Védrine : Je ne pense pas que Trump soit une simple parenthèse, et je n’écarte pas sa réélection

9.11.17

By Michel Touma

Le bilan de la première année du mandat du président Donald Trump a été au centre d’un débat sortant des sentiers battus, lors des travaux de la 10e édition de la conférence sur la gouvernance mondiale (World Policy Conference, WPC) qui s’est tenue à Marrakech, à l’initiative de l’Institut français des relations internationales (IFRI, basée à Paris), sous l’impulsion du fondateur et directeur de l’IFRI et de la WPC, Thierry de Montbrial. Des intervenants de renommée internationale, d’horizons très diversifiés, se sont prononcés sur ce bilan, exposant des perceptions plus nuancées et peu reflétées dans la grande presse ou les médias traditionnels.

L’ancien ambassadeur US en République fédérale d’Allemagne et ancien secrétaire d’État adjoint pour les Affaires européennes et canadiennes, Richard Burt, relève ainsi qu’il ressort des échos que l’on reçoit de Washington qu’il existe une impression dans certains milieux que Trump « est président depuis 10 ans » ! Une petite boutade qui pourrait être interprétée négativement (du fait d’une gesticulation médiatique excessive) ou aussi positivement (en se basant sur des réalisations à différents niveaux, notamment économiques et sécuritaires). L’ancien diplomate japonais Yukio Okamoto – qui a été conseiller spécial de deux Premiers ministres du Japon de 1996 à 1998 et de 2001 à 2004 – penche pour la seconde interprétation, soulignant que « Trump est un bon président pour le Japon, car il place les questions sécuritaires en tête de ses priorités, ce qui est important pour nous ». Indiquant que « cinquante missiles ont été lancés par la Corée du Nord depuis l’arrivée au pouvoir du président nord-coréen Kim Jong-un » (en 2013), M. Okamoto précise que les sanctions économiques ont un effet « très lent » et que, par voie de conséquence, « il faut faire face à la menace nucléaire réelle de la Corée du Nord en mettant en place au plus tôt des mesures dissuasives ».

Cette perception positive de la politique suivie par le président Trump se reflète également dans les propos de Ryu Jin-roy, président-directeur général du puissant groupe industriel sud-coréen Poongsan, qui relève avec satisfaction que le président Trump « va baisser les taxes sur les sociétés ». « L’économie américaine se développe et le chômage baisse », indique l’industriel sud-coréen qui affirme que « les sondages montrent que le président Trump est très populaire », et du fait des « succès économiques enregistrés, il remportera les prochaines élections à la Chambre des représentants et au Sénat ». Il souligne toutefois que le problème auquel est confronté le chef de la Maison-Blanche réside dans les enquêtes ouvertes sur le plan interne, « mais cela ne va pas aller jusqu’à l’impeachment ».

« Le président Trump est l’homme qu’il faut pour régler le problème de la Corée du Nord », affirme encore Ryu Jin-roy. Même perception positive du côté russe. Alexander Panov, membre du groupe consultatif du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, estime ainsi que « le président Trump est le leader d’une révolution jeune et il représente la classe moyenne fatiguée de l’establishment américain ».

C’est un point de vue beaucoup plus mitigé qu’exprime – et pour cause – Juan Gallardo, important homme d’affaires et industriel mexicain, qui a été l’un des pères de l’accord de libre-échange entre les USA et le Mexique. Il indique notamment dans ce cadre que l’affaire de la construction d’un mur entre les deux pays « a créé un fort ressentiment » au Mexique. « C’est la façon avec laquelle cette question du mur a été présentée qui pose problème », précise Juan Gallardo. « Aussi bien les États-Unis que le Mexique ont intérêt à ce que les frontières soient bien contrôlées, car il existe un important trafic d’armes à ces frontières en direction du Mexique », a-t-il ajouté.

Trump l’imprévisible
Au niveau du Vieux Continent, les avis exprimés à la WPC sont plus partagés. L’ancien ministre français des Affaires étrangères, Hubert Védrine, relève ainsi que l’élection de Trump « n’a toujours pas été bien comprise par les démocrates américains et par les milieux de la gauche en Europe ». « Je ne pense pas que Trump soit une simple parenthèse (…), et je n’écarte pas sa réélection », a-t-il souligné, estimant lui aussi que l’impeachment est « peu probable, car les républicains ne le lâcheront pas : l’électorat le soutient ».

« Le président Trump a dit au cours de sa campagne qu’il sera imprévisible et sur ce plan il tient sa promesse », a affirmé, non sans ironie, l’ancien chef du Quai d’Orsay, en apportant un bémol à son point de vue : le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et les pasdaran « applaudissent à la politique de Trump ». M. Védrine ajoute dans ce contexte que la chancelière allemande Angela Merkel a bien résumé la situation après l’arrivée au pouvoir de Donald Trump en déclarant que « nous (les Européens) ne pouvons plus compter sur les Américains, et nous devons donc nous organiser en conséquence ».

Un point de vue partagé par l’ancien chef des services de renseignements britanniques, John Sawers, qui souligne que « nombre de pays estiment qu’ils ne doivent plus compter sur les États-Unis, ce qui offre des opportunités à la Chine » (…) « qui veut faire reculer la dominance américaine dans le monde ». M. Sawers – qui affirme que « les risques de conflit avec la Corée du Nord sont sérieuses » – déplore « le manque d’expérience de Trump ». « Nous avons un président américain sur lequel nous ne pouvons pas compter », enchaîne l’ancien chef des SR britanniques qui ajoute que « la Chine voit dans l’administration US une opportunité de surclasser les États-Unis » et, de fait, « la Chine, dans beaucoup de domaines, remplacent déjà les États-Unis ».