« Sur le budget de la zone euro, le compte n’y est pas ! »

Après des mois de négociations, les ministres des Finances de l’Eurogroupe ont donné leur feu vert vendredi dernier à un budget de la zone euro. Doté d’une mission de « convergence et de compétitivité », il est loin de l’ambition initiale de la France de disposer d’un outil de stabilisation. L’économiste Jean Pisani-Ferry estime cette réponse très insuffisante.

Est-ce que le budget de la zone euro acté en fin de semaine par les ministres des Finances européens valait le capital politique que la France y a placé ?

Tout l’enjeu de ces discussions portait sur la création d’un instrument budgétaire commun de stabilisation de la zone euro en cas de choc important sur une économie. Ce n’est pas une lubie française, c’est la position du FMI, de l’OCDE, ou de la BCE. Un tel instrument a été proposé par la Commission et une large majorité d’économistes le soutiennent y compris des Allemands orthodoxes.  Le résultat des négociations  est que le nouvel outil exclut cette fonction de stabilisation. Il est consacré à l’appui aux réformes et aux investissements. Le glissement s’est fait par compromis successifs entre la proposition française initiale, l’accord franco-allemand qui soutenait l’objectif de stabilisation, et le résultat final où ce dernier a été abandonné.

Ce n’est donc pas une bonne nouvelle ?

Non. L’aspect positif c’est qu’on soit parvenu à consacrer un instrument pour la seule zone euro. C’est symboliquement important, comme l’a été  il y a 20 ans la création de l’Eurogroupe.

Comment expliquer la modestie du résultat ?

Par la mollesse de l’Allemagne à défendre ce projet et  la forte résistance de la coalition emmenée par les Pays-Bas avec des pays, dont la Suède et le Danemark, qui ne veulent ni financer des dépenses supplémentaires, ni laisser se créer un vrai budget pour la zone euro.

Est-ce que ce n’est pas une première étape utile ?

Je me demande s’il ne vaudrait pas mieux avouer que le compte n’y est pas. D’une certaine manière, le budget de stabilisation Macron s’est transformé en « contrat de réforme Merkel ». La ministre espagnole des Finances, Nadia Calvino a dit sans ambages qu’il vaudrait mieux en rester sur un désaccord. Le risque, c’est de cocher la case budget pour mieux oublier la stabilisation.

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Ministerio de Economía y Empresa

@_minecogob

📽️@NadiaCalvino Estoy convencida de que un día habrá un presupuesto para la zona euro. Es imprescindible tener un instrumento fiscal que complemente la Unión Monetaria y garantice verdaderamente una estable y sólida de cara al futuro

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Pourtant, il y a en Allemagne des responsables politiques qui défendent une assurance chômage européenne qui est un instrument de stabilisation ?

Le ministre des Finances Olaf Scholz l’a suggéré sans aller bien loin dans sa démarche. Les Néerlandais sont contre cette idée mais en revanche ils sont favorables à un système bancaire et financier intégré sur lequel on ferait reposer cette capacité d’absorption des chocs, sur le modèle américain. C’est insuffisant mais cohérent. La réticence allemande à l’égard d’un système financier intégré, doublée d’une absence d’engagement sur la stabilisation budgétaire ne l’est guère. Toutes ces divisions envoient un mauvais signal, y compris aux marchés, car ils indiquent qu’on veut l’euro mais sans se donner les moyens d’un système robuste.

Que manque-t-il d’autre à la zone euro pour fonctionner plus efficacement ?

