him in conflict with the European Union’s leadership.

But Mr. Orban’s own political alliance publicly stood by him, and might even have voted with him on Wednesday but for his increasingly provocative behavior since the start of the year.

This summer he has appeared more comfortable in the company of far-right figures such as Matteo Salvini, the new Italian interior minister, and Stephen K. Bannon, President Trump’s former chief strategist, than with his traditional allies in the center-right alliance.

The final straw came in a fractious private meeting of the alliance Tuesday night, when Mr. Orban refused to make any compromises, even claiming that he had no control over the actions of his lawmakers in Budapest, according to two people present at the meeting. The argument lasted for so long that the alliance’s interpreters left, leaving the members to debate in English rather than their mother tongues.

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A key moment came when both Manfred Weber, left, and Chancellor Sebastian Kurz of Austria, right, decided to support the censure of Hungary.CreditHans Punz/Agence France-Presse — Getty Images

The parliamentary vote came on the same day that Jean-Claude Juncker, the president of the European Commission, made what is expected to be his last “state of the union” speech before European Union elections next spring.

Mr. Juncker called for the bloc to be more aggressive in exercising its collective power, especially to defend a multilateral world order under threat from President Trump, Russia and China.

“The geopolitical situation makes this Europe’s hour: The time for European sovereignty has come,” Mr. Juncker said grandly.

“Whenever Europe speaks as one, we can impose our position on others,” he said, arguing that a deal he struck in July with Mr. Trump to try to negotiate a solution to a potential trade war showed the power of unity.

The union is largely united on trade issues, but has deep divisions on questions such as migration, security, values, and challenges to democratic and legal norms from central European members, especially Hungary and Poland.

Mr. Juncker, a federalist of the old school, also called for the euro currency to become more of a rival to the dollar for purchases of energy and high-tech European products like airplanes. The Europeans are struggling to preserve a nuclear deal with Iran in the face of American opposition, but are stymied by American secondary sanctions, given the dominant role that the dollar plays in international trade and banking.

He also called for more investment in European defense, and for controlling migration by shoring up the bloc’s external borders and investing in countries from where many of the migrants originate.

Back Shifting alliances in South Asia

11 September 2018

Prince Michael of Liechtenstein, GIS Reports

The triangle of China, India and Pakistan is a region where tensions are high. Ever since the mismanaged and partially forced creation of India and Pakistan when the subcontinent gained its independence from the United Kingdom, the two countries have been at odds, fighting four wars against each other – three over the division of Kashmir. At the border between China and India, there are still disputed territories. These two powers have also waged war against each other. Today, areas of conflict remain.

Both China and India have become more assertive in recent decades. China is challenging the United States for global hegemony and believes it is entitled to Asian predominance. India claims the role of leading power in South Asia, the southern flank of the Himalayas and especially the Indian Ocean.

Historically – mainly during the Cold War – India saw itself as leader of the nonaligned nations, though it leaned toward the Soviet side. Pakistan was an ally of the U.S.

New alliances

Lately this has changed. As China’s influence has risen, the U.S. and India have grown closer. The Americans pivoted toward India mostly due to the countries’ mutual interest in containing China. Neither power wants the Chinese presence in the Indian Ocean to get any stronger.

Chiefly due to U.S. sensitivity regarding Pakistan’s policies toward Afghanistan, relations between those two nations cooled. This gave China a tremendous opportunity to access the Indian Ocean through Pakistan and western China. China’s interests are manifold: its less-developed western regions obtain access to the sea, it gains an additional inroad to the Indian Ocean and it allies itself with one of India’s main rivals.

In this context, China is establishing the China-Pakistan Economic Corridor, a branch of its huge Belt and Road Initiative (BRI). It will include railways and highways across the Himalayas, through Pakistan to the port of Gwadar, which China is developing on the coast of the Arabian Sea. On the surface, this might look like an advantageous boost to Pakistan’s economy, but the result will be increased debt to China, as well as more political and economic dependence.

Nepal is situated on the southern flank of the Himalayas and is open to India’s heartland. Previously, Nepal’s politics and economy had been strongly dominated by India. Today, China is courting Nepal, improving roads between the two countries and offering access to its ports. China may thus develop another ally on India’s border.

Charm offensive

The U.S. is trying to counteract China’s efforts. Last week U.S. Secretary of State Mike Pompeo and Chairman of the Joint Chiefs of Staff Gen. Joseph Dunford visited Pakistan. The countries agreed to “reset” the relationship and reached an understanding that the Trump administration and the new Pakistani government would try to meet each other’s expectations. Just a few days earlier, President Trump had canceled $300 million in military aid to Pakistan. Pakistan’s new prime minister, Imran Khan, had taken office only a couple of weeks prior.

The next day, Secretary of State Pompeo and Defense Secretary Jim Mattis met their Indian counterparts in New Delhi and finalized defense pacts that could bring their militaries closer amid growing Chinese influence across Asia.

The countries are considering carrying out a major joint military exercise, and the U.S. will support India’s construction of another aircraft carrier. Washington will also refrain from taking any measures against India for importing Iranian oil, suggesting only that New Delhi should reduce the quantity. In contrast to Washington’s actions toward Turkey, Secretaries Pompeo and Mattis did not threaten India for its plans to purchase an S-400 air-defense system from Russia. This shows how important it is for Washington to keep India on its side.

Just after Secretary Pompeo’s departure, Chinese Foreign Minister Wang Yi visited his Pakistani counterpart Shah Mahmood Qureshi. Islamabad confirmed that the China-Pakistan Economic Corridor remains a top priority under Prime Minister Khan. Mr. Wang and Mr. Qureshi both emphasized the value of the corridor for Pakistan, potentially sending a message to Washington.

Nuclear deterrent

The tensions between India, Pakistan and China are explosive. India has disputed territories with both of the other two countries. Indian Prime Minister Narendra Modi has followed Hindu nationalist policies, which tend to alienate India’s 170 million Muslims and therefore provoke Pakistan, an Islamic republic. China has the superior military by far, and claims that the northeastern Indian state of Arunachal Pradesh – with some 1.3 million inhabitants – is rightfully Chinese territory.

However, a clash is more likely to occur between India and Pakistan, with Beijing supporting Islamabad. In consequence, Washington would step in on New Delhi’s side. That all these countries are nuclear powers actually stabilizes this situation somewhat – for the moment. As tensions rise, this factor could lose strength as a deterrent.

Jacques Beltran

Vice-Président villes et services publics de Dassault Systèmes. Il a commencé sa carrière à l’Institut français des relations internationales (IFRI), comme chargé de recherche sur la sécurité européenne et les relations transatlantiques (1999-2003). Il a travaillé chez EADS-AIRBUS comme chargé de mission « développement international » (2003-2005) puis a été nommé conseiller diplomatique du Ministre des Transports et de l’Equipement, D. Perben. En 2007, il a rejoint le groupe Alstom où il a exercé diverses fonctions en France et à l’international. En 2016, il rejoint l’équipe de Valérie Pécresse à la région Ile-de-France comme conseiller spécial et directeur général adjoint chargé des affaires européennes, de l’international et du tourisme, jusqu’en septembre 2019.

Tatiana Kastouéva-Jean

Chercheuse et directrice du centre Russie/NEI de l’Ifri depuis janvier 2014. Avant de rejoindre l’Ifri en 2005, elle a enseigné les relations internationales au Master franco-russe de l’Université MGIMO (Institut d’État des relations internationales de Moscou). Au début de son travail à l’Ifri, elle a développé une riche expertise sur les problématiques liées à la jeunesse, l’éducation supérieure et l’innovation en Russie : elle est auteure du livre Les universités russes sont-elles compétitives ?, CNRS Editions, 2013. Elle dirige la collection électronique trilingue Russie.Nei.Visions. Elle est diplômée de l’Université d’État de Ekaterinbourg, du Master franco-russe des relations internationales de Sciences Po de Paris et l’Université MGIMO, ainsi que de l’Université de Marne-la-Vallée. En 2020, elle a publié un ouvrage intitulé La Russie de Poutine en 100 questions (Paris, Tallandier).

Jean-Pierre Cabestan

Directeur de recherche émérite au CNRS et professeur émérite à l’Université baptiste de Hong Kong. Il est rattaché à l’Institut de recherche français sr l’Asie de l’Est (IFRAE) de l’INALCO. Il était de 2007 à 2021 professeur au Département de science politique de l’Université baptiste de Hong Kong qu’il a dirigé de 2007 à 2018. Il est aussi chercheur associé au Asia Centre, Paris ainsi qu’au Centre d’étude français sur la Chine contemporaine de Hong Kong. Nommé officier des Palmes Académiques en 2018 et chevalier de l’ordre national du Mérite en 2022, il est depuis 2019 membre correspondant de l’Académie des sciences d’outre-mer (ASOM). Ses principaux thèmes de recherche incluent les réformes politiques, institutionnelles et juridiques en Chine populaire, la politique étrangère et de sécurité chinoise, les relations Chine-Taiwan, le système politique taiwanais et les relations Chine – Afrique. Il a récemment publié Demain la Chine : guerre ou paix ? (Paris, Gallimard, 2021) et Deng Xiaoping, révolutionnaire et modernisateur de la Chine (Paris, Tallandier, 2024).

Josep Borrell Fontelles

Josep Borrell Fontelles est le Haut Représentant de l’Union européenne et vice-président de la Commission européenne. Il a été ministre des travaux publics et de l’environnement de 1991 à 1996, membre du Parlement européen de 2004 à 2009 et son président de 2004 à 2007. Borrell est devenu président de l’Institut universitaire européen en 2010 et titulaire de la chaire Jean Monnet à l’Institut d’études internationales de l’Université Complutense de Madrid. En 2018, il a été nommé ministre des affaires étrangères du gouvernement espagnol et, en 2019, Haut Représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.

Sweden’s Centrists Prevail Even as Far Right Has Its Best Showing Ever

By Christina Anderson and Steven ErlangerThe New York Times

STOCKHOLM — Sweden looked set for a period of political confusion after election results on Sunday put a center-right bloc and the governing center-left coalition neck and neck, while a far-right, anti-immigration party came in third — winning a higher percentage of the vote than ever before, but achieving less of a breakthrough than polls had suggested.

With more than 99 percent of ballots counted, the national election commission reported that the governing center-left Social Democrats had 28.4 percent of the vote, making it the largest single vote-getter, but handing the party its worst showing in decades.

The center-right Moderate party was next at 19.8 percent, while the far-right Sweden Democrats were running third, with 17.6 percent, up from 12.9 percent in 2014 but a less successful showing than many Swedes had feared. Some polls had predicted that the Sweden Democrats would come in second, with more than 20 percent of the vote.

The red-green bloc of center-left, leftist and environmental parties, led by the Social Democrats, had 40.6 percent of the vote. The center-right alliance, led by the Moderates, was just behind with 40.3 percent. The results mean neither bloc can command a majority in Parliament, and both have rejected the idea of any deal with the Sweden Democrats.

The campaign was unusually polarizing in a country known for seeking political consensus. The main issues were also the most contentious: immigration, crime, the welfare state and, after a summer of forest fires, the environment.

