L’Allemagne dans ce siècle

La crise en Ukraine aura eu pour mérite de faire sortir l’Allemagne du sommeil stratégique dans lequel elle était plongée depuis la chute de l’Union soviétique.

Nicolas Barré
Nicolas Barré (Dessin Kim Roselier pour « Les Echos »)

Par Nicolas Barré

Publié le 28 févr. 2022 à 17:10 | Mis à jour le 28 févr. 2022 à 19:38

Enfin, l’Allemagne s’éveille au XXIe siècle. Vladimir Poutine aura réussi l’exploit de la sortir du grand sommeil stratégique dans lequel elle était douillettement plongée depuis Gerhard Schröder, devenu chancelier en 1998, puis Angela Merkel. « Nous avons failli face à l’histoire » : cet aveu terrible de l’ancienne ministre de la Défense de la chancelière, Annegret Kramp-Karrenbauer, dit tout.

Engourdie comme d’autres Etats européens dans le mythe des « dividendes de la paix », l’Allemagne d’Angela Merkel n’a pas perçu la montée des périls. Ironie de l’histoire, il revient désormais à son successeur, Olaf Scholz, imprégné de culture pacifiste mais aiguillonné par les événements et sentant le souffle de l’histoire , de réussir ce réveil stratégique.

Un rôle pour l’histoire

C’est le moment d’endosser des rôles plus grands que soi. Dans Kiev assiégé, l’ex-acteur comique Volodymyr Zelensky le prouve chaque jour , usant avec talent des réseaux sociaux – face à l’envahisseur, toutes les armes sont bonnes à prendre. Devant le Bundestag en fin de semaine dernière, Scholz fut à la hauteur du changement d’ère que l’on attendait de Berlin.

Depuis la fin de la guerre froide, jamais l’Allemagne n’a porté ses dépenses militaires à 2 % du PIB. Elle s’engage désormais à aller au-delà et reconnaît de facto l’échec de sa stratégie de sécurité vis-à-vis de la Russie qui, depuis la chute de l’Union soviétique, avait consisté à miser sur une coopération économique renforcée.

Naïveté

Solder ces années de naïveté va coûter cher. Il y a quelques jours encore, la ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock justifiait son refus d’exclure les banques russes du système Swift par la nécessité de continuer à importer du charbon et du gaz. Pour la ministre écologiste, brûler du charbon russe était donc plus important que de sanctionner l’écrasement de la démocratie ukrainienne !

De même, Berlin s’accrochait à sa doctrine officielle de ne pas livrer d’armes à des régions en guerre, doctrine qui n’a toutefois pas empêché son industrie de défense de livrer l’Arabie saoudite face au Yémen…

Servitude volontaire

Solder ces années de naïveté, c’est aussi admettre que la stratégie de sortie à marche forcée du nucléaire, sans aucune concertation avec ses partenaires européens, a plongé l’Allemagne, et avec elle tout notre continent, dans un état de dépendance préoccupant à l’égard de Moscou. Et si l’on élargit la focale, en finir avec la naïveté, c’est également reconnaître qu’au nom de la défense de son industrie, notamment automobile, l’Allemagne n’a pas poussé l’Europe à exiger de la Chine une vraie réciprocité dans l’accès à son marché.

Que ce soit vis-à-vis de la Russie, de la Chine ou des autres grandes puissances, l’Europe n’a pas pour destin de s’accommoder d’un état de servitude volontaire. Il était temps que cela soit admis dans toutes les capitales du continent.

Nicolas Barré

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