Il faudrait réformer les règles du Pacte de stabilité et de croissance qui sont aujourd’hui illisibles. Sanctionner un Etat au prétexte qu’il affiche un déficit budgétaire structurel dont le mode de calcul est opaque et controversé serait politiquement périlleux. Il y a un consensus pour dire que ces règles ne fonctionnent pas.  Notre groupe d’économistes franco-allemand propose de les redéfinir et de se fonder sur un objectif d’évolution des dépenses publiques . Et puis, il devient indispensable de faire progresser le rôle international de l’euro qui stagne. Le dollar n’est pas un bien public mondial, c’est un instrument de la politique de puissance américaine et les Chinois accélèrent l’internationalisation du renminbi. Deux conditions sont nécessaires pour cela : créer un actif sûr propre à la zone euro, des obligations qui pourraient être émises par le MES en contrepartie de lignes de crédit aux différents Etats de la zone euro. Et, en situation de stress, il faut prévoir que la BCE puisse fournir de la liquidité en euro à des banques centrales partenaires, ce qui n’est pas dans son mandat actuel.

Tout cela veut-il dire que la zone euro n’est toujours pas hors de danger ?

Oui, même s’il y a eu des progrès avec la supervision des banques, et  le renforcement du Mécanisme européen de stabilité (MES) créé pour assister les Etats qui perdent l’accès au marché. L’accord sur les facilités de liquidité proposées aux pays de la zone euro en difficulté passagère est utile.

Comment évaluer le risque du retour d’une crise financière spécifiquement européenne, sur les dettes publiques ?

Il y a clairement un risque italien. Les Italiens veulent rester dans l’euro, mais la dette italienne ne sera plus soutenable si les taux d’intérêt s’éloignent de leur plancher actuel et que la croissance reste extrêmement faible.  La Commission a raison d’alerter mais il ne faut pas se tromper de diagnostic : C’est vraiment la croissance qui lui a fait défaut depuis vingt ans, pas la discipline budgétaire. J’ai fait le calcul : si la France avait suivi depuis 1999 la politique budgétaire de la Péninsule, notre dette serait de 45 % seulement du PIB ! La France, elle, a eu la croissance.

Avec les taux d’intérêt actuels, est-ce le moment d’investir massivement, par exemple dans la transition énergétique ?

Oui. Le bas niveau des taux a une forte composante structurelle, en raison de l’importance de l’épargne et d’une demande soutenue d’actifs sûrs. On peut en déduire qu’ils vont rester bas un certain temps. Que faire de cette fenêtre ? La réponse économique est claire : Il faut s’en servir pour des dépenses d’investissement, comme l’écologie et les réformes – pas des dépenses courantes. Malgré son niveau d’endettement, c’est également vrai pour la France, à condition de réduire les dépenses courantes.

Mais aucun gouvernement européen ne défend cette ligne…

C’est vrai. Mais nous avons un problème « intertemporel » massif auquel il faut bien réfléchir. Rien ne justifie de faire financer notre consommation par les générations futures. Mais nous allons leur laisser une dette financière et une dette climatique. Laquelle est la plus importante ? Celles et ceux qui ont aujourd’hui 15 ans préféreront sans doute l’amélioration du climat à la réduction de la dette. L’argument traditionnel sur le fardeau aux générations futures se renverse.

Les tractations s’intensifient sur la distribution des postes en Europe. Le choix pour la BCE est-il important ou secondaire ?

Il est important. Angela Merkel poussera-t-elle la candidature de Jens Weidmann (le dirigeant actuel de la Bundesbank, NDLR) ? Je me demande s’il considère toujours que le programme d’Opérations Monétaires sur Titres (OMT) de la BCE est contraire au Traité, comme  il est allé le plaider devant la cour constitutionnelle de Karlsruhe . Si oui, cela le disqualifie. Au-delà, ce n’est pas une question de nationalité mais de qualité personnelle. En cas de crise financière, il faut réagir, et bien réagir, en quelques heures. Ben Bernanke, le président de la Fed, a eu les bons réflexes en 2008 parce qu’il avait étudié les années trente. Il serait grave que le choix pour la BCE apparaisse principalement comme une question de nationalité ou que le poste serve de variable d’ajustement secondaire par rapport au choix du président de la Commission européenne.

Catherine Chatignoux et Dominique Seux
Publié le 17/06/2019 dans Les Echos