For some voters, the fierce debates were a welcome change.

“In Sweden we have been too afraid to discuss the issues,” said Anders Nilsson, 54, an I.T. engineer who voted for the Center party in Botkyrka, a diverse suburb south of Stockholm. “Now we dare to discuss tough questions.”

This election has been one of the most closely watched in Sweden’s recent history, with a focus on how the Sweden Democrats would perform given the rise of anti-immigration populist parties in countries like Germany, Italy and Austria.

“The world’s eyes are on Sweden and the path it takes,” Annie Loof, the head of the Center Party, said in a debate before the vote.

The Social Democrat prime minister, Stefan Lofven, who runs a minority government of the center-left, had warned voters on Saturday not to cast their ballots for what he called a “racist” party.

“This election is a referendum about our welfare,” he said. “It’s also about decency, about a decent democracy and not letting the Sweden Democrats, an extremist party, a racist party, get any influence in the government.”

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Voting in Strangnas, west of Stockholm.CreditErik Simander/Agence France-Presse — Getty Images

Jimmie Akesson, the leader of the Sweden Democrats, told supporters on Saturday that the current government had “prioritized, during these four years, asylum-seekers,” listing failures to do more for health care, housing and pensioners. “Sweden needs breathing space,” he said. “We need tight, responsible immigration policies.”

The results on Sunday followed another recent European election pattern: the shrinking of mainstream parties of the center-left and the center-right as they lose votes to more extreme parties on both sides of the political spectrum, as well as to environmentalist parties.

In Sweden, this shift has raised questions about whether the main parties will keep their vows to have no dealings with the Sweden Democrats, or whether they will have to reach some understanding with the party, especially on crucial budget votes.

The main parties may try to negotiate some sort of grand coalition, but that would be unusual in Sweden, where minority governments are fairly common.

“This is a new situation for Sweden,” said Soren Holmberg, a political scientist who heads the SOM Institute, an independent research group at the University of Gothenburg. “What is pretty clear is that there won’t be a majority on either side, so it means we have to have a lot of negotiation between the blocs.”

About 7.5 million registered voters chose from almost 6,300 candidates for a four-year term in the 349-seat Parliament.

Arian Vassili, a 23-year-old engineering student who voted Sunday in Botkyrka, said he supported the Social Democrats. “This is an incredibly important election,” he said. “This is an election about values, how you view people, your fellow human beings and whether we are going to take care of each other.”

Maria Enberg, 42, a cook who lives in Botkyrka, said she had voted for the Center party. “The Sweden Democrats have become so big, and I really wanted to vote against them. I don’t want any racist party governing in Sweden.”

The Sweden Democrats’ rise began in 2010, when the party crossed the 4 percent threshold for Parliament seats, getting 5.7 percent of the vote. In 2014, its vote share rose to 12.9 percent, making it Sweden’s third-largest party.

The Sweden Democrats have greatly benefited since the migration wave of 2015, when 163,000 asylum seekers came to Sweden, about 1.6 percent of the population.

Under Mr. Akesson’s leadership, the party has tried to soften its image. It now uses for the party logo a floppy flower in Sweden’s colors of blue and yellow instead of a flaming torch, and the party insists that it will not tolerate racism. But it campaigned on keeping “Sweden Swedish,” cracking down on crime and questioning whether immigrants and Islam will alter the country’s identity.

As in Germany, stricter border controls have been introduced in Sweden, and the numbers of new immigrants has fallen steeply, to about 23,000 this year.

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The Sweden Democrats leader, Jimmie Akesson, before a campaign meeting in Stockholm on Saturday.CreditJonathan Nackstrand/Agence France-Presse — Getty Images

But the political damage had been done, and despite a thriving economy and generally low unemployment, the Sweden Democrats argued that immigration should stop and that resources should go to refurbishing Sweden’s famous welfare state, which is strained by an aging population and the challenge of taking on migrants.

For those born in Sweden, the unemployment rate was 4.4. percent in 2017; for migrants, the number was 15.1 percent, according to government statistics.

During the campaign, the right-wing party spoke directly about traditionally taboo subjects like identity, Islam, integration and crime, winning supporters who felt the traditional parties had been reluctant to touch such sensitive issues. The party, along with the Left party on the other extreme, has benefited from a general sense of discontent and loss of confidence in the political system.

Li Bennich-Björkman, a political scientist at Uppsala University, said it was “sort of shocking” that the Sweden Democrats could come this far, but she noted that the party, which has disavowed its roots in the white supremacist movement, had transformed.

“I would say that the major part of their electorate are not racist and fascist,” Ms. Bennich-Björkman said. “They have managed very skillfully to transform themselves into a variant of the Social Democratic party, just with more nationalist ambitions,” she said.

The Social Democrats, who have dominated the country for a century, built Sweden’s welfare state. But their support has declined from 45 percent in 1994 to just over 28 percent on Sunday. The Left Party had 7.9 percent of the vote, and the Green Party 4.4 percent.

The Moderate party, led by Ulf Kristersson, leads the center-right bloc. He was chosen in October 2017 to head the party when his predecessor, Anna Kinberg Batra, resigned after suggesting that it might be possible to work with the Sweden Democrats. In its alliance, the Center Party won 8.6 percent of the vote, the Christian Democrats 6.4 percent and the Liberals 5.5 percent.

On Sunday night, Mr. Kristersson called on the prime minister to resign. “This government has run its course,” he told a party rally.

With the two blocs so close to each other, negotiations over forming a government are expected to be drawn out. “Usually we are quick in forming a new government,” said Mr. Holmberg, the political scientist. “This time it could drag on for weeks or months.”

Both centrist parties have moved to the right under the pressure of the Sweden Democrats and have promised tougher policies on immigration, the integration of refugees and crime.

Daniel Suhonen, the head of Katalys, a trade union research group, said he saw “very sad” parallels in the United States for the Sweden Democrats’ rise.

“They had a clear answer, like Trump,” he said at a Social Democrats event. “They said all the problems in Sweden are created by an elite that is corrupt and ruined the country with immigration, and you can see that in your bad pension, the lack of affordable housing for your adult children. They said you can solve it if you stop immigration.”

Christina Anderson reported from Stockholm and Steven Erlanger from Brussels.

Les élites doivent écouter les demandes d’identité, de souveraineté et de sécurité des peuples

07/09/2018

JACQUES HUBERT-RODIER | DOMINIQUE SEUX | VIRGINIE ROBERT, Les Echos

En cette fin d’été 2018, le monde vous paraît-il plus dangereux, par exemple, qu’il y a cinq ans ?

Le monde est dangereux sur certains plans et dans certaines régions. Mais il n’y a pas de risque d’enchaînements automatiques, et nous ne sommes pas à la veille d’un affrontement général. Ce sont plutôt nos illusions – occidentales, européennes ou françaises – sur la « communauté internationale » qui s’évanouissent les unes après les autres. A cet égard, Trump est autant un révélateur, une cause, qu’un facteur aggravant. Le plus dangereux c’est le compte à rebours écologique qui n’est pas assez pris au sérieux. Pour le reste, en géopolitique : mer agitée à très agitée partout.

 

La demande de frontières formulée par les peuples préfigure-t-elle un mouvement de démondialisation ?

Les élites sont bien obligées d’admettre que les peuples occidentaux, classes populaires puis classes moyennes, rejettent une mondialisation trop massive et trop perturbatrice et l’immigration de masse. Mais cela ne veut pas dire pour autant que le monde va se fermer, se « démondialiser ». Personne ne va renoncer à son portable. Je vois plutôt cela, après des excès, comme un balancier qui va se replacer au bon endroit. L’impact social, humain, culturel et identitaire de la baisse des droits de douane et de l’ouverture des marchés et des frontières a été très sous-estimé, c’est donc une correction. Il ne faut pas se faire peur : le monde va rester ouvert, avec plus de régulation, nationale ou internationale, sur les mouvements de personnes.

 

Que dites-vous à ces élites mondialisatrices, selon votre expression ?

Je n’ai pas grand-chose à dire de plus aux entreprises et à leurs dirigeants, sauf d’accélérer « l’écologisation ». Elles font leur job. En revanche, je dis aux responsables politiques et à tous ceux qui ont accès à la parole publique, qu’il faut entendre les demandes d’identité, de souveraineté et de sécurité des peuples, au lieu de s’en indigner, les canaliser, y répondre.

 

Quand on voit la façon dont fonctionnent les relations internationales aujourd’hui, notamment avec Donald Trump, le multilatéralisme est-il vraiment mort ?

Il est un idéal pour nous et une pratique en Europe, mais dans le monde d’avant Trump la coopération internationale n’était pas la règle ! Les Américains, y compris Bill Clinton, ont souvent habillé leur imperium derrière une apparence de concertation. Mais au moins elle était là. Le fait que Donald Trump casse ces illusions peut être dévastateur dans la mesure où il fera des émules.

 

Trump pèse-t-il vraiment sur un sujet comme le réchauffement climatique ?

Il est très nuisible mais il ne peut pas empêcher les Etats-Unis, avec tous leurs chercheurs, leurs villes, leurs entreprises, d’avancer dans la transition écologique. Il met seulement l’administration fédérale hors jeu, pour un temps. De même, s’il y avait une avancée de la coopération internationale pour préserver la biodiversité, les forêts ou les océans, il ne pourrait pas l’empêcher complètement. Mais c’est un handicap.

C’est bien différent sur l’Iran où, grâce à l’omniprésence du dollar, il peut imposer aux entreprises du monde entier un blocus pour provoquer une guerre civile et la chute du régime, comme le veulent Netanyahu et les Saoudiens.

 

Peut-on encore parler d’hyperpuissance à propos des Etats-Unis ?

A nouveau, oui, et peut-être plus encore qu’avant. J’ai parlé d’hyperpuissance en 1997 parce que le terme classique de superpuissance faisait trop « guerre froide » et qu’il me semblait que c’était la plus grande puissance de tous les temps. Après le 11 Septembre, qui a montré une certaine vulnérabilité américaine, j’ai moins employé ce terme, qui a eu sa vie propre. Mais les Américains conservent des éléments de puissance incomparables : le budget militaire, les Gafa, leur pouvoir judiciaire extraterritorial et abusif auquel nul n’a eu le courage de s’opposer depuis des décennies. L’hyperpuissance du président Clinton était rayonnante, assez séduisante, même si elle était arrogante. Elle associait bien les intérêts américains et une idée générale du monde, comme sous Roosevelt, Truman ou Kennedy. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Vous avez de nouveau une hyperpuissance, cette fois-ci brutale, agressivement unilatéraliste et, qui plus est, révisionniste de l’ordre « libéral » américain, ce qui est un paradoxe. Emmanuel Macron ne prend pas Trump de front, mais sur chaque point il ne se laisse pas impressionner, tout en assumant qu’il faut maintenir un lien. Il a raison. Mais la question se pose : que faire malgré Trump ? Et que faire contre lui ?

 

La Chine n’est-elle pas la limite à l’hyperpuissance américaine ?

