Débat pluriel sur le terrorisme à la WPC de Doha

25.11.16

DOHA, de notre envoyé spécial Michel TOUMA | OLJ

Le terrorisme international, plus précisément le jihadisme islamique (qu’il soit sunnite ou chiite), est devenu ces dernières années l’une des principales préoccupations des instances régionales et internationales. Le sujet a fait l’objet d’une importante table ronde à la 9e session de la Conférence (annuelle) sur le gouvernance mondiale (World Policy Conference, WPC), dont les travaux s’étendent sur trois jours à Doha, au Qatar, à l’initiative de l’Institut français des relations internationales, Ifri (voir L’Orient-Le Jour des lundi 21, mardi 22 et jeudi 24 novembre).

Le thème du terrorisme étant devenu un leitmotiv mondial qui ouvre la voie à des perceptions et des analyses diversifiées – souvent divergentes et contradictoires –, les responsables de l’Ifri ont prévu pour le débat portant sur cette question un panel « pluraliste », regroupant des personnalités venant d’horizons très différents, en l’occurrence : Jehangir Khan, directeur de l’équipe spéciale de lutte contre le terrorisme (CTITF) et du centre des Nations unies pour la lutte contre le terrorisme (UNCCT) au sein du département des affaires politiques (DAP) du secrétariat général de l’Onu ; Sergei Karaganov, président honoraire du Présidium du conseil en charge de la politique extérieure et de défense en Russie ; Mayankote Kelath Narayanan, ancien gouverneur de l’État du Bengale occidental en Inde ; le journaliste saoudien Jamal Khashoggi, directeur général de la Arab News Channel (Arabie saoudite) ; et Wang Jisi, président de l’Institut des études stratégiques et internationales de l’université de Pékin.

Pour compléter le caractère pluriel du débat, la table ronde était modérée par Justin Vaïsse, directeur du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie au ministère français des Affaires étrangères.
Le responsable russe a établi d’entrée de jeu la distinction entre deux types de terrorisme : les attaques ponctuelles, qui augmentent de plus en plus dans le monde, notamment au Moyen-Orient et en Europe, et le terrorisme orchestré par des organisations qui s’emploient à occuper des territoires et des pays. « Le premier genre requiert une coopération étroite entre les organismes sécuritaires », a déclaré Sergei Karaganov, qui a relevé que d’une manière générale le terrorisme est dû souvent à l’injustice, au malaise social et aux effets du changement climatique, notamment sur la production de produits alimentaires. Quant au second type de terrorisme, tel que celui pratiqué par les talibans ou el-Qaëda à titre d’exemple, il est stimulé par les interférences étrangères, « qui doivent donc cesser car elles mènent au désastre ». Le responsable russe a ajouté que « la Russie est intervenue en Syrie pour maintes raisons, dont la volonté de détruire les organisations terroristes à la source, avant qu’elles ne nous atteignent ».

Affirmant que la politique russe a pour but d’établir la stabilité en éradiquant l’idéologie de « ceux qui ont pris les armes pour détruire l’autre », Sergei Karaganov a souligné qu’il faut « abolir le jeu géopolitique lorsqu’il s’agit de combattre les organisations terroristes comme Daech, et il faut soutenir les États en place qui sont vulnérables ».

(Lire aussi : Le régime Assad vivement stigmatisé au cours des séances de la WPC à Doha)

Tsunami jihadiste

L’ancien gouverneur de l’État du Bengale occidental a noté pour sa part que l’État islamique et el-Qaëda « sont en train de rétablir des contacts avec d’autres organisations terroristes ». « Les deux constituent une sorte de tsunami jihadiste qui mobilise des jeunes en colère », relève-t-il, avant d’ajouter : « Pour gagner une guerre, il faut savoir connaître son ennemi. Pour lutter contre le terrorisme, il faut comprendre comment ce terrorisme s’est développé, notamment avec la guerre en Afghanistan qui a été un tournant avec l’émergence de la ferveur islamique et le jihadisme islamique mondial (…). L’idéologie de l’État islamique n’est pas différente de celle d’el-Qaëda, sauf que l’EI cherche à contrôler un territoire. »

Le point de vue saoudien

Notre confrère d’Arabie saoudite a affirmé de son côté que l’avenir du monde arabe ne saurait être à l’image de l’État islamique. « L’avenir du monde arabe est à l’image du printemps arabe et des rassemblements dont a été le théâtre la place Tahrir », a souligné Jamal Khashoggi, qui a ajouté que « le chaos qui sévit en Syrie et en Libye est dû à la tyrannie des régimes qui ont suscité l’émergence d’organisations telles que Daech ». Le journaliste saoudien a d’autre part dénoncé la passivité à l’égard de « l’expansionnisme iranien dans la région et la présence des organisations chiites radicales qui ne diffèrent pas beaucoup des organisations radicales telles que Daech ».
M. Khashoggi a mis l’accent à ce propos sur la nécessité de « s’attaquer à la source du mal ». « Nous ne pouvons pas soutenir des tyrans comme Bachar el-Assad et Ali Abdallah Saleh qui ne sont nullement la solution mais qui constituent au contraire la cause du problème. »

Le professeur universitaire de Pékin a, quant à lui, déploré le mutisme observé au sujet « des activités terroristes en Chine ». « Des terroristes se sont rendus de Chine en Thaïlande, puis en Syrie, pour rejoindre el-Qaëda », a indiqué Wang Jisi, qui a relevé que, pour contribuer à la lutte contre le terrorisme, la Chine octroie des aides aux victimes.
Dernier à prendre la parole, le responsable onusien a souligné que le secrétariat général de l’Onu a prôné des plans de développement pour éradiquer le terrorisme. « Le terrorisme n’est pas un problème d’ordre sécuritaire, mais plutôt politique », a déclaré Jehangir Khan, qui a appelé à une solution inclusive visant à s’attaquer à la pauvreté et à apporter l’assistance nécessaire aux victimes.

Observations française et libanaise

Au terme de l’exposé des intervenants, le directeur du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie au Quai d’Orsay, Justin Vaïsse, a commenté les propos tenus par le responsable russe Sergei Karaganov, soulignant, en s’adressant à ce dernier, qu’à Alep, « moins de 10 pour cent des combattants sont jihadistes, soit moins de 500 jihadistes sur plus de 5 000 combattants ». Et M. Vaïsse d’ajouter : « Je ne suis pas certain que le régime de Bachar el-Assad soit légitime. »
L’homme d’affaires libanais Riad Tabet, membre de la délégation libanaise à la conférence, a rebondi sur ce dernier point, se demandant si les Nations unies pouvaient reconnaître la légitimité d’un régime qui massacre son propre peuple. La question de M. Tabet n’a pas trouvé de réponse directe de la part du responsable onusien présent. Quant au délégué russe, il a souligné que son pays est intervenu en Syrie non pas pour défendre Bachar el-Assad, mais « pour le respect de la souveraineté, de manière à ne pas réitérer l’expérience de Belgrade »…