L’Agence française de Développement augmentera ses engagements

2.11.17

By Khadija MASMOUDI
L’économiste.com

Remy Rioux, Directeur général de l’Agence française de Développement, en visite au Maroc depuis hier mercredi 1er novembre, est également président de l’International Development Finance Club pour un mandat de deux ans. L’IDFC rassemble les 23 principales banques de développement dont les engagements annuels s’élèvent à plus de 630 milliards de dollars. «C’est une force nouvelle, aux côtés des Nations Unies et des banques multilatérales de développement, pour financer le développement et le climat», indique le patron de l’AFD.

– L’Economiste: Dans les secteurs que vous accompagnez au Maroc, quels sont ceux qui donnent le meilleur répondant?

– Remy Rioux: Le Maroc est le pays où l’Agence française de Développement investit le plus. C’est le premier bénéficiaire de nos financements avec des engagements cumulés de près de 6 milliards d’euros depuis le démarrage de nos activités en 1992. Le Maroc est aussi le premier bénéficiaire de l’effort financier de l’Etat français dans la région et le premier bénéficiaire des versements de l’AFD dans le monde pour la période 2008-2016. Nous avons avec le Maroc une relation dense, riche et diversifiée, à l’image de la cinquantaine de projets en cours d’exécution actuellement dans le Royaume.

Notre stratégie est claire: favoriser une croissance inclusive et durable. Nous intervenons dans des secteurs aussi variés que les transports sobres en carbone, l’eau et l’assainissement, les villes durables, l’agriculture, l’éducation et la formation professionnelle. Avec des impacts très concrets. Nos financements ont notamment contribué à développer des écosystèmes créateurs d’emplois avec des taux d’insertion de plus de 95%. En matière d’énergie propre, nous appuyons la mise en œuvre du Plan solaire marocain, Noor Ouarzazate hier et Noor Midelt demain, un modèle de renommée internationale en matière de transition énergétique.

– En matière de financement du développement, l’AFD n’est plus en terrain conquis avec l’arrivée de nouveaux bailleurs de fonds publics comme la Chine notamment. Comment vivez-vous cette concurrence?

– Aujourd’hui, le Maroc fait face à de nombreux défis et l’arrivée de nouveaux bailleurs de fonds publics est une très bonne nouvelle. C’est le signal d’une mobilisation pour soutenir le Maroc dans son développement. La mobilisation collective entre dans une dynamique nouvelle. Nous le voyons dans la communauté du développement. De nouveaux acteurs, de nouvelles coalitions, pour préserver nos intérêts-communs le climat, le lien social, la jeunesse, l’égalité femmes-hommes. Le monde est devenu polylatéral. Entre le multilatéral et le bilatéral, de nouvelles plateformes d’action se créent pour accélérer l’action collective. L’AFD a d’ailleurs pris la tête de l’International Development Finance Club, un réseau de 23 des principales banques de développement du Nord et du Sud. Parmi elles, la China Development Bank, justement, mais aussi nos amis de la CDG marocaine, les banques africaines BOAD et DBSA (Afrique du Sud), la brésilienne BNDES, la latino-américaine CAF, ou encore la JICA nippone. Les engagements annuels totaux de ce club s’élèvent déjà à plus de 630 milliards de dollars. Notre priorité «climat» est forte et ancienne – près de 100 milliards de dollars y sont consacrés, provenant du Sud et du Nord. C’est une force nouvelle, aux côtés des Nations Unies et des banques multilatérales de développement, pour financer le développement et le climat.

– Le Maroc est confronté à un enjeu majeur: la création d’emplois. Comment s’assurer d’une meilleure allocation des ressources?

– L’insertion des jeunes dans la société marocaine constitue un défi majeur. Plus d’inclusion, c’est plus d’emplois. Notre premier objectif opérationnel au Maroc consiste à valoriser et protéger le capital humain de manière à favoriser son adéquation avec les besoins des acteurs économiques et en particulier des entreprises créatrices d’emplois, qu’elles soient des grandes entreprises ou des TPME. En matière de formation professionnelle, depuis 1999, nous avons appuyé 25 centres dans 12 secteurs d’activité qui font aujourd’hui la reconnaissance internationale du Maroc (aéronautique, automobile, énergies renouvelables…).

Le développement, c’est d’abord l’éducation. C’est la priorité du Président de la République, Emmanuel Macron. Cette année, une convention de financement de prêt de 80 millions d’euros a été signée au mois de juin pour accompagner la stratégie éducative du Royaume dans ses aspects de renforcement des langues, en particulier le français, et de développement des baccalauréats professionnels.