On verra. Potentiellement, c’est une gigantesque puissance et il n’y a pas de limite apparente à son ascension. Mais dans ma définition de l’hyperpuissance, il y avait aussi la séduction, l’attractivité du mode de vie, cent ans de Hollywood, les universités américaines, avant qu’elles ne soient minées par le politiquement correct, le rêve américain. Les Chinois n’ont pas ça du tout ou pas encore ! Leur réussite est spectaculaire mais leur système n’est pas séduisant. Encore que… En tout cas, pas pour les démocraties établies. Il y a une interrogation sur leur objectif. Les spécialistes de la Chine disent que, méprisant le monde extérieur, ils ne chercheront pas à être prosélytes et ne voudront pas nous convertir à leurs idées, pas de valeurs « chinoises universelles » ! Mais d’un autre côté vous voyez cette puissance économique, multipliée par le nombre, qui permet de neutraliser ou d’influencer déjà 40, 50, 60 voire 70 pays ! De Deng Xiaoping à Xi Jinping, il y a eu des ingénieurs de la décision politique, travaillant dans le temps long, et qui ont bénéficié d’une vraie stabilité.

Depuis les Lumières, les Occidentaux modernes, progressistes, ouverts pensaient être à l’avant-garde de l’humanité. Et voilà que la Chine remet en cause ce rôle, notre supériorité, nos idées ? C’est impensable pour nous ! Il faut pourtant nous préparer à un vaste compromis sur les règles mondiales. Il est urgent de trier dans nos fondamentaux et de voir ce qui est fondamental, et ce qui peut relever d’un compromis avant que les Chinois ne nous mettent devant le fait accompli.

 

Vous ne voyez pas la Chine comme une puissance expansionniste ?

Pas autant que nous le fûmes, d’Alexandre le Grand à Hitler en passant par Napoléon. La Chine fonctionne plutôt comme un commissariat au plan, qui organiserait, en s’assurant de ses apprivoisements et qui les sécurise, une politique de puissance (route de la soie, etc.) à l’instar de celle de l’Empire britannique et de ses bases. Les Chinois ne sont sans doute pas animés par une volonté hégémoniste allant au-delà de ce qui a été l’empire des Qing. Elle veut surtout maintenir son unité et son intégrité rétablies. Je n’exclus pas complètement un affrontement, un jour, entre les Etats-Unis et la Chine sur la libre circulation en haute mer. Mais si, face à cette gigantesque affirmation chinoise, certaines puissances, comme le Japon, Taïwan, la Corée, l’Inde, l’Australie, l’Europe, les Etats-Unis, s’organisent pour ne pas agir en ordre dispersé afin de faire respecter des règles de base, les Chinois feront attention. Il faudrait pour cela dans les démocraties des dirigeants que les systèmes politiques laisseraient mettre en oeuvre de vraies stratégies !

L’axe indo-pacifique est-il une bonne réponse ?

Oui, si on lui donne un contenu crédible avec les pays concernés. Mais le comportement américain pousse plutôt l’Inde vers la Chine.

 

Que pensez-vous de la décision du président américain d’imposer des sanctions contre l’Iran mais aussi contre les entreprises faisant du commerce avec ce pays ?

C’est totalement illégal et, pour ceux qui croient encore un peu au droit international, scandaleux. De plus, irresponsable. Pour l’Europe, la conclusion devrait être simple : tout faire pour ne plus dépendre des Etats-Unis, devenus une puissance erratique, même si nous préférons rester ses alliés. Cela est trop dangereux. Il faut reconstruire notre autonomie monétaire (euro, SWIFT).

 

L’Europe peut-elle devenir une puissance ?

Si l’on met bout à bout le potentiel des Européens sur tous les plans, il est considérable. Emmanuel Macron a fait d’importantes propositions pour une Europe plus forte, mais il faut une volonté explicite et partagée pour les mettre en oeuvre. Créer des mécanismes, des coopérations, des institutions, ne suffit pas. Les Européens ont été autrefois l’incarnation même du jeu des puissances. Après 1945, la construction européenne a intelligemment utilisé la paix imposée par les Soviétiques et les Américains. C’était formidable : il y avait le parapluie américain et le plan Marshall. Mais c’est fini. Pourtant l’idée que l’Europe soit obligée de devenir une puissance dans le monde chaotique d’aujourd’hui terrorise la majorité des Européens…

 

Est-ce que cela peut changer ?

Oui, si on parvient à sortir les Européens du déni et de leur coma stratégique, en leur démontrant que si l’Europe ne devient pas une puissance (raisonnable et pacifique), avec une autonomie stratégique, elle restera… impuissante, et donc dépendante.

 

La zone euro n’est-elle pas le bon espace pour faire repartir l’Europe ?

Il faut la renforcer mais, politiquement, cela ne suffit pas. Que l’euro marche bien, et ne soit pas vulnérable à une autre crise monétaire, est un objectif rationnel, important en soi. Mais cela ne répond pas aux attentes des peuples. On ne passe pas directement d’une zone euro, même perfectionnée, à une relance de l’Europe. Relance de quoi d’ailleurs ? Si cela veut dire plus de construction européenne, avec de plus en plus d’intégration comme le veulent les élites intégrationnistes, les peuples ne suivront pas. Sauf si les dirigeants européens arrivent à se mettre tous d’accord sur la maîtrise des flux migratoires, ce qui rendrait les opinions publiques européennes plus réceptives à d’autres progrès en Europe.

 

Que faut-il faire face à la crise migratoire ?

D’abord sauvegarder le vrai droit d’asile, sans le dévoyer, pour les personnes réellement en danger et, d’autre part, cogérer les flux migratoires économiques avec les pays de départ et de transit, en fonction de nos capacités d’insertion et de nos besoins économiques. On peut imaginer des réunions annuelles avec les pays européens de l’espace Schengen, les pays de départ et ceux de transit, avec une multitude d’accords sur mesure.

Il faut casser le vocabulaire qui est employé à dessein pour tout confondre : demandeurs d’asile et migrants. L’extrême gauche joue la carte migratoire, et de l’islamo-gauchisme. L’extrême droite veut pouvoir dénoncer une invasion générale. Et les ONG ne veulent pas non plus distinguer et parlent de réfugiés à propos de migrants économiques.

 

Certains pays mettent en avant la montée de l’islamisme pour expliquer la peur des musulmans ? Est-ce que cela peut évoluer ?

Cela diminuera si l’islamisme recule ! Pour le moment ce n’est pas le cas. Il suffit de parler avec des dirigeants musulmans qui sont en lutte chez eux, en première ligne, contre l’islamisme. Je connais beaucoup de musulmans marocains, algériens, tunisiens, mauritaniens, égyptiens, etc. qui disent : « vous êtes trop naïfs. Le voile, c’est organisé, c’est parfois payé. Il faut juste l’interdire. » Ils osent dire que l’islamisme, qui s’est emparé du sunnisme, est un nazisme. Pour moi, il faut une alliance, une coalition mondiale des musulmans modérés et des démocrates.

 

La France a-t-elle échoué pour trouver une solution à la guerre civile en Syrie ?

Sur la Syrie, les Occidentaux, et nous en particulier, ont échoué. Ses postulats moraux étaient honorables, mais la politique française des dernières années nous a mis hors jeu. En fait, nous n’avons plus de levier, sauf à nous entendre avec les Russes.

 

Que faire face à la Russie ?

Depuis vingt-cinq ans, les torts ont été partagés entre Occidentaux et Russes. Je ne dis pas que, depuis la fin de l’Union soviétique, elle a été mal traitée, mais elle l’a été de façon idiote. Reconduire sans cesse des sanctions ou haïr Poutine ne constitue pas une stratégie. Il faut en sortir par le haut. Emmanuel Macron a raison de dire qu’il faut réarrimer la Russie à l’Europe, et d’en refaire un partenaire stratégique, même si cela n’est pas facile.

Jacques Hubert-Rodier, Virginie Robert et Dominique Seux

Sweden Was Long Seen as a ‘Moral Superpower.’ That May Be Changing. Image

Steven Erlanger, The New York Times

STOCKHOLM — In a civic center in Rinkeby, a heavily immigrant district of northwest Stockholm, several hundred people gathered recently for a forum on Sweden’s coming election and the future of the country.

The conversation, about the nature of Sweden’s democracy and the importance of voting, was sophisticated and passionate. But it was frustrating for one participant, Ahmed Ali, a Somali immigrant, who thought people were dancing around the main issue.

“The stakes are really high in this election,” he said in an interview. “There are more extremists in the country, and they have more influence. They don’t have a real political agenda. They just hate immigrants. And this xenophobia is happening all over Europe.”

As an angry and divided Sweden prepares to vote on Sunday, the shape of the next Swedish government is utterly unclear, because of the rapid rise of the anti-immigration, anti-Europe Sweden Democrats, a populist nationalist party that is expected to win a fifth of the vote.

“This election is very important to us,” said Kahin Ahmed, 48, who is running for a local seat, but complains that none of the Swedish parties put immigrants or black people high enough on their party lists to get elected in proportionate numbers, even in areas like this one. “There is a racist party moving forward fast, and we have to stop them.”

Election posters in Rinkeby, a heavily immigrant district of northwest Stockholm.CreditLoulou d’Aki for The New York Times

Sweden, long considered “a moral superpower,” as the political scientist Lars Tragardh put it, has traditionally welcomed immigrants. But that is changing under the pressure of globalization, immigration and anxiety about national and cultural identity. As in Germany and France, parties of the extremes, of the left and especially of the right, are increasing their support at the expense of those that have traditionally dominated.

Sweden “is joining the rest of Europe,” Carl Bildt, a former prime minister from the center-right Moderate Party, said with evident sadness. “And the myth of the Sweden model is melting away.”

The melting was in evidence recently in Sergels Square in central Stockholm, where Martin Westmont, a candidate for the Stockholm regional council, made the Sweden Democrats’ case to the voters.

“We’re the new wave,” he said. The election “will be a revolution.” He predicted that the Social Democrats, the party who built the famous Swedish welfare state, would collapse, “even if not this time,” and “we will become the largest party.” Many voters were still reluctant to tell pollsters that they would vote for the Sweden Democrats, Mr. Westmont suggested.

Populism has shifted the political discourse to the right and raised the temperature, even among the traditionally phlegmatic Swedes. Political support is fragmenting, with the long-dominant Social Democrats heading for their worst showing in a century.

They are losing voters to the Left Party and the Greens, especially after this summer of extensive forest fires, but also some working-class voters to the far-right Sweden Democrats. The Moderates have lost even more to the far right.

A view over central Stockholm. The wave of migrants in 2015 flowed mostly to Sweden and Germany, regarded as Europe’s most welcoming destinations.CreditLoulou d’Aki for The New York Times

The migrant wave of 2015 flowed mostly to Germany and Sweden, regarded as Europe’s most welcoming nations. Germany took in more than one million, while 163,000 arrived in Sweden seeking asylum, a large number in a country of 10.1 million. If the panic in Sweden has been less than in Germany, the political impact has been similar: the rise of a far-right, anti-immigrant, nationalist party — Alternative for Germany in one case, and the Sweden Democrats in the other — that is upending old certainties.

