La gouvernance mondiale en débat

23.10.2019 – Maroc Hebdo

Mustapha Sehimi

World Policy Conference à Marrakech

Une bonne dizaine de thèmes couplés à des ateliers sur les défis auxquels est confrontée la mondialisation.

Les travaux de le 12ème édition de la World Policy Conférence (WPC) qui se sont déroulés à Marrakech, du 12 au 14 octobre 2019, ont été centrés sur les multiples hypothèques qui pèsent aujourd’hui sur la mondialisation. Le parterre -les intervenants et les participants, soit quelque 250 éminentes personnalitésa voulu mettre à plat les contraintes actuelles et s’employer à débattre des pistes nouvelles pour les surmonter. Les perspectives économiques sont préoccupantes avec une décélération de la croissance et des tensions géopolitiques. Le commerce international ralentit. La guerre commerciale entre les Etats Unis et la Chine nourrit de fortes incertitudes et constitue une sorte d’accélérateur de la crise.

Règles de jeu communes
Globalement, se pose la question de la gouvernance mondiale; elle se retrouve également dans chaque pays autour de problèmes comme la relance de la croissance, la protection sociale, la résorption d’un chômage structurel et à une répartition plus équitable des fruits de la croissance. Autant de thèmes qui ont articulé les trois jours de travaux de la WPC. Une bonne dizaine de thèmes couplés à des ateliers sur les défis auxquels est confrontée la mondialisation. La Chine constitue aujourd’hui un grand sujet dans cette problématique. Rien d’étonnant que deux sessions plénières lui aient été consacrées.

Depuis la 11ème édition de la WPC, voici un an, les perspectives économiques mondiales se sont assombries. Des chocs politiques se sont ainsi multipliés, surtout du fait de l’aggravation de la guerre commerciale entre Washington et Pékin. Il faut y ajouter d’autres chocs en Iran ou au Brésil, lesquels ne sont pas négligeables. Cette nouvelle situation est-elle lourde, durable pouvant remettre en cause la mondialisation? Il faut ajouter dans cette même ligne que la position chinoise conduit à s’interroger sur la pérennité de la mondialisation. La Chine oeuvre pour une modification des institutions de la gouvernance globale en s’appuyant sur l’évolution intervenue dans les rapports de forces. De Leur côté, les Occidentaux -surtout les Américains- dénoncent les avantages asymétriques dont bénéficie, à leurs yeux, la Chine.

Impérialisme juridique
Un tel état d’esprit pèse sur le commerce, l’investissement direct et le climat de confiance. Le président Donald Trump privilégie le retour au bilatéralisme, qui avantage le plus fort sur le court terme. Mais qu’en sera- t-il sur le moyen et le long termes? L’économie internationale ne peut en effet se développer que dans le respect de règles de jeu communes. La polarisation du système international des paiements autour du dollar a conduit à la soumission à la loi américaine, ce qui porte atteinte à la souveraineté des Etats. Comment s’émanciper de cette situation et conduire à ce que des grandes monnaies (euro, renminbi,…) deviennent à terme des monnaies de réserve à côté du dollar?

Que peut le droit pour conforter la mondialisation? Constitue-t-il une arme efficace? L’application extraterritoriale des lois américaine n’est-elle pas l’expression d’une forme d’impérialisme juridique et l’un des instruments de la guerre économique? Autre fait: l’impact de la quatrième révolution industrielle sur les pouvoirs publics et les systèmes politiques. Leur autorité et leur légitimité ne sont-elles de plus en plus battues en brèche par les changements technologiques de l’ère digitale? Tout se bouleverse sous nos yeux: le marché, les schémas d’emploi, les systèmes commerciaux, les relations humaines. Avec les robots, les voitures autonomes, les réseaux et les médias sociaux, l’intelligence artificielle, l’impression 3D, les algorithmes,…: autant de vecteurs d’un nouveau monde qui n’en finit pas de se transformer. La technologie moderne offre de la praticité et de l’efficience mais n’a-t-elle pas un coût élevé en termes de cohésion sociale et de confiance. Cette révolution de la communication est mise à profit par des courants populistes et des autocrates établis pour enjamber les partis politiques traditionnels et certains médias pour mobiliser et contrôler les réactions Populaires. La gouvernance Trump avec le primat du plébiscite par Twiter traduit bien cette mutation vers un système international démondialisé.

Avec les cyberpuissances et la cybermenace, la WPC s’est interrogée sur ces phénomènes. De plus en plus, différentes menaces se manifestent comme le hacking, les fake news et récemment les deep fake news. Que faire? Qu’est-ce que la cyber- puissance aujourd’hui? Quelles sont ses capacités offensives et défensives? Cette situation pousse en tout cas à faire avancer une nouvelle pensée stratégique.

Importance majeure
Avec le thème du climat et de l’environnement, pour Laurent Fabius, ancien président de la COP 21, le diagnostic n’est guère encourageant. Quatre ans après le grand rendez- vous de Paris, les pays restent tous à la traîne dans la transition énergétique. Il y a eu une prise de conscience universelle en la matière mais le retrait des Etats-Unis de l’Accord de Paris a été un coup d’arrêt dans l’application des engagements pris. L’Afrique n’était pas absente avec le problème de la santé, ses défis et ses opportunités. Des régions et des secteurs réussissent mieux en matière de soins que d’autres. Des séances ont été également consacrées aux incertitudes européennes, à la situation actuelle en Amérique latine, au Moyen-Orient ainsi qu’en Afrique du Nord et de l’Ouest. Ces espaces revêtent une importance géopolitique majeure. Les effets de celle-ci sur la mondialisation, pas seulement économique, sont sensibles à la stabilisation du monde arabe huit ans après le «printemps arabe», qui n’est toujours pas assurée ni garantie.

Commerce illicite
La mondialisation subit également les effets du commerce illicite transfrontalier et génère en particulier des situations de déstabilisation. Ce commerce enregistre une croissance annuelle moyenne de 20% et il a été évalué à quelque 700 milliards de dollars. Il pénalise les économies de nombreux pays ainsi que leurs recettes fiscales. Il a su se hisser au stade numérique en se focalisant sur une dizaine d’activités. Il est adossé à des circuits logistiques et commerciaux de produits matériels et immatériels. Autant de questions abordées lors de ces assises de la WPC.

Quelle projection de croissance pour 2020 et au-delà? Comment soutenir l’économie réelle? Ne faut-il pas arrêter et appliquer de nouvelles règles financières accompagnées de règlementations, de principes de précautions, normes et codes? Comment assurer et garantir des conditions de concurrence équitable dans la finance mondiale et arriver à un consensus mondial? Les menaces ne manquent pas dans le monde et elles sont liées à des reclassements géopolitiques et géoéconomiques, à la montée de la Chine ainsi qu’à l’unilatéralisme américain, exacerbé par l’avènement de Donald Trump. La WPC aide pour sa part à mieux comprendre les enjeux et les tendances et à s’interroger sur les nouvelles conduites stratégiques appropriées.

Lire l’article sur Maroc Hebdo