12.17.2024
Syrie : la levée des sanctions au cœur de l’après-Assad
Minée par quatorze ans de guerre, l’économie syrienne est aussi paralysée par les sanctions internationales. Ces mesures visent à la fois le régime défait de Bachar Al Assad mais aussi le mouvement islamiste à l’origine de sa chute, HTC. De plus en plus de voix appellent à les lever pour amorcer la reconstruction.
Plus d’une semaine après la fuite de Bachar Al Assad, chaque chancellerie essaie tant bien que mal de se faire une idée sur les intentions et la stratégie des nouveaux maîtres de Damas. « Une nouvelle Syrie se crée », a reconnu le conseiller diplomatique du président des Émirats arabes unis, Anwar Gargash. « C’est un séisme géostratégique et il faudra du temps pour en comprendre toutes les dimensions », a-t-il ajouté lors de la World Policy Conference (WPC), organisée par l’Institut français des relations internationales (Ifri), le week-end dernier à Abu Dhabi.
Ce constat fait, le diplomate, dont la parole est très scrutée, n’a pas caché son inquiétude face aux « indicateurs assez inquiétants » que constitue « la nature des nouvelles forces, leur affiliation aux Frères musulmans et à Al-Qaida ». « Nous devons être optimistes d’une part et aider les Syriens (…) mais en même temps nous ne pouvons ignorer que la région a déjà connu des épisodes comme celui-ci, nous devons donc être vigilants », a-t-il insisté.
Si la question d’aider les Syriens tout juste libérés du joug d’Assad fait consensus dans le monde arabe et chez la plupart des Occidentaux, la méthode à suivre est beaucoup plus discutée. Ces derniers jours, plusieurs États ont pris langue avec le pouvoir qui se dessine à Damas, autour d’Ahmed Hussein Al Charaa, jusqu’ici connu sous son nom de guerre Abou Mohammed Al Joulani, leader du groupe islamiste radical Hayat Tahrir Al-Cham (HTC) et de la coalition qui a renversé Assad.
Un plaidoyer d’Al Joulani et d’experts
Après une prise de contact des États-Unis avec ces autorités, le représentant de l’Union européenne s’est rendu lundi à Damas. Mardi, c’était le tour de la mission diplomatique française la première depuis douze ans menée par l’envoyé spécial français Jean-François Guillaume.
« En plus d’apprendre à connaître ces nouveaux gars à Damas, les Européens et les pays arabes ont un rôle de soutien », a plaidé Volker Perthes, expert à l’Institut allemand des affaires internationales et de sécurité (SWP), dimanche à la WPC. Il faut que « tous ceux qui veulent aider soutiennent un processus politique porté par l’ONU mais pris en charge par les Syriens pour obtenir une solution globale, un cadre politique inclusif ».
Lundi 16 décembre, Ahmed Hussein Al Charaa a formulé une première demande d’aide aux Européens. Lors d’un entretien avec une délégation de diplomates britanniques, il a souligné la « nécessité de lever toutes les sanctions imposées à la Syrie afin de permettre le retour des réfugiés syriens dans leur pays », selon des propos rapportés sur Telegram.
Le nouvel homme fort de Damas n’est pas le premier à évoquer cette question, longtemps instrumentalisée par le régime Assad. Dimanche, l’envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie, Geir Pedersen, s’était exprimé dans le même sens : « Nous espérons que les sanctions seront rapidement levées, afin que nous puissions assister à une véritable mobilisation autour de la reconstruction de la Syrie. »
Une étape jugée indispensable par Volker Perthes pour relever une Syrie dévastée et abandonnée depuis des années. « Nous, les Européens, ensemble avec nos amis américains et le reste de la communauté internationale, devons commencer par lever les sanctions qui seront un obstacle à la reconstruction », a estimé cet expert de longue date de la Syrie.
Une question « qui pourra intervenir dans un second temps »
Mais derrière cette expression de « sanctions », il existe toute une palette de mesures économiques restrictives –visant le pétrole, l’énergie, les actifs financiers, les entreprises… –imposées par les États-Unis, les pays de l’Union européenne, le Canada, l’Australie, la Suisse et des pays arabes, depuis 2011 et la répression sanglante du mouvement prodémocratique. Surtout, « le gouvernement est sous sanctions mais c’est aussi le cas de HTC, précise Dorothée Schmid, responsable du programme Turquie- Moyen-Orient à l’Ifri. Depuis dix ans, et l’adoption de la résolution 2254, à l’unanimité par le Conseil de sécurité de l’ONU, l’ancienne branche d’Al-Qaida en Syrie (Al-Nosra), est considérée comme terroriste par les chancelleries occidentales et donc sanctionnée.
« Il faut, en matière de sanctions, distinguer ce qui concerne la Syrie dans son ensemble des divers groupes et divers individus qui sont aussi sous un régime de sanctions », a également souligné le Quai d’Orsay le 12 décembre. C’est « un facteur de complication » a reconnu Geir Pedersen. « Il va falloir voir comment cette question des sanctions va évoluer pour réussir à attirer les investisseurs, ajoute Dorothée Schmid en soulignant le rôle clé de la diaspora dans cet après-Assad à construire. Il y a une volonté d’une partie de cette diaspora de participer à la reconstruction. Elle fait partie de l’espoir politique du pays. »
Alors que les Occidentaux cherchent un positionnement à la fois prudent et encourageant face au nouveau pouvoir, la tentation d’utiliser la levée de ces sanctions et l’aide financière à la reconstruction comme levier pour le pousser vers une transition acceptable, est grande. « Cette transition politique n’est pas achevée, insiste la diplomatie française. Nous prenons les choses de manière ordonnée et pas à pas. La France plaidera pour avoir un processus de transition pacifique et exigeant. La question des sanctions pourra intervenir dans un second temps. »
Retrouvez l’article sur La Croix.