Political elites here as elsewhere “underestimated how much people still live in national democracies,” not some global stew, said Professor Tragardh, who teaches at Ersta Skondal Bracke University College.

As in Germany, stiffer border controls were quickly introduced in Sweden and the numbers of new immigrants fell steeply, to about 23,000 this year. But the political damage had been done, and despite a thriving economy and low unemployment, the Sweden Democrats argue that immigration should stop and that resources should go to refurbishing the welfare state strained by an aging population, gang violence and the challenge of taking on migrants.

Integration of newcomers takes up to seven years, because of tough labor market requirements, insisted upon by Sweden’s trade unions, and the challenges of the country’s language and of its culture, which is more comfortable opening its borders than its homes.

“This election really matters, and it is pretty much up in the air,” said Jonas Hinnfors, a professor of political science at the University of Gothenburg. Welfare, health and taxes are, as ever, top issues, as is climate change, he said, but “to an unprecedented extent, you have immigration and crime, and also unprecedented is the way the Social Democrats are campaigning on these issues and proposing more police and tougher border controls.”

The rise of the Sweden Democrats masks the decline of the Social Democrats, who are synonymous with social democracy in Europe and have come first in nearly every Swedish election since 1917. But while they got over 50 percent of the vote in 1968 and more than 45 percent in 1994, their support has dwindled steadily to about 25 percent, reflecting declines in support for socialist and left-center parties elsewhere in Europe.

At a lecture and discussion in Rinkeby about Sweden’s coming election and the future of the country.CreditLoulou d’Aki for The New York Times

If the Sweden Democrats, as expected, get around 20 percent of the vote, that will make it impossible for either the center-left or center-right bloc to form a majority government. The other parties insist that they will not do any deals with the Sweden Democrats, but the question has already cost the Moderates one leader and is bound to come up again in the days after the election, no matter which bloc ends up larger.

The surge of the Sweden Democrats, with their roots in Swedish fascism and neo-Nazism, has astounded many. Under a young leader, Jimmie Akesson, the party has moved to expel its most extreme members and soften its message, symbolized by the switch of its logo from a flaming torch to a floppy version of the blue anemone, one of Sweden’s favorite flowers and a harbinger of spring.

The strategy seems to be working. The party crossed the 4 percent threshold for parliamentary seats in 2010, getting 5.7 percent of the vote; in 2014, it won 12.9 percent. It could now become Sweden’s second-largest party, with all the complications that could bring.

The Sweden Democrats have not abandoned their traditional slogan, “Keep Sweden Swedish,” but have downplayed it in favor of “Security and Tradition.” What they are selling, most people agree, is nostalgia for a mythic Sweden of the 1950s — safe, prosperous and white.

They vow to protect the civil religion of the welfare state and restore the “Folkhemmet,” or the “people’s home,” the idea of the nation as a family where everyone contributes and cares for one another. That concept was created by the Social Democrats, but many consider it threatened by immigration, Islam and crime.

And like other populist parties across Europe, they have been greatly aided by the 2015 migration wave, a rise in gang warfare in the suburbs of big cities and some coordinated and highly visible bouts of car burnings.

A street in Rinkeby. Sweden has traditionally welcomed immigrants, but that is changing under the pressure of globalization, immigration and anxiety about national and cultural identity.CreditLoulou d’Aki for The New York Times

Mr. Westmont, 39, the Sweden Democrats’ candidate for the Stockholm regional council, said his experiences growing up were typical of many in his generation who have soured on immigration.

He said he was a youth member of the center-right Moderates, “but they were becoming too liberal for me.” Growing up in a Stockholm suburb, “half the kids” were immigrants. “So I saw the problem from an early age, and I also saw that what the other parties say was not true.”

When he joined the Sweden Democrats in 2010, his parents were so embarrassed that he decided to change his name, he said. “But a lot of Moderates have come to us, and now my father supports the party, and I hope my mother will, too.” Then he smiled and said, “But who knows about mothers?”

Kimia Khodabandeh sees a more sinister side. Age 18 and a first-time voter, she was born in Sweden to Iranian parents who fled the revolution there. “I do feel targeted,” she said. “I was raised Swedish and feel Swedish, but I don’t look Swedish, and they wouldn’t accept us as Swedish.”

“And that’s why I’m concerned,” she continued. “We live in a society where everyone is accepted and helps one another, but we’re heading in the wrong direction. I just don’t understand why some people want to ruin everything.”

In the end, the Social Democrats and the center left may yet cling to power, and the Sweden Democrats may do well but again be kept out of the government. But the question of whether to make some deal with them, as mainstream parties in Finland, Denmark and Norway have done with their far-right rivals, or to continue to isolate them, is unlikely to go away.

“This election is a struggle about values and Swedish identity,” said Ulf Bjereld, a professor of political science at the University of Gothenburg and an active member of the Social Democrats. “The question is how to keep Sweden in the forefront of liberalism and social democracy versus stronger support for the nation state and borders. Who will Sweden be in this struggle? We’re just at the beginning of this debate.”

La France va multiplier par quatre les dons pour l’aide au développement

VIRGINIE ROBERT, Les Echos

L’enveloppe de dons passera à 1,3 milliard d’euros en 2019, alors que les prêts étaient jusque-là privilégiés. Les priorités sont notamment l’Afrique et la formation des jeunes avec le développement d’une approche plus partenariale.

Afin de souligner la priorité que le gouvernement entend désormais porter à l’aide internationale, c’est, symboliquement, depuis le siège de l’Agence française pour le développement à Paris qu’un ministre des Affaires étrangères s’est exprimé pour la première fois, lundi.

Jean-Yves Le Drian a rappelé l’ambition du président Emmanuel Macron d’en faire « une politique d’investissement solidaire » dont les bénéfices pour notre pays « se traduisent en attractivité, influence et sécurité ». Alors que la France est à la traîne par rapport à d’autres puissances plus généreuses (voir graphique), ses moyens devraient atteindre 0,55 % du revenu national brut en 2022  (contre 0,43 % en 2017).

La France va multiplier par quatre les dons pour l\'aide au développement

Un besoin de nouvelles méthodes

Cette ambition accrue exige de nouvelles méthodes. « Il faut rétablir les actions bilatérales directes, faire le choix de la contribution vers les pays les plus fragiles en quadruplant l’enveloppe de dons », affirme le chef de la diplomatie française. Ce sont 1,3 milliard d’euros additionnels de dons qui ont été confirmés pour 2019 avec dans le  viseur l’éducation, la santé, les fragilités, le climat et les égalités hommes-femmes.  « Dans un monde où les logiques de puissances s’expriment de plus en plus fortement, notre aide crédibilise notre parole et notre action économique et diplomatique », assure Jean-Yves Le Drian.

Dans un rapport remis en fin de semaine dernière au Premier ministre Edouard Philippe, le député Hervé Berville (LREM) a souligné « la distorsion grandissante entre les priorités et l’allocation de moyens » de la politique d’aide au développement française. L’Afrique reste ainsi le premier continent bénéficiaire de l’aide française, mais sa part dans l’aide totale nette est passée de 52 % à 41 % en 2016. Le soutien à 19 pays prioritaires oscille seulement entre 10 % et 15 % de l’aide totale nette. Quant à celle réservée aux pays du Sahel, elle est en baisse de 29 % par rapport à l’année précédente, souligne le rapport. Il constate également que ces dernières années, les activités de prêts favorisant les pays les moins risqués ont été privilégiées et que la part de l’aide à l’éducation est très faible.

 L’Etat n’a pas su organiser le pilotage politique. 

En termes de gouvernance, « l’Etat n’a pas su organiser le pilotage politique ». L’architecture budgétaire est complexe et limite les capacités de contrôle du Parlement. Par rapport aux agences britannique ou suédoise, la France souffre d’un déficit de transparence. « Il faudrait créer une commission indépendante d’évaluation auprès de la Cour des comptes, d’autant que les moyens vont augmenter de six milliards d’euros d’ici à 2022, ce qui est substantiel », explique Hervé Berville. Il milite également pour un développement de la politique partenariale, une action plus affirmée des ambassades ainsi que pour la préparation d’une loi de programmation en 2019, un projet annoncé par le président de la République. « Il faut qu’on sorte de la logique quantitative pour s’intéresser à l’impact, à l’efficacité des programmes et qu’il y ait de la lisibilité dans la durée », estime-t-il.

Une inflexion historique

Le président de l’Agence française pour le développement, Rémi Rioux, parle de mettre en place « un nouveau logiciel » : « La maison double de taille et nous avons maintenant la capacité en dons qui nous manquait ». Concrètement, l’agence de 2.500 personnes devient un groupe qui inclut Proparco (investissements privés), et Expertise France (350 personnes). Un fonds commun avec la Caisse des dépôts doit permettre d’investir dans les infrastructures. Les engagements de l’AFD, qui ont atteint 10,4 milliards d’euros en 2017, vont croître à 14 milliards d’euros en 2019. Trois zones sont ciblées : l’Afrique (dans sa totalité), l’Amérique latine, et les pays d’Outre-mer.

Ces nouveaux moyens et ambitions marquent « une inflexion tout à fait historique », observe Rémi Rioux. A sa charge, désormais, de « susciter, structurer, instruire un nombre beaucoup plus élevé de projets ».

Redressing the European position

04 September 2018

Prince Michael of Liechtenstein, GIS

After two world wars, which were also two European civil wars, the continent lay in ashes and divided. Central Europe was subjected to Soviet rule behind the Iron Curtain, while Western Europe held out under the protection of the United States. France and the United Kingdom officially belonged to the victors, but lost their role as global players and had to dissolve their colonial empires in the 20 years following World War II.

There followed a European miracle, strongly based on the close realignment and newly forged friendship between France and Germany. This led to the European integration process and the European Economic Community (EEC). The resulting single market was a huge success and Europe emerged as a global economic power to be reckoned with. With the collapse of the Soviet Empire, the European Union was further strengthened by the accession of new members from the Baltic region and Central and Southeast Europe.

Over the past 30 years, however, the world’s economic center of gravity started to move from the North Atlantic to the Pacific. While European countries still enjoy a technological lead in a number of sectors, their economies have been hobbled by overregulation, bloated welfare states and protectionist measures (mainly introduced under the pretext of protecting consumers and leveling internal competition through “harmonization”). Europe’s oversized bureaucracies and staggering sovereign debt threaten to strangle its market economies, destroying prosperity, undermining property rights and finally leading to the collapse of unsustainable social security systems.

Besides imperiling their own financial security, European powers also neglected defense – in part out of moral arrogance. They forgot that military strength can be an important factor in global competitiveness. As a result, Europe has remained in security matters an American protectorate, and at best a junior partner of the U.S.

Needed reminder

To stay competitive globally, Europe – though geographically part of Eurasia – needs a close partnership with the U.S. A strong, prosperous and soberly self-confident Europe would be a welcome asset on both sides of the North Atlantic. By leveling the geopolitical playing field, a stronger Europe would also be better positioned to improve relations with the East, especially with Russia.

