Les Occidentaux reprennent langue en Syrie par crainte du chaos

12.16.2024

Les Occidentaux reprennent langue en Syrie par crainte du chaos

Les Européens envoient lundi leur émissaire à Damas, les Etats-Unis ont déjà établi un contact avec les nouveaux maîtres de la Syrie: les Occidentaux reprennent langue avec le nouveau pouvoir syrien, bien décidés à éviter le chaos dans un pays longtemps aux mains de la Russie et de l’Iran.
Au moment où la situation régionale reste inflammable, les pays occidentaux restent méfiants vis-à-vis du groupe islamiste syrien HTS à la tête d’une rébellion qui a renversé le président Bachar al-Assad.
Mais aucun ne veut passer à côté de l’opportunité de retisser les liens avec la Syrie, conscients du risque de fragmentation et de résurgence du groupe jihadiste Etat islamique qui n’a jamais été totalement éradiqué du pays.
“La première réaction côté occidental a sans doute été de se dire qu’on ne rencontre pas des terroristes”, souligne auprès de l’AFP l’ex- ambassadeur Denis Bauchard, de l’Institut français des relations internationales (IFRI), alors que HTS, ex-branche syrienne d’Al-Qaïda, qui affirme avoir rompu avec le jihadisme, reste classé “terroriste” par plusieurs capitales occidentales, dont Washington.
“Mais il y a une réalité politique (…) et manifestement une course à celui qui établira le contact le plus vite”, note-t-il, avec un “objectif essentiel: que la Syrie, centre de gravité du Moyen-Orient, ne sombre pas dans un chaos total”.
Outre Bruxelles et Washington, la France a prévu l’envoi d’une mission diplomatique à Damas à compter de mardi non seulement pour “reprendre possession” des emprises françaises sur place — l’ambassade est fermée depuis 2012 — mais encore pour “établir de premiers contacts” avec les nouvelles autorités et “mesurer les besoins urgents de la population” au plan humanitaire.
De son côté, l’Espagne va nommer un envoyé spécial tandis que Londres a fait savoir que des contacts diplomatiques avaient été établis avec HTS.
– Respectabilité –
“Les Européens ont attendu la réaction américaine qui les a encouragés à franchir le pas”, estime Hasni Abidi, directeur du Centre d’études sur le monde arabe et méditerranéen, ajoutant qu’ils font aussi preuve de pragmatisme alors que le peuple syrien “a acclamé” les rebelles.
“Il fallait être parmi les premiers pour montrer la disponibilité des Européens pour aider le peuple syrien” et avoir “une position de choix en offrant non pas une légitimité mais une certaine respectabilité au HTS qui a un statut d’autorité de fait”, poursuit-il.
Les diplomates ne cachent pas les difficultés, avec un risque de fragmentation de la Syrie qui s’ajoute à la menace islamiste, comme l’a souligné lundi à Bruxelles le ministre français des Affaires étrangères démissionnaire Jean-Noël Barrot.
Dans sa première déclaration depuis sa fuite de Damas, le président syrien renversé, Bachar al-Assad, a affirmé lundi que la Syrie était désormais “aux mains des terroristes”.
Il a également assuré ne pas avoir fui de manière préméditée Damas, le jour de la prise de la capitale par les rebelles, affirmant que Moscou avait demandé son évacuation.
Les Européens disposent de leviers tels que l’aide financière à la reconstruction et la levée éventuelle des sanctions pour pousser les nouveaux hommes forts syriens vers une transition politique répondant aux exigences occidentales.
“Nous avons des contacts diplomatiques” afin d’assurer notamment la mise en place d’un “gouvernement représentatif” et la sécurisation des stocks d’armes chimiques en Syrie, avait justifié dimanche le chef de la diplomatie britannique David Lammy.
“Outre le fait d’apprendre à connaître ces gens, il faut que nous (Européens), que les pays arabes et tous ceux qui veulent aider, poussent un processus politique soutenu par l’ONU mais pris en charge par les Syriens pour obtenir une solution globale, un cadre politique inclusif”, jugeait dimanche Volker Perthes, expert à l’Institut allemand des affaires internationales et de sécurité (SWP), lors de la World Policy Conference 2024 à Abou Dhabi.
– Limiter l’influence turque –
La Syrie ne devra pas répéter les “scénarios terrifiants” de l’Irak, de la Libye et de l’Afghanistan, avait prévenu quelques jours plus tôt la cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas, en référence aux virages extrémistes.
Les dirigeants occidentaux ont tous à l’esprit que les talibans d’Afghanistan avaient présenté un visage plus modéré jusqu’à leur prise de pouvoir à Kaboul en août 2021.
Pour autant, “chaque État a son agenda, ses prérogatives, et ses préoccupations”, poursuit Hasni Abidi.
Les quatre diplomates français attendus à Damas mardi s’efforceront de “sonder les nouveaux dirigeants” sur la potentielle menace jihadiste pour la sécurité nationale française, dit-il.
Une centaine de Français figurent parmi les groupes islamistes radicaux qui ont renversé Bachar al-Assad en Syrie et vivent dans la poche d’Idleb depuis des années.
“Du côté des États-Unis, on se préoccupe surtout de savoir quelle sera la relation avec Israël”, ajoute Denis Bauchard.
Autre enjeu majeur pour les Occidentaux: éviter que la Turquie de Recep Tayyip Erdogan, qui voit une possibilité d’éloigner les Kurdes à sa frontière avec l’appui de factions syriennes, ne soit le seul interlocuteur de Damas.

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