12.18.2024
Que fera « l’astéroïde Trump » ? Question lancinante de la 17e World Policy Conference à Abou Dhabi
Que va faire Donald Trump ? La question a hanté la 17e World Policy Conference, grand événement annuel créé par le fondateur de l’Ifri (Institut français des relations internationales), le premier think tank français, le week-end dernier. Entre craintes, espoirs et incertitudes, s’esquisse un portrait de Donald Trump diplomate… hautement imprévisible. Et une Amérique qui restera au centre du jeu diplomatique.
« Que va faire Trump ? » Lors de trois journées de discussions consacrées aux relations internationales, du 13 au 15 décembre, la question a été systématiquement soulevée par les intervenants – diplomates, ex-ministres des Affaires étrangères, économiste, chercheurs… – participant à la 17e édition de la conférence créée par le fondateur de l’Ifri, Thierry de Montbrial. Pour la quatrième année consécutive, cet événement de haut vol se tenait sur les rives du Golfe persique, à Abou Dhabi (Emirats arabes unis), dans les salons élégants et démesurés du Park Hyatt, un hôtel cinq étoiles sur l’île de Saadiyat.
« Quand on nous demande ce que va faire Trump, tout le monde sourit, car personne ne sait ce qu’il veut faire, observe Anurag Varma, patron d’Adani Group, géant énergétique et premier opérateur portuaire en Inde. C’est un négociateur. Il veut l’intérêt de l’Amérique d’abord. Si le projet est bon pour les intérêts de l’Amérique, il le soutiendra. ».
Un astéroïde en route pour l’Europe
C’est surtout en Europe que Trump inquiète. « Les Européens sont les plus mal préparés au choc Trump, sorte d’astéroïde qui va s’écraser sur le continent », a ironisé l’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine, qui a souligné l’absence d’unité de ces derniers sur les questions de défense et de sécurité. Alors que Donald Trump a clamé pouvoir mettre fin « en 24 heures » à la guerre en Ukraine en discutant avec Vladimir Poutine, les Européens, qui risquent d’être tout bonnement exclus des négociations, pourraient ainsi payer le prix d’un cessez-le-feu hâtif, sans garanties de sécurité solides pour Kiev, et qui permettrait à la Russie de reconstituer ses forces avant de lancer une nouvelle offensive. Une inquiétude exprimée notamment par l’Allemand Norbert Röttgen, membre de la Commission étrangère du Bundestag : « Cette approche est le pire scénario pour l’Europe. On pourrait se retrouver avec un deal entre Trump et Poutine aux dépens des Ukrainiens, laissant l’Ukraine comme une zone de sécurité grise au sein de l’Europe. » Les Européens ont néanmoins déjà intégré le message martelé par Donald Trump : ils devront prendre davantage leur part dans les dépenses de l’Otan.
Trump II risque fort d’être très différent de Trump I, ont souligné différents intervenants. Bien mieux préparé, entouré de personnalités choisies d’abord pour leur loyauté, conscient que ce mandat est le dernier, il voudra agir vite et laisser sa marque dans l’histoire, en mettant un terme à la guerre en Ukraine et au conflit au Moyen-Orient. Une de ses ambitions pourrait être d’obtenir le Nobel de la Paix, a souligné Hiroyuki Akita, ex- correspondant de la Maison blanche de Nikkei, le premier quotidien économique japonais. « Trump veut réaliser quelque chose de grand, en négociant directement avec les grandes puissances », Chine et Russie, croit-il. Au risque de laisser de côté les puissances moyennes.
Les Etats-Unis, « voyou écologique » ?
Les diplomates présents à Abou Dhabi se faisaient aussi peu d’illusions sur la façon dont le locataire de la Maison Blanche, qui ne jure que par les relations bilatérales, devrait traiter les institutions multilatérales. L’Union européenne, tenue pour quantité négligeable par Trump, devrait en faire les frais. « Trump va faire jouer les pays européens les uns contre les autres », a ainsi parié Hubert Védrine. De même que toutes les grandes organisations internationales : le G20 et les émanations de l’ONU – COP, OMS… « Trump sera un défi pour chacun de nous », redoutait ainsi le Coréen Lee Hye-min, ex-sherpa de la Corée du Sud au G20. Lors de son premier mandat, le mot « multilatéral » avait, sous la pression américaine, disparu de la déclaration du G20 de Hambourg, en 2017, remplacé par « international », a- t-il rappelé.