It needed President Donald Trump’s “direct diplomacy” to issue an overdue wake-up call. Just this past week, French President Emmanuel Macron, German Finance Minister Olaf Scholz and German Foreign Minister Heiko Maas declared that Europe needs to get stronger. Unfortunately, these statements sounded more like expressions of defiance toward Washington than real declarations of intent. Specifics were noticeably lacking.

The solution to Europe’s weakness is not more government programs but letting market forces work

 

It is certainly obvious that Europe’s defense industries need to cooperate more closely to achieve economies of scale. President Macron’s calls for more self-reliance on defense and Mr. Scholz’s advocacy of mergers to improve the efficiency of defense production and procurement make sense. One hopes that implementation will follow, bearing in mind that a planned merger of Airbus and BAE Systems defense units was aborted by European governments just a few years ago.

Heiko Maas is promoting the development of a European financial clearing system independent of SWIFT. Competition in this area would certainly be beneficial. Still, Mr. Maas’s reasoning is faulty, since it starts not with economic efficiency but with a desire to break free from the U.S.

European policymakers are right to worry that their continent lags behind the U.S. and China in digital technology and artificial intelligence. However, the solution is not more government programs but letting market forces work. European overregulation is the stumbling block.

We can be happy if Berlin and Paris work together effectively to promote European interests. However, if this cooperation is driven by opposition to the U.S. and brings more statism, instead of Europe’s defining principles and strengths of diversity, regional competition and subsidiarity, it would be disastrous.

Iran-Amérique : deux stratégies sans issue

Publié 

Renaud Girard, Le Figaro

Depuis que la victoire de leur allié baasiste dans la guerre civile syrienne est apparue évidente, les « Gardiens de la Révolution » iraniens n’ont pas manqué de se gargariser de leur stratégie. Quels progrès la République islamique d’Iran n’avait-elle pas accomplis depuis 1988, date à laquelle, épuisée par huit ans de guerre, elle avait dû accepter un armistice sans bénéfice avec son agresseur, l’Irak de Saddam Hussein ! Il y a peu, les Pasdarans se vantaient encore auprès de leurs visiteurs étrangers que la Perse des mollahs avait conquis son accès à la Méditerranée et mis la main sur quatre grandes capitales arabes : Bagdad, Damas, Beyrouth et Sanaa. Ce n’est pas entièrement faux et l’axe chiite est une réalité au Moyen-Orient.

Le militaire qui monte à Téhéran, le général Qasem Soleimani, patron de la Force d’intervention Al-Qods, le fer de lance à l’étranger du Corps de Gardiens de la Révolution, a indéniablement accru l’influence régionale de son pays. Tel un bon judoka, l’Iran a su depuis trente ans retourner en sa faveur les attaques, directes ou indirectes, déclenchées contre lui ou contre ses alliés.

Sur quatre crises, on peut dresser des constats qui se terminent à l’avantage de l’Iran. Lorsque les Américains se retirent militairement en août 2010 de l’Irak, qu’ils avaient envahi en mars 2003, c’est pour – bien involontairement – le donner sur un plateau d’argent aux forces politiques chiites pro-iraniennes.

Au début de l’été 2015, personne n’aurait parié un kopeck sur le sort du régime laïc de Bachar al-Assad en Syrie, qui a réuni contre lui la Turquie, l’Arabie saoudite, le Qatar, les Etats-Unis, la France et les djihadistes sunnites de l’ensemble du monde arabo-musulman. Damas est à deux doigts de tomber. L’Iran est très préoccupé par son vieil allié syrien, le seul qu’il ait eu lors de la guerre du Golfe de 1980-1988. Le général Soleimani fait alors le voyage de Moscou, pour convaincre Vladimir Poutine d’envoyer un corps expéditionnaire russe en Syrie. C’est chose faite en septembre 2015 et le régime est sauvé.

Au Liban, le Hezbollah sort politiquement victorieux des 33 jours de guerre qu’il a fait à Israël pendant l’été 2006. La milice chiite libanaise (fondée par les Pasdarans en 1982) n’a bien sûr pas battu militairement l’Etat hébreu. Mais comme elle a résisté à l’anéantissement que lui promettaient les dirigeants israéliens – une première chez les arabes -, elle peut proclamer sa « divine victoire ». En mai 2008, après une démonstration de force dans les quartiers sunnites de Beyrouth, le Hezbollah va obtenir ce qu’il a toujours recherché : un droit de veto sur toutes les décisions stratégiques du gouvernement libanais.

Au Yémen, la coalition arabe dirigée par l’Arabie saoudite, principal rival régional de l’Iran, piétine ; elle ne parvient pas à reprendre la capitale aux montagnards Houthis, que Téhéran soutient à très peu de frais.

Mais à quoi servent à l’Iran ses succès militaires avérés ? En quoi lui profite son « accès à la Méditerranée » ? Quel est le bilan coûts-avantages de la constitution du fameux axe chiite ? Désormais soumis à un terrible régime de sanctions américaines, l’économie iranienne s’effondre. La population se lasse des aventures extérieures de ses dirigeants. Au demeurant, les prises de guerre ne sont pas si belles : le territoire syrien est ravagé ; la colère populaire gronde dans le port irakien de Bassora, toujours privé d’électricité et d’eau potable ; encouragé par les Emiratis, le Sud du Yémen se prépare à faire sécession ; redevenu une place financière, le Liban applique à la lettre les diktats du Trésor américain. A quoi sert de hurler contre Israël, alors même que les nations arabes se rapprochent de l’Etat juif ? A quoi sert une puissance qui n’apporte pas la prospérité à son peuple ? La stratégie iranienne apparaît de plus en plus sans issue.

Invoquant leur dignité bafouée, les dirigeants iraniens ont eu tort de refuser l’offre de dialogue de Donald Trump. Mais, de son côté, la Maison Blanche aurait tort de suivre les recommandations extrêmes de John Bolton (Conseiller à la Sécurité nationale), qui veut asphyxier les Iraniens, pour les forcer à changer de régime. Cela ne se produira pas. Le résultat risque d’être l’inverse : l’éviction du président modéré Rohani, et le couronnement du général Soleimani.

L’Iran, dont les élites estudiantines et entrepreneuriales sont prooccidentales, se transformera par la réforme progressive, mais pas par une nouvelle révolution ou quelque violent changement de régime. Washington semble ne pas l’avoir compris.

L’Iran et l’Amérique entretiennent l’un avec l’autre des stratégies sans issue. Tant que se poursuivront ces haines recuites, le Grand Moyen-Orient ne connaîtra ni la stabilité politique, ni le retour de la confiance économique, pourtant indispensables au développement harmonieux de la région.

Les deux faces de l’exceptionnalisme américain

CAMBRIDGE – En juillet, je me suis associé à 43 autres spécialistes des relations internationales pour publier une annonce dans un journal soutenant que les États-Unis doivent préserver l’ordre international actuel. Les institutions qui composent cet ordre ont contribué « à des niveaux sans précédent de prospérité et à la plus longue période de l’histoire moderne sans guerre entre les principales puissances. Le leadership américain a contribué à créer ce système et le leadership américain est essentiel à sa réussite. »

Mais quelques spécialistes sérieux ont refusé de signer, non seulement au motif de la futilité politique de telles déclarations publiques, mais parce qu’ils étaient en désaccord avec « l’engagement bipartite américain à ‘l’hégémonie libérale’ et à la fétichisation de la conduite des États-Unis sur laquelle elle se fonde. » Les critiques ont correctement précisé que l’ordre américain après 1945 n’était ni mondial ni toujours très progressiste, alors que les défenseurs répondaient que, bien que cet ordre fût imparfait, il a produit une croissance économique inégalée et a permis la diffusion de la démocratie.

Les débats de ce genre n’auront surement pas beaucoup d’effet sur le Président Donald Trump, qui a proclamé dans son discours d’investiture :« A compter de ce jour, ce sera seulement l’Amérique d’abord, l’Amérique d’abord […] nous rechercherons l’amitié et la bonne volonté des nations du monde – mais en comprenant que c’est le droit de toutes les nations de placer au premier plan leur intérêt particulier. »

Mais Trump a continué en déclarant que « nous ne cherchons pas à imposer notre mode de vie à quiconque, mais plutôt nous le laissons briller comme un exemple. » Sur ce point, il a vu juste. Cette approche peut s’appeler la tradition de « la ville sur la colline » : elle a une longue histoire. Ce n’est pas un pur isolationnisme, mais il évite l’activisme en quête de valeurs. La puissance américaine, au lieu de cela, est vue comme reposant sur le « pilier de l’inspiration » plutôt que sur le « pilier de l’action. » Par exemple, le Secrétaire d’État John Quincy Adams a eu ce mot notoire lors de la proclamation de l’Indépendance américaine en 1821, selon lequel les États-Unis « ne vont pas à l’étranger, à la recherche de monstres à pourfendre. L’Amérique est un pays bienveillant qui souhaite la liberté et l’indépendance de tous. Elle est le champion et le défenseur seulement de ses propres droits. »

Mais le pouvoir de convaincre de l’inspiration n’est pas la seule tradition morale de la politique étrangère américaine. Il existe également une tradition interventionniste, celle des meneurs de croisades. Le discours d’Adams était un effort pour se défendre contre la pression politique de ceux qui ont voulu que les États-Unis intervinssent au nom des patriotes grecs en rébellion contre l’oppression ottomane.

Cette tradition s’est imposée au XXème siècle, quand Woodrow Wilson a recherché une politique étrangère capable de faire du monde un endroit sûr pour la démocratie. À la moitié du siècle, John F. Kennedy a appelé les Américains à faire du monde un endroit sûr pour la diversité, mais il a également envoyé 17 000 conseillers militaires américains au Vietnam. Depuis la fin de la Guerre froide, les États-Unis ont été impliqués dans sept guerres et interventions militaires et en 2006, après l’invasion de l’Irak, George W. Bush a publié une Stratégie de sécurité nationale qui était presque à l’opposé de celle de Trump, en faisant la promotion de la liberté et d’une communauté mondiale de démocraties.

Les Américains considèrent souvent leur pays comme exceptionnel et dernièrement le Président Barack Obama s’est décrit comme un ardent défenseur d’un exceptionnalisme américain. Il y a des raisons analytiques valables de croire que si la plus grande économie ne prend pas les devants dans la fourniture de biens publics mondiaux, ces biens – dont tous peuvent bénéficier – seront sous-produits. C’est une source de l’exceptionnalisme américain.

La taille économique des États-Unis produit cette différence américaine, mais des analystes comme Daniel H. Deudney de l’Université Johns Hopkins et Jeffrey W. Meiser de l’Université de Portland soutiennent que la raison fondamentale pour laquelle les États-Unis sont largement considérés comme un pays exceptionnel provient de leur caractère intensément libéral et une vision idéologique d’un mode de vie axé sur la liberté politique, économique et sociale.

