Michel Foucher : “La France est une puissance moyenne de rang mondial”

Michel Foucher est géographe, diplomate, conseille, ancien directeur du Centre de prévision du ministère des Affaires étrangères.Michel Foucher est géographe, diplomate, conseille, ancien directeur du Centre de prévision du ministère des Affaires étrangères. COLLECTION PERSONNELLE

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DOSSIER “LA FRANCE DANS LE MONDE” – Géographe, Michel Foucher a enseigné à l’Institut d’études politiques de Paris, à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, contribue au “1” et au “Point”. Il fut aussi l’ambassadeur de la France en Lettonie.

Quel genre de puissance est aujourd’hui la France sur la scène internationale ?

La réponse la plus précise est de la définir comme une puissance moyenne de rang mondial. Puissance en raison de son passé, de sa langue, de son influence culturelle, de la connaissance que l’on a d’elle à l’extérieur, de son indépendance stratégique. Moyenne en raison de sa démographie et de son économie, par comparaison aux États-Unis et Chine, et même à l’Allemagne. De rang mondial avec le 4° réseau diplomatique, sa place au Conseil de sécurité des Nations unies et dans les institutions internationales et son influence dans l’Union européenne. Il y a une quinzaine de puissances de ce type dans le monde. Sur 195 pays ce n’est déjà pas si mal.

Qu’incarne la France, en a-t-on une image positive ?

La France a une image assez nette, ce qui est déjà beaucoup. Elle est sur la carte mentale des autres. En même temps, son profil varie, ce n’est pas la même France selon que vous vous trouvez à Pékin, Berlin, Washington ou Moscou. Pays de la révolution en Chine, romantique aux USA, pays du débat politique en Italie, rivalité des proches au Royaume-Uni, pays de culture pour les Émirats Arabes Unis. Au Brésil, l’influence de la France est marquée sur le drapeau, la devise Ordre et progrès d’Auguste Comte.

Est-elle un interlocuteur que l’on entend, sollicite ?

Certainement, car la réputation de la France est sa capacité à émettre des idées, du moins si elle sait les partager avec d’autres. C’est un pays de penseurs, d’écrivains, littéraire, très innovant sur le plan diplomatique.

Pourquoi précisez-vous : “Si elle sait les partager avec d’autres” ?

Notre problème, et ce sont les limites de l’influence, est qu’on a le sentiment que quand on a énoncé quelque chose ça suffit. Autrement dit, le verbe tient lieu d’action, on a beaucoup de mal à faire le service après-vente, on ne travaille pas assez avec les autres. On le voit très bien avec le discours de la Sorbonne du Président de la république, en septembre 2017, sur la souveraineté européenne et la recherche de l’autonomie stratégique. Très bien. Il se trouve que l’agression russe lui donne raison, mais jusqu’en février 2022 personne ne comprenait de quoi il s’agissait, c’est une idée qui n’était pas partagée

La réputation de la France est sa capacité à émettre des idées, du moins si elle sait les partager

La France doit-elle pousser ainsi l’Europe pour avoir une taille plus critique ?

C’est l’évidence même car c’est en se rassemblant que l’on peut peser sur les règles dans un monde de rapports de force. Que représente son siège au Conseil de sécurité des Nations unies, à cet égard ? C’est une capacité de rappeler qu’il y a des règles de conduite dans les relations internationales, surtout en période de crise. Elle “tient” la plume au Conseil, prenant ainsi nombre d’initiatives dans la rédaction de projets de résolution, notamment ceux concernant des opérations de maintien de la paix importantes.

Mais cette influence n’est pas que géopolitique, non ?

Dans mes deux atlas (NDLR, Atlas de l’influence française au XXIe siècle, chez Laffont, et Atlas des mondes francophones, Grand Prix de l’Académie française en 2021, chez Marie B), j’insiste sur la culture dans tous les domaines, de la littérature à la BD, aux livres pour la jeunesse. Sur la langue, sur la richesse de la pensée, philosophie, sociologie, histoire, la recherche, l’économie ; sur le débat, comme ceux organisé par les Instituts français dans le monde, les seuls à le pratiquer. Oui, création, diffusion d’idées, innovation.

L’aspect philosophique, au sens des Lumières, joue-t-il dans la place que la France se donne dans le monde ?

Il y a sans aucun doute cet héritage du XVIIIe, qui a été décliné d’abord dans le droit international, droits de l’homme, droit humanitaire, qui doivent beaucoup aux juristes français qui ont plaidé pour leur caractère universel et pas seulement international. La Déclaration des droits de l’homme de 1958 est l’œuvre de René Cassin, comme la création de l’Organisation internationale du travail par Léon Bourgeois, etc. Il n’y a pas beaucoup de pays qui sont intéressés par la marche du monde, pensent à l’échelle mondiale. La France a participé à la majorité des grandes conférences internationales de sécurité, contribué à la création des organisations intergouvernementales. Les forums informels ont été lancés à Paris dès 1975, le G5 devenu G8, G7.

Cela trouve-t-il un écho chez les Français ?

L’engagement des dirigeants français dans les affaires du monde est soutenu par les électeurs, c’est incontestable.

Outremer : Des relais sur trois océans

162 îles, un immense territoire en Amérique du Sud. La France possède la deuxième zone économique exclusive derrière les États-Unis. 11,3 millions de km² qui lui “donnent une présence à travers tous les continents”, sur les océans Atlantique, Pacifique et Indien, décrit le géographe Jean-Christophe Gay, des richesses dont une part est encore un potentiel, mais une puissance relative. La présence armée y est “modeste”, relève ce professeur agrégé, ancien de l’université Paul-Valéry, en poste désormais à l’université Nice-Côte d’Azur. “Ce n’est peut-être pas le facteur de la puissance n°1, continue son collègue Alain Nonjon, mais ce sont des relais important pour sa projection. Et on peut penser, au regard des turbulences terrestres, que la mer est encore le plus sûr moyen pour défendre et approvisionner un pays.” Sur un plan économique, “les Terres australes et antarctiques françaises sont les plus exploitées à travers le poisson. La légine en particulier, vendue sur le marché japonais. C’est une vraie, vraie richesse.” Une autre tapisse les fonds de Clipperton, les nodules polymétalliques dont l’évolution des prix des métaux dira s’il sera demain rentable de les collecter. Au-delà, Jean-Christophe Gay souligne “la diversité extraordinaire” que représente cet ensemble épars et hétérogène, en même temps que “le laboratoire juridique, avec des choses très hardies”, qu’il a constitué pour la Métropole, en Polynésie et Nouvelle-Calédonie. “Des statuts, une autonomie, que la Corse regarde avec beaucoup d’attention.”

Lire l’interview sur le site de Midi Libre.