– Qu’elles proviennent de l’AFD ou d’autres partenaires du Maroc, les aides au développement n’arrivent pas à corriger les disparités: inégalités sociales, chômage des jeunes, crise du système éducatif. Comment l’expliquez-vous?

– L’aide publique au développement est l’un des instruments du financement du développement. C’est un formidable levier pour attirer tous les investisseurs, publics et privés, autour de la table et réaliser des politiques publiques plus durables et inclusives, au profit des plus vulnérables. Mais ce sont évidemment d’abord les politiques publiques et les ressources domestiques qui contribuent au développement. L’aide publique au développement mondiale s’est élevée à près de 150 milliards de dollars en 2016, alors que les ressources fiscales des pays en développement représentent déjà 7.000 milliards de dollars. L’enjeu du développement, c’est à la fois de s’assurer que les 150 milliards sont bien utilisés et que l’on en mesure les impacts pour les populations. Mais il faut aussi augmenter la mobilisation des ressources domestiques et influer pour que celles-ci soient également dépensées efficacement et au bénéfice des citoyens. C’est aussi le message des Objectifs de Développement durable: plus d’action collective, plus de responsabilité, plus de solidarité pour rendre notre monde véritablement commun.

– Comment prendre en compte les défis climatiques et environnementaux pour inventer de nouvelles dynamiques de croissance?

– Le dérèglement climatique nous impose de nous réinventer et d’innover. Le mix énergétique est, par exemple, un sujet central avec une décroissance des énergies fossiles au profit des énergies renouvelables. La transition vers des modèles de développement bas-carbone est un choix politique. C’est pourquoi notre chef économiste Gaël Giraud et ses équipes en ce moment à l’AFD un modèle macroéconomique climato-compatible, baptisé Gemmes, pour offrir un outil de dialogue des politiques publiques. Le climat, ce sont aussi des opportunités concrètes. Dans le cas des tramways de Casablanca et de Rabat-Salé, nos financements ont cherché à améliorer la cohésion sociale et l’environnement urbain en fournissant un moyen de transport très peu émetteur utilisé par plus de 100.000 personnes pour leurs trajets quotidiens. Ainsi, dans chaque secteur, il est intéressant de penser le développement durable comme une opportunité économique.

– Allez-vous revoir à la hausse le montant de vos engagements au Maroc?

– Oui, grâce à l’augmentation de nos fonds propres, nous allons pouvoir passer dès cette année à 400 millions d’euros d’engagements nouveaux par an. Cette capacité renouvelée permettra à l’AFD d’intensifier sa coopération dans le cadre de sa nouvelle stratégie pays, autour de la valorisation et de la protection du capital humain, de la cohésion sociale, de l’attractivité du territoire et de la réduction des disparités spatiales, des transitions énergétiques et écologiques, en particulier de l’adaptation au changement climatique. L’AFD continuera ainsi à appuyer le Maroc sur ces sujets centraux en portant une attention particulière à l’ancrage local dans le cadre de la Régionalisation avancée, et à la question de l’égalité entre les femmes et les hommes. Nous souhaitons également accompagner le Royaume dans ses projets dans toute l’Afrique.

Tous les projets compatibles avec l’Accord de Paris
En 2017, l’AFD va dépasser pour la première fois le cap des 10 milliards d’euros d’engagements avec plus de 600 projets de développement. Ses engagements sont en forte hausse pour atteindre des flux annuels de près de 13 milliards à l’horizon 2020.

L’Agence intervient dans de nombreux secteurs (énergies, éducation, santé, agriculture, environnement). Elle compte 85 bureaux dans le monde, des projets dans plus de 100 pays. Elle travaille non seulement avec les Etats, mais aussi avec les collectivités, les entreprises et la société civile du Sud.

Ses priorités sont l’Afrique, toute l’Afrique, le lien social, la jeunesse et son éducation, l’égalité des droits entre les femmes et les hommes, et bien sûr le climat. «50% de nos financements ont un bénéfice pour le climat. Ce chiffre s’élève à 65% au Maroc pour la période 2011-2017. Nous allons aller plus loin et rendre 100% de nos projets compatibles avec l’Accord de Paris -autrement dit, accompagner des trajectoires de développement bas-carbone à long terme de chacun de nos pays d’intervention», souligne Remy Rioux, Directeur général de l’AFD.

Propos recueillis par Khadija MASMOUDI