Pour un pacte de soutenabilité et de croissance

Un nouveau rapport destiné au commissaire à l’Economie Paolo Gentiloni, auquel Hélène Rey a participé, recommande une approche prudentielle pour les finances publiques face au risque climatique. La dette incorporerait les coûts liés au climat et la règle des 3 % de déficit n’inclurait pas les investissements liés à décarbonation.

Par Hélène Rey (professeure d’économie à la London Business School, chroniqueur aux « Echos »)

Publié le 3 mars 2022

Le nouvel avertissement du GIEC est passé presque inaperçu avec les horreurs de la guerre en Ukraine. Pourtant l’urgence climatique est plus présente que jamais et les perspectives de coopération internationale paraissent encore plus difficiles à atteindre. Notre inaction collective face à un risque climatique prévisible et dont on sait qu’il causera des dommages irréversibles est troublante. Elle n’est pas sans rappeler notre attitude passée envers les crises financières où, à de maintes reprises nous nous sommes refusés à payer des coûts modiques ex ante – comme imposer une régulation plus dure du système financier – pour éviter des crises financières qui ont été extrêmement dommageables ex post.

Nous avons attendu la crise dévastatrice de 2008, très coûteuse en particulier pour les finances publiques, avant de réformer notre système prudentiel et de prendre des mesures de prévention pour décroître les probabilités de futures crises. Bale III a probablement renchéri un peu le coût des opérations bancaires mais le renforcement des ratios prudentiels et la création d’autorités macroprudentielles auront surtout permis de diminuer les probabilités et coûts des crises financières futures.

Gérer de plus fréquentes catastrophes climatiques

Dans un nouveau rapport, auquel j’ai participé, pour le commissaire à l’Economie Paolo Gentiloni, nous proposons de faire la même chose dans le cadre des politiques budgétaires et recommandons une approche prudentielle pour les finances publiques face au risque climatique. Cette nouvelle approche pourrait sous-tendre une réforme du Pacte de stabilité et de croissance au niveau européen. Une approche prudentielle permettrait non seulement d’améliorer la soutenabilité des finances publiques des pays de l’Union européenne mais donnerait également des incitations aux Etats pour qu’ils agissent plus tôt, de manière préventive contre le changement climatique.

Une approche prudentielle permettrait d’améliorer la soutenabilité des finances publiques des pays de l’UE mais donnerait également des incitations aux Etats pour qu’ils agissent de manière préventive contre le changement climatique.

Les projections de la trajectoire des finances publiques sont basées sur des scénarios médians qui ne prennent pas en compte les futures crises, ou de façon très minimale. Ainsi, il n’y a pas d’estimations des dettes futures qui résulteraient des effets du changement climatique, bien que nous sachions d’ores et déjà que les dérèglements climatiques seront très coûteux et que ce coût se reflétera pour une large part par des augmentations de déficits publics. Il faudra gérer les catastrophes climatiques plus fréquentes par exemple et l’Etat est l’assureur de dernier ressort.

Puisque nous ignorons ces futurs coûts, nous n’avons pas d’incitation à agir maintenant pour les faire diminuer. Comme avec les crises financières, nous nous en trouverons bien plus endettés dans le futur.

Récompenser les pays qui mènent des actions préventives

Adopter une approche prudentielle des finances publiques consisterait à estimer les futurs coûts dus au climat en cohérence avec l’engagement de l’Etat français d’une neutralité carbone en 2050 et les valeurs du carbone correspondantes ; à estimer l’impact de ces coûts sur la dette ; à estimer le coût des investissements publics pour limiter le changement climatique ; à mettre en place une gouvernance qui tienne compte de ce nouveau concept de dette incluant les coûts du climat dans les analyses de soutenabilité, et qui récompense les pays cherchant à les faire diminuer par des actions préventives.

La dette incorporerait les coûts liés au climat et la règle des 3 % de déficit n’inclurait pas les investissements liés à décarbonation.

Concrètement, les estimations de gains potentiels en termes budgétaires dépendent en particulier de la valeur carbone , du rôle de l’Etat dans l’économie et du montant des gains revenant à chaque pays lorsque les émissions de gaz à effet de serre diminuent de façon globale. Ces gains sont plus importants lorsque le stock de gaz à effet de serre accumulé est élevé et si beaucoup de pays participent à la décarbonation, d’où l’intérêt d’une coordination au niveau européen.

En pratique, le Pacte de stabilité et de croissance devrait être remplacé par un pacte de soutenabilité et de croissance reflétant cette approche prudentielle. La dette incorporerait les coûts liés au climat et la règle des 3 % de déficit n’inclurait pas les investissements liés à décarbonation. La nature et le coût de ces investissements comme le calcul de la dette totale seraient évaluées par une instance indépendante.

Lire l’article original sur le site des Echos.