Multilatéralisme. À l’épreuve du chaos mondial

30.10.2019 – Le Télégramme

Hubert Coudurier

manifestations qui secouent Hong-Kong ont été évoquées par des responsables chinois au congrès de l’Ifri. (Photo AFP)

Tous les ans à l’automne se tient le Congrès de l’Ifri (Institut français des relations internationales) sous l’impulsion de Thierry de Montbrial. Pour cette 12e édition, qui s’achevait il y a une dizaine de jours à Marrakech, les évènements de Hong Kong comme l’imprévisibilité de Donald Trump ou encore les convulsions du Moyen-Orient étaient au menu.

On ne saurait dire si la « World Policy Conference » est à la géopolitique mondiale ce qu’est Davos aux milieux d’affaires internationaux. Mais dans ce club anglais, qui est aussi un club des ex, mené à la baguette par l’ancien créateur du Centre d’analyse et de prévisions du Quai d’Orsay avec beaucoup de flegme et d’humour, on croise d’anciens gouvernants, conseillers du prince, industriels ou maîtres-espions heureux de se retrouver pour échanger à la tribune ou en coulisses.

Cette année, les Chinois ont fait grande impression en évoquant la situation à Hong Kong de façon directe (ce qui n’est guère dans leurs habitudes) et parfois brutale. En gros, ils considèrent que l’ancienne colonie britannique n’a pas plus de pouvoir que la ville de Paris ou Londres et qu’après la crise des gilets jaunes, ils n’ont pas de leçons à recevoir des Français en matière de répression des manifestants. Une prestation chinoise jugée arrogante par certains ou simplement réaliste par d’autres en indiquant qu’il ne fallait pas leur marcher sur les pieds.

« L’Europe conduite à subir »

Pour sa part, Emmanuel Macron ayant compris la nécessité de ne pas pousser les Russes dans les bras des Chinois, les Européens qui l’approuvent espèrent une avancée des discussions avec Moscou sur le Donbass, cette zone frontalière à haute tension entre l’Ukraine et la Russie. Tout comme une ouverture de pourparlers sur le Moyen-Orient. Pas d’inquiétude, selon Artem Malgim, vice-recteur à Moscou de l’université MGIMO : « Il n’y a que vous qui pensez en termes de condominium russo-chinois. Nous sommes vraiment distants de Pékin ». Ce à quoi l’ancien ministre français des Affaires étrangères, Hubert Védrine, réplique : « Dans l’idéal, l’Europe ne devrait pas avoir à choisir entre les États-Unis et la Chine, mais adopter sa propre position. Toutefois, si elle n’y arrive pas, elle sera conduite à subir ».

On en revient toujours à la realpolitik de Donald Trump qui se comporte comme un éléphant dans un magasin de porcelaines, fragilise les alliances et le système multilatéral, même si la politique américaine traduit une certaine forme de continuité. Mais les masques sont tombés. « Contrairement à ses prédécesseurs, dont Obama, Trump fut le premier à dire aux Chinois : arrêtez de voler nos technologies », le défend Renaud Girard, grand reporter au Figaro que l’on prendrait volontiers pour un diplomate. John Sawers, ancien patron du MI6, le service de renseignement britannique, physique à la James Bond, complète : « Obama était tellement intellectuel qu’il avait du mal à prendre des décisions. Trump les prend sans réfléchir ».

« Course contre la montre »

Autre question abordée : pourquoi l’Europe reste-t-elle les bras ballants devant cette tentative systématique de pilonner les institutions internationales, dont l’Onu, à laquelle elle ne tente pas de faire contrepoids ? « Parce que l’affrontement americano-chinois arrange les Européens », poursuit Sawers qui pense que malgré ses efforts méritoires, l’influence de Macron est nulle. Sachant que le rêve de Vladimir Poutine serait que le président Erdogan abandonne l’Otan !

Parmi les anecdotes de cette 12e conférence : le « débarquement » impromptu par le « Palais » du patron des patrons marocain, l’ancien ministre des Affaires étrangères qui avait commis l’erreur d’évoquer la situation algérienne, sujet hautement tabou. Ou encore le dîner sous la présidence du Rwandais Paul Kagamé, au physique de héron, dictateur accompli ayant fait de son pays une start-up admirée dans toute l’Afrique. Ou toujours le débat sur le réchauffement climatique entre le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, évoquant une « course contre la montre », et le président de Total, Patrick Pouyané, lui répliquant qu’il est « impossible de stabiliser la croissance énergétique avec une population qui croît ». Fabius qui n’aime guère la contradiction, en aurait été agacé.

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