Jean-Pierre Cabestan – Coronavirus : comment la “diplomatie du masque” s’est retournée contre Pékin

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Marianne, le 22/04/2020

Sinologue et professeur de Sciences politiques à la Hong Kong Baptist University, Jean-Pierre Cabestan* livre son analyse sur les conséquences du Covid-19, vues de Chine, et l’échec de la “diplomatie du masque” de Pékin pour prendre la place des Etats-Unis.

Marianne : La « diplomatie du masque » de Pékin, depuis que la pandémie s’est répandue dans le reste du monde, s’avère-t-elle selon vous un succès?

Jean-Pierre Cabestan : Non. La lenteur de la réaction de l’administration Trump à la crise du Covid-19, et la désorganisation de l’UE avaient pourtant ouvert un boulevard à la Chine, pour s’imposer dans le monde. Mais la « diplomatie du masque » s’est retournée contre la Chine car trop agressive et contradictoire, tout en niant sa propre responsabilité : le message de Pékin mélangeait trop la générosité avec la propagande alors que les démocraties affrontaient la crise sanitaire.

Ce n’était pas malin : cela a détruit son message et abîmé sa crédibilité, tout en retournant un peu plus l’opinion publique des pays démocratiques contre la dictature chinoise. La diplomatie du masque a en outre très vite agacé Bruxelles, notamment son double langage, insistant sur sa propre générosité tout oubliant l’aide initiale que l’UE lui avait apportée. D’autant que l’aide généreuse a souvent consisté en masques défectueux et chers. Ce qui a même divisé le gouvernement italien…

Que dit la “diplomatie du masque” des ambitions de la Chine?

La Chine veut apparaître comme le docteur du monde, le plus grand fournisseur d’aide sanitaire, adepte d’un multilatéralisme centré sur l’ONU et l’OMS, et ainsi aspirer au leadership mondial qu’a abandonné l’Amérique. Il est vrai que, grâce à cette crise sanitaire sans précédent, le gouvernement chinois a pu démontrer sa capacité à toucher de nombreux pays et de nombreuses parties du monde. Il a également montré sa volonté de travailler avec la communauté internationale, tant au niveau bilatéral que multilatéral, via notamment l’OMS et le G20.

Cependant, la Chine a surestimé sa main. Beaucoup de pays sont devenus méfiants face à cette offensive de générosité et ces ambitions mondiales, qui se retourne contre le PCC et sa mentalité de forteresse assiégée.

Quelles conséquences auront selon vous les ondes de choc de la crise du coronavirus en Chine?

À court terme, le Parti communiste chinois (PCC) devra se concentrer sur les défis auxquels il est confronté chez lui : contenir la deuxième vague de Covid-19, reprendre ses activités économiques et rassurer la société, devenue plus méfiante envers le pouvoir, sur ses échecs initiaux dans la gestion des la crise sanitaire. Le PCC voudra exercer un contrôle plus étroit de la société dans un contexte de ralentissement économique bien moins favorable que dans le passé.

Pour Xi, c’est mauvais, car le pays va vers des jours plus difficiles. Ce sera un test pour lui et sa clique. En interne, au sein de la société civile et même certaines voix du PCC ont dénoncé une « crise de gouvernance », critiquant la décision de Xi, en 2018, de rester au pouvoir plus que 10 ans. Mais qui peut le défier, et à terme le remplacer ? Nul ne le sait.

Et à l’international ?

La Chine devra faire face et gérer une relation avec les États-Unis et leurs alliés en Europe et en Asie, qui est devenue beaucoup plus délicate en raison de l’agressivité et de l’incohérence de son propre discours, non seulement sur la pandémie, mais aussi sur le système politique des pays occidentaux et l’ordre mondial.

L’OMS, qui a montré sa grande proximité avec Pékin, risque d’en payer le prix fort. Taiwan, à l’inverse, pourrait en profiter. Tenue à la porte de l’OMS en raison de l’opposition de la Chine, l’île, qui a été dûment remerciée pour ses dons de masques par les Etats-Unis, le Japon, et plusieurs pays européens, pourrait bénéficier d’une fenêtre d’opportunité pour rejoindre l’organisation.

