World Policy Conference : Regards croisés sur un monde en ébullition

24.11.15

LesEco1

Politique monétaire non conventionnelle, développement économique, réchauffement climatique, immigration, terrorisme…autant de thématiques débattues au plus haut niveau lors de la 8e édition de la World Policy Conference à Montreux, en Suisse.

L’ombre des attentats de Paris a plané sur les travaux de la World Policy Conference (WPC) qui regroupait, en fin de semaine passée, une pléiade de personnalités du monde politique et économique. Thierry de Montbrial, fondateur et président du WPC, a ouvert les débats en s’arrêtant sur les objectifs de la conférence et les raisons qui justifient les thématiques choisies, mais aussi en insistant sur la pertinence d’ouverture sur toutes les tendances et courants de pensées. «Notre objectif est de contribuer à la bonne gouvernance dans tous ses aspects, afin de promouvoir un monde plus ouvert, plus prospère, plus juste et respectueux de la diversité des États et des Nations», a-t-il déclaré. Une diversité ressentie dans les thématiques choisies, qui respectent l’actualité qui prévaut, et la multitude de pays représentés lors des débats. En plénières ou en ateliers, il a été question de l’ordre économique mondial, l’énergie, l’avenir des métiers des banques centrales, l’économie et la finance, la Chine comme puissance montante, les accords commerciaux, la sécurité en Asie, l’avenir du Moyen-Orient, la sécurité alimentaire, les problèmes de l’eau….etc.

La «magie» des banques centrales
Au panel des banques centrales, la confiance multidimensionnelle est impérative entre les peuples et les gouvernants et quand les équilibres entre couches sociales se creusent cette confiance s’ébranle. On soutient que pour maintenir les équilibres, «il faudrait sécuriser le secteur bancaire sachant qu’on demande trop aux banques centrales qui interviennent depuis un certain temps au-delà de leur mission principale», martèle Daniel Daianu, membre de directoire de la Banque centrale de Roumanie. En effet, cette question a été débattue en long et en large dans le panel de l’avenir des métiers des banques centrales où Jean-Claude Trichet, ex-président de la BCE, est intervenu pour apporter un éclairage sur l’apport des banques centrales.

«En 2008, après le dépôt de bilan de Lehman Brothers, nous avons été en présence d’une menace très grave d’effondrement complet du système financier des pays avancés et par voie de conséquence du monde entier ce qui aurait pu se traduire par une forte dépression de type et ce qui s’est passé en 1929. Et c’est grâce à l’audace des banques centrales en dépit des conditions extrêmement difficiles que l’on a dépassé ce cap au moment où l’économie réelle a continué à manger son pain noir, mais sa situation aurait pu être pire si ce n’est l’intervention des banques centrales. C’est ce qui a fait croire que ces banques ont solution à toutes les problématiques, ce qui n’est pas vrai», précise Trichet.

COP21 et la taxe carbone
Dans son mot d’ouverture, le président fondateur, Montbrial, a évoqué le sommet de COP21 estimant «qu’il y a encore un aspect de la gouvernance mondiale qu’il faudrait souligner, il s’agit de la complexité politique mais aussi technique, sans précédent, des négociations quand on aborde un sujet réellement planétaire». Et d’ajouter que «malgré leur expérience millénaire, les diplomates en sont encore à tâtonner, et la négociation sur le climat a, également de ce point de vue, une importance capitale». Mais ce qui a ravivé le débat c’est surtout cette question de la taxe carbone et la question qui s’est imposée est : Faut-il une adhésion totale par contrainte ou par conviction? À commencer par le ralliement des deux puissances qui sont les USA et la Chine qui développaient une certaine réticence avant de se résigner, selon des sources confirmées, quant à la nécessaire adhésion aux efforts mondiaux qui tendent à réduire les émissions à effet de serre. «On verra bien si cela se concrétisera dans dix jours à Paris, lors de la COP21», renchérit Im-Kook Park, président de la Fondation coréenne des études stratégiques. Et afin de préciser cette question, Philipe Chalmin, expert mondial en matières premières, croit savoir «qu’il ne faut surtout pas que le prix du carbone soit taxé en fonction de l’offre et de la demande, sachant que les États peuvent manipuler l’offre», il est rejoint par Richard Cooper, professeur de l’économie internationale à Harvard qui soutient «qu’aux USA, on est allergique au mot taxe et le mieux serait de proposer un forfait».

Économie et finance
Les questions d’ordres économique et financier ont alimenté un panel rehaussé par la modération de Jean-Claude Trichet, ancien gouverneur de la Banque mondiale et ancien président de la BCE. Marek Belka, président de Narodowy Bank de la Pologne, paraît être passionné par la politique monétaire non conventionnelle, rappelant, au passage, que «les banques ont pris des décisions courageuses et nécessaires comme la stimulation de l’économie qui était en crise profonde et le temps accordé aux autorités pour assainir le secteur bancaire».

S’agissant des effets secondaires de cette politique non conventionnelle de réduction de taux d’intérêt, il ajoute «qu’elles peuvent être déstabilisatrices pour les politiques économiques dans de nombreux pays émergents. La Pologne, dont je suis issu, est comme le Mexique mais nous sommes traités par les marchés différemment». Sur un autre registre, Trichet s’est attardé sur le rôle névralgique joué par les banques centrales, comme cité ci-haut, en rappelant que «dans le monde anglo-saxon, il était impensable, avant la crise, que la Banque centrale dirait que votre politique fiscale était mauvaise et qu’il fallait la changer. Dans un autre contexte, le gouverneur de la Banque d’Angleterre ne l’aurait jamais dit sans être exposé à la contre-attaque du gouvernement».