Naturellement, dès son origine, l’idéologie progressiste de l’Amérique a connu ses contradictions internes, avec l’esclavage inscrit dans sa constitution. Et les Américains n’ont jamais pu se mettre d’accord sur la manière de promouvoir des valeurs progressistes en matière de politique étrangère. Selon Deudney et Meiser :

« Pour quelques Américains, en particulier pour les néo-conservateurs récents, ivres de pouvoir et de vertu, l’exceptionnalisme américain est un feu vert, une justification légitime et une excuse passe-partout pour ignorer le droit international et l’opinion publique mondiale, pour envahir d’autres pays et imposer des gouvernements… Pour d’autres, l’exceptionnalisme américain est un prétexte pour l’aspiration internationaliste progressiste à un monde libre et pacifique, non pas par l’affirmation du pouvoir et de l’influence sans bornes des États-Unis, mais plutôt par l’élaboration d’un système de droit international et d’une organisation qui protège la liberté nationale en pondérant l’anarchie internationale. »

Protégés par deux océans, dotés de voisins plus faibles à ses frontières, les États-Unis se sont en grande partie concentrés sur l’expansion vers l’Ouest au XIXème siècle et ont essayé d’éviter de s’impliquer dans la lutte pour le pouvoir qui se jouait alors en Europe. Dans le cas contraire, a averti Adams, « son front ne diffuserait la splendeur ineffable de liberté et d’indépendance ; mais a lieu de cela, il serait bientôt coiffé d’un diadème impérial, illuminant d’un lustre factice et terni l’éclat trouble de la domination et du pouvoir. »

Toutefois au début du XXème siècle, l’Amérique avait remplacé la Grande-Bretagne au rang de plus grande économie du monde et son intervention dans la Première Guerre Mondiale a bouleversé l’équilibre des forces. Pourtant dans les années 1930, de nombreux Américains en sont venus à penser que l’intervention en Europe avait été une erreur et ont adopté l’isolationnisme. Après la Seconde Guerre mondiale, les Présidents Franklin Roosevelt et Harry Truman – et d’autres dans le monde – ont tiré une leçon du conflit, en disant que les États-Unis n’avaient pas les moyens de se replier sur eux-mêmes.

Ensemble, ils ont créé un système d’alliances de sécurité, d’institutions multilatérales et de politiques économiques relativement ouvertes, comprenant notamment la Pax Americana ou « l’ordre libéral international. » Le nom que l’on donne à ces arrangements peut varier, toutefois depuis 70 ans la politique étrangère des États-Unis a consisté à les défendre. Aujourd’hui, ils sont remis en question par la montée en puissance de pays comme la Chine et par une nouvelle vague de populisme dans les démocraties du monde, que Trump a exploitée en 2016, quand il est devenu le premier candidat d’un parti politique américain majeur à remettre en question l’ordre international post-1945.

La question adressée au successeur du Président Trump est de savoir si les États-Unis réussiront à répondre conjointement aux deux aspects de son rôle exceptionnel. Le prochain président est-il capable de promouvoir des valeurs démocratiques sans intervention ni croisades militaires – et en même temps de prendre une avance non-hégémonique pour établir et entretenir les institutions nécessaires à un monde d’interdépendance ?

Renaud Girard: « L’immigration de masse est un scénario perdant-perdant »

FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN – Alors que la question de la crise migratoire occupe l’espace médiatique et le débat public, Renaud Girard analyse les conséquences de l’immigration massive sur les pays d’Europe comme ceux d’Afrique.

FIGAROVOX.- Aujourd’hui, le continent africain connaît une explosion démographique et l’Europe vieillit. Pourquoi ne pas tout simplement accepter l’immigration?

Renaud GIRARD.- Il est évident que les pays européens n’ont plus les moyens économiques, sociaux et politiques d’accueillir toute la misère du monde.

Prenons le cas de la France. Si nous regardons la question de l’emploi, nous voyons que, toutes catégories confondues, le nombre d’inscrits à Pôle Emploi s’élève à 6 255 800 personnes. Une économie en sous-emploi n’est pas en mesure d’absorber des millions de migrants. N’oublions pas que les vagues d’immigration des années 50-60 arrivaient dans une France en plein boom économique et où le chômage n’existait pas. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Mais surtout, l’immigration de masse pose un problème identitaire et culturel. L’Homme n’est pas qu’un homo economicus désincarné, sans histoire ni racines ; il est avant tout un être de culture. La culture européenne -fille de l’Antiquité, du judéo-christianisme et des Lumières- risque d’être submergée par des populations dont le mode de vie est incompatible avec le mode de vie européen et dont la présence massive sur notre sol ne peut aboutir qu’à des tensions. L’immigration de masse sape la cohérence, l’unité et la solidarité des sociétés occidentales. Au lieu d’une société unie, l’immigration fragmente le corps social en une multitude de communautés indifférentes, voire hostiles, les unes aux autres. Certains membres des minorités (pas tous heureusement!) refusent de s’intégrer et basculent dans la délinquance, leur haine de notre pays pouvant aller jusqu’au terrorisme.

Cette crise migratoire peut-elle avoir de graves conséquences politiques?

Cette crise identitaire risque bien de se transformer en crise politique.

D’une part, on constate partout en Europe l’inquiètante progression des mouvements extrêmistes – en Allemagne, en France, en Italie, en Grèce…. Ce phénomène politique est une conséquence directe de l’immigration. Dans les années 70, le Front National était un obscur groupuscule de nostalgiques de l’Algérie française. Sa percée électorale à partir du début des années 80 s’explique par l’immigration massive et les craintes qu’elle suscite. Il y a quelque chose de paradoxal chez les bonnes âmes bien pensantes qui à la fois fustigent les partis extrêmistes et soutiennent l’immigration. Cela est incohérent. En effet, c’est l’immigration qui nourrit les partis extrêmistes et risque un jour de les amener au pouvoir.

D’autre part, la crise migratoire risque de détruire l’Union européenne. 73 % des Européens considèrent que l’UE ne les protège pas. Partout, l’immigration favorise la montée des populismes. Au Royaume-Uni, le vote en faveur du Brexit s’explique en grande partie par le rejet de l’immigration. Les pays d’Europe centrale refusent tout diktat de Berlin leur enjoignant d’accepter des migrants sur son sol. L’Italie n’en peut plus, qui a vu plus de 70 000 migrants illégaux débarquer sur ses côtes depuis 2013.

Sa générosité a des limites. Son nouveau ministre de l’Intérieur a prévenu que l’Europe institutionnelle jouait son existence même sur la question migratoire. Venant de la part d’un pays fondateur du Marché commun, c’est un message qu’il faut prendre au sérieux.

Mais alors comment s’y prendre concrètement pour régler le problème migratoire?

Nous devons réduire massivement l’immigration.

Pour atteindre cet objectif, nous devons reprendre le contrôle de nos frontières, suspendre le regroupement familial, lutter drastiquement contre l’immigration clandestine, rétablir la double peine. Toute personne étrangère qui commet un acte de violence ou connaît un début de criminalisation doit être aussitôt expulsée.

Pour l’immigration illégale, terrorisons les passeurs en démantelant leurs réseaux, en menant des actions de guerre contre eux et en leur infligeant des peines drastiques lorsque nous les capturons. Montrons bien aux migrants que leur démarche est vaine en leur refusant systématiquement tout titre de séjour et toute aide sociale. Cela nous permettra d’arrêter l’appel d’air européen. Et faisons le savoir dans leurs pays pour décourager les tentatives.

À cela doit s’ajouter, dans la plus pure tradition gaulliste, une politique humaniste, solidaire et active de codéveloppement avec les pays pauvres afin de leur permettre un développement économique, respectueux de l’environnement, créateur d’emplois et réducteur d’inégalités, de façon à réduire la tentation du départ.

Nous devons aussi cesser les aventures néocoloniales dans les pays du Moyen-Orient. Sans la catastrophique Guerre en Irak en 2003, il n’y aurait pas eu Daech ni les hordes de migrants syriens et irakiens de l’été 2015. En Libye, Kadhafi n’était peut-être pas très sympathique, mais il nous rendait service en servant de verrou face à l’immigration.

De manière plus précise, quelles sont les priorités pour faire face à l’afflux de migrants africains traversant la Méditerranée depuis les côtes libyennes?

Les nouvelles priorités sont limpides: reconstruire un État en Libye et aider ses forces armées à combattre les trafiquants d’êtres humains et à sécuriser ses frontières méridionales dans le Fezzan ; déployer, aux côtés de la marine nationale de Libye, et dans ses eaux territoriales, des navires de surveillance européens capables de ramener les naufragés ou les dinghies surchargés d’êtres humains vers leur rivage d’origine. Le littoral libyen était naguère équipé de radars de surveillance que l’Union européenne avait financés. Ils furent détruits par des frappes franco-britanniques durant la guerre de 2011 contre le régime de Kadhafi. La coopération militaire, policière, humanitaire, avec les autres États d’Afrique du nord doit évidemment se poursuivre.

En Afrique noire, il faut en même temps accroître l’aide économique de l’Union européenne et la soumettre à condition. Tout d’abord, il faut être sûr que cette aide bénéficie bien aux populations et ne soit pas détournée par des administrations ou des gouvernements corrompus. Ensuite, il faut lier cette aide, c’est-à-dire la conditionner, à la mise en place d’un planning familial efficace. Soixante ans de coopération technique européenne avec l’Afrique n’ont pas réussi à y greffer le concept pourtant élémentaire de planning familial.

«Si nous ne réduisons pas la taille de nos familles, notre pays continuera à souffrir de la pauvreté parce que les ressources disponibles ne pourront plus couvrir nos besoins», a reconnu Jonathan Goodluck, ancien président (2010-2015) du Nigeria. C’est de ce pays aux richesses naturelles fabuleuses, mais mal gérées et mal partagées depuis l’indépendance en 1960, que proviennent aujourd’hui le plus grand nombre de ces jeunes immigrants illégaux qui essaient par tous les moyens d’atteindre les rivages du nord de la Méditerranée. Le Nigeria comptait 34 millions d’habitants en 1960. Il en compte aujourd’hui presque 200 millions. Enfin, il faut orienter cette aide vers un développement de projets agricoles et énergétiques concrets, capables de nourrir et retenir chez elles les familles africaines. Le but de cette aide n’est pas d’industrialiser l’Afrique (ce qui ne ferait qu’augmenter les déséquilibres et donc accroître l’immigration) mais de développer des projets locaux, respectueux des sociétés traditionnelles (microcrédit, circuits courts, agriculture vivrière, biologique et équitable…).

Vous dites que l’immigration de masse est un «scénario perdant-perdant». Pouvez-nous nous expliquer ce concept?

C’est un jeu auquel tout le monde perd. Le trafic d’êtres humains sur lequel repose aujourd’hui l’immigration africaine est profondément délétère à la fois pour les États africains et pour les États européens.

Comme je l’ai dit, l’Europe y perd sur les plans économique, culturel, sécuritaire et identitaire.

