Guerre en Ukraine : « Pourquoi l’OIF est restée silencieuse »

Par Louise Mushikiwabo
Louise Mushikiwabo, la secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie, en juin 2019 © Vincent FOURNIER/JA
Dans le concert quotidien des prises de positions depuis l’entrée le 24 février des troupes russes en Ukraine, manquait encore celle de Louise Mushikiwabo. Consciente de l’incompréhension que pourrait susciter la prolongation de ce silence, notamment auprès de certains pays membres, la secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) prend la parole, en son nom. Et c’est à Jeune Afrique qu’elle a réservé la primeur de ses explications.

J’entends depuis quelques jours l’incompréhension de quelques États membres concernant mon silence face à la situation en Ukraine. Certains ont exprimé leur étonnement que la Francophonie, une organisation basée sur les valeurs de paix et de démocratie, n’ait pas encore pris position face à ce conflit entre la Russie et l’Ukraine, membre observateur de notre organisation.

Si je devais donner mon point de vue personnel, il serait bien entendu conforme à la position prise par plusieurs pays de notre espace, dont mon pays, le Rwanda, qui a donné sa signature au projet de résolution porté par l’Assemblée générale, demandant l’arrêt immédiat des combats.

JE NE PEUX QU’ÊTRE SENSIBLE AU SORT DES MILLIONS D’UKRAINIENS QUI SE RETROUVENT BRUTALEMENT EN SITUATION D’INSÉCURITÉ

Venant d’un pays qui a été tristement célèbre pour le plus grand nombre de réfugiés dans le monde depuis les années 60, un pays qui, abandonné par la communauté internationale, a connu le dernier génocide du XXe siècle, avec toutes ses conséquences dramatiques, tant sur le plan humanitaire qu’économique, je ne peux qu’être sensible au sort des millions d’Ukrainiens qui se retrouvent brutalement en situation d’insécurité.

Mais je suis aujourd’hui secrétaire générale d’une organisation qui regroupe 88 États et gouvernements membres, dont la position s’est exprimée différemment depuis le début du conflit. Notre organisation est une organisation dont le fonctionnement est basé sur le principe du consensus.

Le vote récent de la résolution de l’Assemblée générale a connu l’abstention d’une dizaine de pays membres de la Francophonie. Et je ne peux ignorer le fait que notre espace a, dans l’actualité récente, connu des conflits pour lesquels notre organisation n’a pris aucune position. L’exemple le plus récent est celui de l’Arménie, membre à part entière et qui assure actuellement la présidence du sommet, depuis 2018, et pour lequel la Francophonie n’a pas pris de position officielle lorsqu’il était menacé jusque dans sa survie.

J’AI SOUHAITÉ QUE LE SUJET SOIT MIS SUR LA TABLE DES DISCUSSIONS DES PROCHAINES RÉUNIONS DE NOS ÉTATS AFIN QU’ILS PUISSENT PRENDRE UNE POSITION FERME ET UNIE

Dans mon jugement en tant que représentante des États membres, dans leur totalité, je pense que nous avons besoin de cohérence institutionnelle ! Un élément-clé, dont nous ne pouvons nous passer alors que le monde, et le monde francophone en particulier, ne manquera pas d’être soumis à d’autres situations de conflits. C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité que le sujet soit mis sur la table des discussions des prochaines réunions de nos États, dans les tous prochains jours, afin qu’ils puissent, dans l’esprit de consensus qui caractérise nos instances, prendre une position ferme et unie face à cette situation dont la gravité n’est plus à questionner. Un consensus que j’appelle de tous mes vœux !

Je conclus en adressant tout ma solidarité envers les populations ukrainiennes éprouvées et contraintes à l’exil, ainsi qu’envers tous les ressortissants étrangers, pris au piège d’un conflit qui les dépasse. J’en appelle à la solidarité internationale.

Lire l’article original sur le site de Jeune Afrique.