Force est de constater donc que depuis la crise de 2008, les banques centrales ont recours à des politiques non conventionnelles. Cependant, les débats ont relevé aussi que l’on serait en fin de cycle et la FED se préparerait déjà à monter ses taux directeurs de 0,25% qu’elle annoncerait en début du mois de décembre, après avoir mis fin au programme d’achat de bons de Trésor il y a un an. Ce serait alors une rupture avec une politique monétaire adoptée depuis sept années. Politique monétaire non conventionnelle = quand la Banque centrale agit sur l’offre de la monnaie dans le but de remplir son objectif de triple stabilité, à savoir la stabilité du taux d’intérêt, la stabilité des taux des changes et la stabilité des prix.

Immigrés, pas tous des terroristes
Ce panel était très animé car traitant d’une thématique d’actualité chaude qu’est l’immigration et ses conséquences notamment juste après les attentats de Paris. Faut-il continuer à recevoir les flux migratoires ou arrêter ce processus pour mieux filtrer les marrées humaines qui ambitionnent de fouler le sol européen. Une question au cœur de la problématique de la Syrie dont aucun intervenant n’a pu développer un quelconque scénario de sortie de crise. Al-Assad, dont le cousin est venu défendre les thèses, n’a pas été évoqué; par contre l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie ont été fortement critiqués et accusés de soutenir des courants islamiques au Proche-Orient.

En revanche, les besoins économiques de l’Europe en matière de ressources humaines, à cause des déficits démographiques, plaident pour une facilitation de l’immigration. Hubert Vedrine, ancien ministre des Affaires étrangères de France, exige une cogestion entre les pays de départ, de transit et d’arrivée à un niveau supérieur à ce qui est fait valeur aujourd’hui.

«Par ailleurs, il faut absolument distinguer les demandes d’immigration du droit d’asile et tout amalgame entre les deux est porteur de risque quant à la sécurité de milliers de demandeurs d’asile», argumente Vedrine. Enfin, après les attentats de Paris et les infiltrations, depuis la Belgique vers la France, de plusieurs terroristes, le contrôle frontalier a été préconisé par certains conférenciers qui plaident pour un rétablissement des frontières extérieures de Shenguen avec une police européenne, une idée qui émerge pour la première fois.


Le clash qui n’a pas eu lieu

Le dernier panel réservé aux questions d’immigration qui préoccupent l’Europe a été dominé par la guerre civile en Syrie. Invité à prendre part à ce panel, Khalid Bin Mohammed Al Attiyah, ministre des Affaires étrangères du Qatar, ne s’y pas présenté, en guise de protestation contre la présence du cousin d’Al-Assad. Ce dernier, Ribal Al-Assad, directeur de l’Organisation démocratie et liberté, a bien profité de cette absence pour déverser tout le venin du régime syrien sur l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie. Un discours en total déphasage avec la réalité du terrain qui le résume en deux mots. «Ce sont ces trois États qui encouragent Daech auquel cas il faudrait que la communauté internationale s’y intéresse et puis d’autres groupes terroristes s’activent en Syrie pour défoncer la stabilité du pays»! En d’autres termes, il demande au monde entier de mener une guerre à tous ceux qui se soulèvent contre un Bachar Al-Assad qu’il considère comme le sauveur de la Nation. Sidérant.


«Les bonnes nouvelles viennent d’Afrique»

Lors d’un panel dédié à l’agriculture et particulièrement à la contribution potentielle de l’Afrique pour faire face au défi de la sécurité alimentaire globale, lié à la croissance démographique et l’élévation du niveau de vie dans le monde qui se traduit par une demande alimentaire de plus en plus importante, Mustapha Terrab est intervenu pour apporter son éclairage sur le rôle dévoué à notre continent :

«L’Afrique a la capacité de relever ce défi, avec les autres bien sûr. Cela suppose des investissements importants et l’adoption des nouvelles technologies sans oublier que beaucoup de besoins sont déjà disponibles en Afrique. Si on prend, par exemple, la formation des engrais, c’est un composé de trois molécules, le phosphate, la potasse et l’azote, tous disponibles en Afrique. Il faut donc combiner les facteurs de production et nouer des partenariats avec ces pays pour produire ce dont on a besoin pour l’agriculture avec une bonne formation, qui est déjà disponible au Maroc dans certains domaines d’agriculture, sans oublier des succès dans d’autres pays africains comme l’Éthiopie. Très clairement, la question de la valeur ajoutée de la transformation se pose avec acuité en agriculture, en agrobusiness, dans les chaînes de valeur et dans l’organisation de production en Afrique.

Cela suppose des investissements en logistique, en infrastructures, en formation…sans occulter la question cruciale de financement. Mais à ce niveau, il y a lieu de rappeler que le système financier africain s’est nettement développé. En somme, dans un monde perturbé, les bonnes nouvelles viennent de l’Afrique avec des perspectives globalement optimistes, notamment dans le secteur agricole. Le continent est donc au cœur de la solution aux défis qui nous attendent notamment sur cette question de sécurité alimentaire dont l’essentiel devrait être assuré en Afrique de par sa taille, ses marges d’amélioration et d’exploitation. Cela suppose de s’approprier cet agenda avec un niveau de transformation intéressant afin d’en tirer le maximum de valeur ajoutée. L’avenir en Afrique est rassurant partant d’un potentiel de capital humain très intéressant et capable d’apporter les réponses nécessaires à toutes ces problématiques».