L’Afrique y perd, car elle se vide de sa sève. L’émigration prive l’Afrique d’une jeunesse intelligente, entreprenante et débrouillarde. Car les 3000 euros qu’il faut payer pour le trajet y représentent une somme considérable à rassembler. Dans les pays du Continent noir, c’est un beau capital de départ pour créer une affaire, pour creuser un puits dans un village, ou pour monter une installation photovoltaïque. Bien souvent, les migrants ne sont pas les plus pauvres mais des membres de la petite classe moyenne. Dans les pays de transition comme le Niger, le trafic attire des jeunes pressés de faire fortune, les éloignant de l’élevage, de l’agriculture, de l’artisanat. Il n’est pas sain que les villages africains vivent dans l’attente des mandats qu’envoient ou qu’enverront les migrants une fois arrivés en Europe, plutôt que de chercher à se développer par eux-mêmes. Il est vital que les aides financières de l’Union européenne pour le Sahel et l’Afrique centrale aillent dans des actions qui combattent l’économie de trafic, mais aussi dans des projets agricoles ou énergétiques capables de fixer les populations sur leurs terres ancestrales.

Enfin, les migrants eux-mêmes sont perdants. Ils déboursent de l’argent pour voir leurs rêves déçus. Ils attendaient le Paradis et se retrouvent perdus dans des pays où leur situation est très difficile.

Les seuls gagnants, ce sont les passeurs.

Justement, parmi les acteurs centraux de cette immigration illégale, il y a les passeurs…

Les passeurs sont des bandes mafieuses sans scrupule, qui promettent monts et merveilles aux migrants avant de se livrer aux pires exactions sur eux (escroquerie, racket, violences, viols, abandon en pleine mer…).

Aujourd’hui, ce sont les mêmes réseaux mafieux qui procèdent indifféremment au trafic d’armes (destinées aux djihadistes), à l’acheminement de la drogue vers l’Europe, au trafic des êtres humains.

Les passeurs – ces nouveaux Barbaresques – ont une méthode éprouvée. Ils entassent les candidats aux voyages dans des canots pneumatiques de fortune ; ils les poussent jusqu’aux eaux internationales à 12 nautiques du rivage libyen ; ensuite ils émettent un SOS ou appellent un centre de secours italien pour indiquer qu’un naufrage est imminent ; puis ils s’en retournent dans leurs repaires, abandonnant à leur sort leurs malheureux passagers, souvent sans eau douce ni nourriture. Le reste du voyage ne coûte plus rien aux passeurs, puisqu’il est pris en charge par les navires des marines ou des ONG européennes. Pourquoi ces derniers ne ramènent pas simplement les naufragés vers les ports les plus proches du littoral libyen? Parce qu’ils considèrent qu’il s’agirait d’un refoulement contraire au droit humanitaire international. Les nouveaux Barbaresques le savent bien, qui sont passés maîtres dans l’art d’exploiter le vieux sentiment de charité chrétienne de cette Europe si riche, si bien organisée, si sociale.

Quel regard portez-vous sur les ONG?

Sans le vouloir, certaines ONG participent, de manière gratuite, à un immense trafic, qui a dépassé depuis longtemps en chiffre d’affaires le trafic de stupéfiants.

Les ONG détournent le droit d’asile. Le meilleur moyen de s’installer en Europe pour un immigré illégal est de se faire passer pour un réfugié politique et d’invoquer le droit d’asile. Celui-ci a été forgé par les Français de 1789 pour accueillir les étrangers persécutés dans leurs pays pour avoir défendu les idéaux de la Révolution française. Le droit d’asile ne peut concerner que des individus, et non pas des groupes. Il ne peut s’appliquer qu’à des gens engagés politiquement et visés personnellement à cause de leur engagement. Il ne saurait valoir pour des gens qui fuient la misère ou même la guerre. Or, on assiste aujourd’hui à un détournement massif du droit d’asile, car l’écrasante majorité des réfugiés sont des réfugiés économiques. Une fois qu’il a mis le pied sur le sol européen, le migrant sait qu’il pourra y rester à loisir, car les reconduites forcées vers l’Afrique sont statistiquement rares.

Pour comprendre le problème des ONG, il faut revenir à la distinction du sociologue allemand Max Weber entre éthique de conviction et éthique de responsabilité. Ceux qui agissent selon une éthique de conviction sont certains d’eux-mêmes et agissent doctrinalement. Ils suivent des principes sans regarder les conséquences de leurs actes. Au contraire, l’éthique de responsabilité repose sur le réalisme, le pragmatisme et l’acceptation de répondre aux conséquences de ses actes.

Aujourd’hui, les ONG qui viennent au secours des migrants sont dans l’éthique de conviction. Elles déposent les migrants sur les côtes italiennes et s’offrent un frisson narcissique en jouant au sauveteur. Mais après elles n’assurent pas la suite du service: elles ne se demandent pas ce que devient le migrant en question ni quelles sont les conséquences politiques et culturelles de ces migrations sur l’Europe. Pour sortir de la facilité, les membres des ONG devraient héberger eux-mêmes les migrants, les éduquer, leur trouver du travail. Peut-être auraient-ils une autre attitude.

Bien sûr, la compassion et la bienveillance sont des valeurs cardinales. Il n’est pas envisageable de laisser des gens se noyer en mer quand un navire les croise. Il faut les sauver. Mais il faut ensuite les redéposer sur les côtes libyennes, leur point de départ. Puisque de toute façon, leur présence en Europe est illégale.

Pourquoi les politiques migratoires européennes sont-elles selon vous un «déni de démocratie»?

L’arrivée incontrôlée et en masse de migrants peu au fait de la culture européenne déstabilise profondément les États de l’UE, comme on l’a vu avec le vote référendaire britannique et le vote législatif italien. Dans les années cinquante et soixante, les peuples européens se sont exprimés par les urnes pour accepter les indépendances des ex-colonies. En revanche on ne les a jamais consultés démocratiquement sur l’immigration, qui est le phénomène social le plus important qu’ils aient connu depuis la seconde guerre mondiale.

En France, la décision d’État la plus importante du dernier demi-siècle porte aussi sur la question migratoire. C’est le regroupement familial. Il a changé le visage de la société française. Il est fascinant qu’une décision aussi cruciale ait été prise sans le moindre débat démocratique préalable. Il s’agit d’un décret simple d’avril 1976, signé par le Premier ministre Jacques Chirac et contresigné par Paul Dijoud. Ce ne fut donc ni un sujet de débat, ni l’objet d’un référendum, ni une loi discutée par des représentants élus, ni même un décret discuté en Conseil des Ministres, mais un décret simple comme le Premier Ministre en prend chaque jour sur des sujets anodins. Cette mesure provoqua immédiatement un afflux très important de jeunes personnes en provenance de nos anciennes colonies d’Afrique du nord.

Consultés par référendum par le général de Gaulle – qui ne voulait pas d’un «Colombey-les-deux-Mosquées» -, les Français ont accepté, en 1962, de se séparer de leurs départements d’Algérie, où une insurrection arabe brandissant le drapeau de l’islam avait surgi huit ans auparavant. Cinquante-six ans plus tard, ils voient les titres inquiets de leurs journaux: «450 islamistes vont être libérés de prison!». Ils s’aperçoivent alors qu’on leur a imposé en France une société multiculturelle, sans qu’ils l’aient réellement choisie. Jamais les Français ne furent interrogés sur l’immigration de masse, le multiculturalisme et le regroupement familial.

De même, Angela Merkel (qui avait pourtant reconnu l’échec du multiculturalisme allemand en 2010) n’a pas jugé bon de consulter son peuple lorsqu’elle déclara unilatéralement que l’Allemagne accueillerait 800 000 migrants. Pourtant il s’agit là de choses fondamentales qui concernent à la fois la vie quotidienne des citoyens et l’identité profonde du pays.

La démocratie ne consiste-t-elle pas à interroger les populations sur les choses les plus importantes? La démocratie ne sert-elle pas à ce que les peuples puissent décider librement de leurs destins? On peut fort bien soutenir que le brassage culturel enrichit les sociétés modernes. Mais, dans une démocratie qui fonctionne, le minimum est que la population soit consultée sur l’ampleur du multiculturalisme qu’elle aura ensuite à gérer sur le long terme.

Washington consolide l’axe russo-chinois

27 août 2018

Renaud Girard, Le Figaro

Lorsque Henry Kissinger pilotait la politique extérieure américaine dans la première moitié de la décennie 1970-1979, il avait inventé le concept de « triangle stratégique ». Il fallait que l’Amérique s’arrange toujours à être plus proche à la fois de la Russie et de la Chine, que ces deux nations orientales pouvaient l’être entre elles. Au cours de l’année 1972, il parvint à ce que le président Richard Nixon se déplace en février à Pékin – pour y établir des relations diplomatiques -, et en mai à Moscou – pour y signer le premier traité de limitation des armes nucléaires stratégiques.

L’Amérique de Donald Trump suit un chemin opposé. Il ne se passe pas une semaine sans qu’on se demande comment Washington va parvenir à détériorer encore sa relation avec Moscou et avec Pékin. Le lundi 27 août 2018, de nouvelles sanctions américaines sont entrées en vigueur contre la Russie. Ces mesures, s’appuyant sur une législation de bannissement des armes chimiques, consistent à interdire l’exportation vers la Russie de produits américains jugés sensibles pour la sécurité nationale. L’idée est de punir le régime de Moscou d’avoir utilisé, en mars 2018, un agent neurotoxique à Salisbury (Angleterre) contre le transfuge Skripal, agent du GRU (service de renseignement militaire russe) passé naguère au service de Sa Majesté britannique. Le porte-parole du Kremlin a rejeté vigoureusement toute implication de l’Etat russe dans cet empoisonnement. Estimant « illégales » de telles sanctions, il a accusé les Etats-Unis de « sciemment choisir le chemin de la confrontation » avec la Russie. Devant le président finlandais qu’il recevait à Sotchi, Vladimir Poutine a jugé ces sanctions « très contre-productives et dénuées de sens », appelant à une « prise de conscience » de l’establishment américain.

En même temps, Washington poursuit son bras de fer commercial avec la Chine. Jeudi 23 août 2018, les Etats-Unis ont imposé des droits de douane de 25% sur 50 milliards de dollars d’importations en provenance de Chine. Le président Trump estime que les Chinois traînent les pieds pour mettre fin à leur pillage de la technologie américaine, et pour réduire leur gigantesque excédent commercial (500 milliards d’exportations de la Chine vers les Etats-Unis, contre 125 milliards de dollars dans l’autre sens). Les autorités de Pékin ont qualifié d’illégales ces mesures tarifaires et ont déposé une plainte auprès de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC). Comme le président Xi Jinping ne peut se permettre de perdre la face, la Chine va prendre des mesures de représailles, et personne ne voit de fin prochaine à cette spirale. Elle peut même prendre à tout moment une vilaine tournure stratégique, par instrumentalisation du dossier nord-coréen. Déjà, Washington accuse Pékin de laxisme dans l’application des sanctions de l’Onu contre la Corée du Nord nucléarisé.