La Route de la soie, le grand projet d’expansion économique mondiale de Xi Jinping, pourrait en souffrir. Même en Afrique, où la Chine a livré à grand renfort de publicité quantité d’équipements, le message de confrontation de Pékin avec l’Occident a plutôt contribué à diviser les Africains, dont beaucoup se sont du reste plaints d’être mal traités en Chine.

Bref, l’image internationale de la Chine s’est détériorée, approfondissant la guerre froide émergente avec les Etats-Unis et les doutes sur sa capacité à jouer un rôle de leader dans les affaires mondiales.

Vous avec employé le terme de « guerre froide » pour qualifier les relations sino-américaines. Risque-t-elles selon vous de s’aggraver?

Bien sûr, cette nouvelle guerre froide est différente de l’ancienne entre l’Occident et l’Union soviétique aujourd’hui disparue : la Chine fait partie de l’économie mondiale et le niveau d’interdépendance économique, sociale et humaine entre ce pays et la reste du monde est beaucoup plus élevé que celui de l’URSS. Cependant, la mondialisation n’a pas empêché l’apparition d’une rivalité économique, géostratégique et idéologique croissante entre la Chine et les États-Unis. Au contraire, renforçant la Chine au point de revendiquer le statut de l’Amérique, la mondialisation a contribué à intensifier cette rivalité et à créer une nouvelle bipolarité dans la politique mondiale. Et cette crise sanitaire planétaire a démontré à quel point le monde était devenu dépendant sur la Chine, et pas seulement en termes de produits médicaux et pharmaceutiques.

Les États-Unis et leurs alliés vont tenter de réduire cette dépendance. Tout en essayant de maintenir une relation de travail non conflictuelle et prévisible avec Pékin, les alliés américains en Asie, en particulier au Japon, en Corée du Sud et en Australie, et en Europe (membres de l’OTAN) ne peuvent ignorer ce nouvel environnement géostratégique bipolaire. Et les efforts croissants de l’UE et des États-Unis non seulement pour gérer la pandémie au pays mais aussi pour aider les pays pauvres à la vaincre, sont susceptibles de compenser en partie les avantages diplomatiques que la Chine peut en tirer.

Existe-t-il un front européen face à la Chine?

S’il y a convergence, c’est surtout entre Berlin et Paris. L’UE a de nombreuses récriminations contre la Chine en matière d’accès au marché chinois, de subventions aux entreprises d’Etat, de non respect des règles de l’OMC. Elles ne sont pas nouvelles mais le Covid-19 a rendu plus difficile tout accord sino-européen, par exemple sur les investissements.

Quid d’un front “illibéral” russo-sino-est-européen?

Le front russo-chinois existe déjà. Pékin a pu utiliser la pandémie pour consolider ses relations avec certains de ses partenaires. Mais la plupart d’entre eux, de la Hongrie à la Serbie en Europe centrale en passant par la Thaïlande et le Cambodge en Asie, entretenaient déjà des partenariats étroits avec la Chine avant Covid-19. Et avec certains de ses alliés de facto, comme la Russie, qui a très tôt fermé ses frontières avec la Chine, ou l’Iran, qui accusait la Chine d’être à l’origine de l’épidémie sur son sol, les relations se sont au contraire un peu compliquées… Même si dans l’ensemble, Pékin et Moscou ont intérêt à continuer de faire front commun.

Profitant de la crise sanitaire, les autorités chinoises ont arrêté samedi 18 avril 14 leaders de l’opposition à Hong Kong. Avec quelles conséquences selon vous?

Sur le continent, aucunes. A Hong Kong, ces arrestations conduiront à plus de tensions et de confrontations avec le camp démocrate : le mouvement de contestation peut redémarrer à peine la crise sanitaire terminée, surtout si la loi de sécurité nationale est mise en chantier. La cheffe de l’exécutif Carrie Lam reste impopulaire. Sur la scène internationale, la Chine apparaitra plus encore comme elle est : une ennemie de la démocratie. Hong Kong vit le Covid avec beaucoup de discipline et même de civisme. Si certains secteurs souffrent, Hong Kong est privilégié par rapport au reste du monde : il n’y a pas de confinement, et les restrictions sont limitées.

Sur la scène internationale, la Chine apparaitra plus encore comme elle est : une ennemie de la démocratie.