Même chose pour le climat, sujet de coopération multilatérale par excellence. Un risque pointé par Hubert Védrine : « Sur la question écologique, les Etats-Unis vont-ils devenir un voyou écologique » ? s’est interrogé l’ex-Ministre des Affaires étrangères. Se voulant constructif, Philippe Etienne, ancien ambassadeur de France aux Etats-Unis, a observé que d’autres possibilités de coopération resteraient possibles. « Sous Trump I, il y avait un désaccord sur le climat. Mais cela ne nous a pas empêchés de travailler ensemble sur d’autres domaines comme le terrorisme ».
Compléter les accords d’Abraham
S’agissant du conflit au Moyen-Orient, Donald Trump suscite des attentes mitigées. « S’il y a une personne sur cette planète à qui Netanyahou peut dire non, c’est Trump », a souligné l’ex-ambassadeur d’Israël en France Daniel Shek, tout en questionnant sa volonté de freiner les ardeurs militaires de son protégé, Benyamin Netanyahou. Ou au contraire de les soutenir en donnant le coup de grâce aux projets nucléaires iraniens. « On pourrait imaginer qu’Israël, avec le soutien de Trump, décide d’en finir avec les installations nucléaires iraniennes, c’est un scénario possible », a ainsi avancé le fondateur de l’Ifri, Thierry de Montbrial.
Les accords d’Abraham, grand succès diplomatique du premier mandat Trump avaient contribué à la normalisation des liens entre Israël et Bahreïn, les Emirats arabes unis, le Maroc et le Soudan. « Avec Trump, (ces accords) vont continuer à être une plateforme de meilleure coopération dans la région », a voulu croire un autre intervenant clé de la conférence, Anwar Gargash. Le conseiller diplomatique du président des Emirats arabes unis a vigoureusement plaidé en faveur d’un retour de la politique « au centre », avec « des politiciens modérés » et pour l’abandon de projets « idéologiques » dévastateurs pour la région. « L’arrivée de Trump comporte de grandes incertitudes, mais c’est un homme de deals qui n’aime pas la guerre », a confié à Challenges l’activiste du climat Gidon Bromberg. Fondée il y a 30 ans, son ONG EcoPeace Middle East a été nommée pour le Nobel de la Paix en janvier dernier. Parmi les grands points d’interrogation, quelle attention accordera-t-il aux Palestiniens, grands oubliés des accords d’Abraham et pour qui il n’a jamais manifesté d’intérêt ?
Soutien moins fort à Taïwan
Accentuant le pivot de l’Amérique vers le Pacifique, Donald Trump devrait surtout se concentrer sur sa guerre commerciale avec la Chine, à qui il a promis d’imposer des tarifs douaniers de 60 %. « Il va adopter une politique plus transactionnelle qui, à un certain degré, pourrait stabiliser la relation Chine-US », juge le sinologue Jean-Pierre Cabestan, chercheur senior au CNRS et auteur d’une biographie toute récente de Deng Xiaoping. De sérieuses craintes entourent également le sort de Taïwan. « Trump est bien moins engagé que Biden en faveur de Taïwan. Il mettra la pression à Taïwan en leur demandant d’acheter plus d’armes », a souligné Jean-Pierre Cabestan. Le président américain devrait également refroidir les velléités d’émancipation de l’île rebelle en lui imposant de « rester dans l’enveloppe du nom officiel, la République de Chine ».
Sans surprise, le plus enthousiaste à l’idée du retour de Donald Trump était l’ex-speaker de la Chambre des représentants Kevin McCarthy. Revenu dans les bonnes grâces du président élu qui l’avait battu froid après des positions critiques sur l’attaque du Capitole, le député républicain, dont le nom circule comme chef de cabinet de la future administration Trump, était l’un des intervenants vedettes de la conférence. « En politique étrangère, c’est bien mieux que Trump soit élu. La seule fois où Poutine n’ait pas envahi un pays, c’est sous le mandat de Trump », s’est-il félicité, ravi que l’Amérique ait élu triomphalement un « disrupteur ».
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