Sur le fond, les Américains n’ont pas entièrement tort lorsqu’ils accusent la Russie de vouloir retrouver par tous les moyens une « sphère d’influence » – prévue dans aucun traité – sur l’ensemble du territoire de l’ex Union soviétique, ou lorsqu’ils reprochent à la Chine de ne pas respecter l’esprit des accords de l’OMC. Mais ils le font avec une telle maladresse qu’ils risquent d’aboutir à un résultat opposé. Sans le vouloir, par sa pratique d’une diplomatie punitive, l’Amérique ne cesse de consolider contre elle un axe russo-chinois.

Dans la première quinzaine du mois de septembre, la Russie va procéder, en Sibérie, aux plus importantes manœuvres militaires qu’on ait connues depuis 1981. Invitée, la Chine a décidé d’y envoyer un détachement de 900 blindés de toutes sortes et de 3500 hommes. Les deux puissances sont en train de redevenir alliées, comme elles l’étaient dans la décennie 1950-1959. Elles ne supportent pas la prétention des Américains à imposer leur droit sur l’ensemble du globe, tout en malmenant de manière unilatérale la Charte des Nations unies. Elles songent à remettre en cause la suprématie du dollar comme monnaie mondiale de réserve et d’échange. Elles soutiennent l’Iran, sévèrement boycotté par Washington.

Il y a trente ans, les stratèges américains considéraient qu’il fallait se montrer ouverts face à la Chine. Inquiets face à l’expansionnisme maritime chinois et face à la montée en puissance de l’ « Armée populaire de libération », ils prônent aujourd’hui une stratégie de « containment ». Les Russes ne les aideront certainement pas.

Dans sa guerre commerciale avec la Chine, Trump a été maladroit deux fois : il a renié le traité transpacifique qui formait un bloc asiatique efficace face à elle ; il n’a pas su s’allier avec l’Union européenne.

La rivalité sino-américaine est la grande affaire stratégique du XXIème siècle. Mais l’Amérique n’a toujours pas compris qu’elle n’a aucun intérêt aujourd’hui à pousser les Russes dans les bras des Chinois.

Europe’s Dog Days of Summer

Addressing the challenges Europe faces will demand the sustained implementation of smart, forward-looking policies, carried out by the EU’s core institutions. Yet, following a five-year period of unprecedented political fragmentation in the EU, the outlook for the functionality of these institutions appears grim.

MADRID – August is always a good time for taking stock. Between the rush of summer activity and the beginning of the new “school year,” this month’s lull offers a moment for reflection on where matters in Europe stand – and where they are headed. The European Union, and its headquarters in Brussels, is no exception, particularly ahead of a year of transitions. But amid speculation over the coming challenges and changes, the one new appointment that could make or break the EU over the next five years, that of the European Council president, has been completely overlooked.

Europe’s attention has been trained on three issues that pose a clear and imminent threat: Brexit, migration, and rising nationalism, which in countries like Poland is fueling growing resistance to the EU and the rule of law. How these issues are handled will affect the future and functionality of the EU. This is particularly true for Brexit, which – despite the gloom and doom hovering over the negotiations – seems likely to result in the two sides buying time with a transitional agreement that will create space for a permanent arrangement.

In any case, addressing these and other challenges will demand the sustained implementation of smart, forward-looking policies, carried out by the EU’s core institutions: the European Parliament, Commission, and Council. Yet, following a five-year period of unprecedented political fragmentation in the EU, the outlook for the functionality of these institutions appears grim.

Let’s start with the European Parliament, which in the early days of European integration was marginalized, powerless, and overlooked – a place for has-beens and never-weres. But over the last decade and a half, the Parliament has worked hard to secure more power, elbowing its way into the formal legislative process, securing for itself oversight authority, and even inserting itself into the process of selecting the European Commission president.

But the way the European Parliament wields its newfound power may be about to change, following the next EU-wide election in June 2019. So far, traditional center-right and center-left pro-European parties have dominated it, with more extreme parties never really pulling the institution far from its center of gravity.

Since the last European elections, however, the continent’s politics have undergone a profound transformation, with 41 new parties winning seats in national parliaments since 2014. The European Parliament is almost certain to become significantly more fragmented – a consequential development, given the power it has recently accrued.

The same fragmentation is set also to weaken the European Commission, with commissioners from at least four countries – the Czech Republic, Greece, Italy, and Poland – set to be appointed within a year by Euroskeptic governing parties. Speculation about who will succeed Commission President Jean-Claude Juncker has already begun; ultimately, however, the answer will probably make little difference.

Juncker’s feckless “last-chance commission” will be succeeded by a “next-chance commission” – one that may fall even more short of the mark. After all, since the global financial crisis erupted in 2008, it has become starkly apparent that the real power in the EU lies not in the transnational precincts of the Commission, but in the intergovernmental corridors of the European Council. This trend is highlighted by the German government’s reported desire to put a German – perhaps economy minister Peter Altmaier or defense minister Ursula von der Leyen – at the head of the Commission, in order to bring the institution closer to Berlin.

When it comes to the Council, the outlook is also bleak. The national leaders who oversee it lack the vision, commitment, or strength to set the direction for the European project. German Chancellor Angela Merkel, Europe’s leading power for the last ten years, has been weakened. French President Emmanuel Macron has lost momentum. The United Kingdom is on its way out. Italy, Poland, and Hungary are openly skeptical of Europe. Spain has an unelected minority government, and the Netherlands is paralyzed by right-wing opposition.

In short, none of the EU’s institutions seems to be in a position to respond to the serious challenges they face. This brings us to one of the most recent additions to the EU structure, created by the Treaty of Lisbon: the European Council president.

The importance of the European Council president is often overlooked. But, as the first holder of the position, Herman Van Rompuy, demonstrated when he held the post, it can be integral to progress. During the euro crisis, Van Rompuy, working largely behind the scenes, marshaled support for badly needed measures among the member states and the three cornerstone EU institutions.

Not everyone can carry the weight of the position. An effective European Council president must have a temperament that enables him or her to move a diverse group of powerful people toward mutually beneficial outcomes, all without taking the spotlight. Van Rompuy’s higher-profile successor, Donald Tusk, is a good counter-example.

The right European Council president can act as a rudder for the entire European project. But the wrong one will leave the EU directionless at a moment when united action is urgently needed. Preventing that outcome should be a top priority for Europe’s leaders.

Shortsightedness and stubbornness are holding Europe back

28 August 2018

Prince Michael of Liechtenstein, GIS

Europe, especially Western Europe, has been a lucky part of the world since World War II. Wise statesmanship led it to reconciliation and economic integration.

In old Greek dramas, when humans have too much success the gods get jealous and blindfold them. One could be forgiven for thinking this has happened in Europe, considering its politics. There are a few examples that warrant mention.

The one most talked about is Brexit. Under the pretext of ever closer integration, the European Union proceeded toward centralization and excessive harmonization. Some EU members were not happy with such initiatives, especially the United Kingdom. Former Prime Minister Cameron frequently and publicly criticized Brussels. To win parliamentary elections in 2015, Mr. Cameron shortsightedly promised a vote on further EU membership in 2016, though he was convinced that the UK should stay a member. Mr. Cameron won, and the referendum was scheduled for June 2016. There was a widespread belief that the British electorate would decide to remain within the bloc.

Blackmailing the electorate

During the preparation for the vote, blunders were committed on all sides. After all his previous criticism of the EU, Prime Minister Cameron’s campaign for the UK continue as a member was unconvincing. The British people were not well-informed, while the main arguments for remaining in the EU were threats of punishment from the bloc. Brussels and many of the continental European governments trumpeted such threats. Former United States President Barack Obama joined the concert. He warned that if Brexit occurred, the U.S. would put negotiating a trade deal with the UK at the bottom of the stack of trade agreements it was working on. All these so-called “professional politicians” ignored that electorates do not respond well to such threats and consider them blackmail.

A ‘hard Brexit’ may become a reality due to this lack of a practical strategy

German Chancellor Angela Merkel’s “Willkommenskultur” (culture of welcome) to refugees – which had flimsy legal foundations and was not coordinated internally or with European partners – was also rather unhelpful.

To general shock around the world, the Brexit side won. Some 52 percent of British voters opted to leave the EU. Unfortunately, Brussels responded with a stubborn pronouncement that an “ever closer union” remained its goal. Both parties – but especially the EU – have, to everybody’s detriment, remained wedded to unrealistic principles instead of being pragmatic. A “hard Brexit” may become a reality due to this lack of a practical strategy.

Sovereign debt

One of the biggest threats is sovereign debt. This issue can only be solved by reducing public spending on consumption (this does not include necessary infrastructure investments). A main unresolved topic is the “implicit pension debt,” or IPD. By this, we understand pension obligations that governments, including regional and local authorities, have incurred toward current and future pensioners. These obligations are not included in the national accounts.

At least six European countries, including Germany, have an IPD of more than 300 percent of gross domestic product (GDP). Although this clearly means that pension payments can only be met by mortgaging the income of future generations, the German coalition government guaranteed that pension payments would remain stable until 2025.

German Finance Minister Olaf Scholz, a Social Democrat, is now requesting that the guarantee be extended to 2040 – or else his party will make it a central issue in the next campaign. As finance minister, he should be aware that such promises are an illusion, misleading pensioners and saddling future generations with further liabilities. He considers the move a hedge against “populist” parties, ignoring that the utopian promise he wants the government to make is itself extremely populist. “Stable pensions will prevent a German Trump,” is his claim. However, it is likely that any “German Trump” might not be so blind or damaging in the long term.

Instead of addressing the problem, (increasing the pension age, decreasing the number of people in public services and strengthening the private sector) elected officials believe that government guarantees can solve problems.

GMOs

EU rules are extremely restrictive in the use of genetically modified organisms, or GMOs. Most other parts of the world are more open to them.

The European Court concluded that “Organisms (i.e. plants and animals) obtained by mutagenesis are GMOs and are, in principle, subject to the obligations laid down by the GMO Directive,” This ignores that much of mutagenesis, or gene editing, is effectively little different (though it is more precise) than that which occurs naturally or is induced by radiation – a standard plant-breeding method in use since the 1950s.

The EU court bowed to fear-mongering movements, to the detriment of European science

Mutagenesis is a driving force of evolution, happens in nature and adapts genetic information. This is used by genetic engineering and can result in hardier organisms. It is a breakthrough for improving food production, and alleviating malnutrition and hunger. However, the EU court bowed to pressure from fear-mongering movements to the detriment of European science and competitiveness.

Adenauer’s way

We can observe similar shortsightedness and ignorance in other crucial areas, such as energy policy. Unfortunately, angst and ideological stubbornness have become strong drivers in Europe. This diminishes its global position.

Former German Chancellor Konrad Adenauer (1949-1963) was a statesman who brought Germany from a defeated and devastated rogue state, to a prosperous economy and democracy. He was a man of strong moral principles but was able to adapt. He said, “What do I care about my gossip from yesterday? Nothing prevents me from becoming wiser.”

With this attitude, he did not make populist promises to the electorate that are detrimental in the long term. Instead, he developed the economy, succeeded in getting hundreds of thousands of German prisoners of war back from Siberia, and the country once again became a highly respected member of the international community.