Diplomates et politiques du monde entier suspendus aux lèvres de Donald Trump

21.11.16

Pascal Airault

De Pékin à Berlin, les déclarations provocatrices et protectrices du futur président américain et sa propension à l’isolationnisme suscitent des inquiétudes

Dans sa propriété de Bedminster, dans le New Jersey, Donald Trump poursuit ses consultations afin de former son gouvernement. Il a reçu l’ancien maire de New York, Rudy Giuliani, le gouverneur du New Jersey, Chris Christie, le général retraité du corps des Marines et ex-patron du commandement central de l’armée américaine, James Mattis, ainsi que son farouche adversaire républicain de la primaire, Mitt Romney. James Mattis pourrait obtenir la direction du Pentagone et le gouverneur Romney le poste de secrétaire d’Etat.

De notre envoyé spécial à Doha (Qatar)

À Doha, les responsables politiques et analystes de la planète se perdent en conjectures sur les grandes évolutions internationales que la victoire de Donald Trump risque d’entraîner. L’ombre du milliardaire américain plane sur les débats de la 9e édition de la World Policy Conference, organisé dans la capitale qatarie par l’Institut français des relations internationales (Ifri).

En Europe, on se demande quelle sera la politique du futur président américain lorsqu’il prendra ses fonctions, le 20 janvier. La relation transatlantique est pleine d’incertitudes à l’heure où l’UE va négocier, pour la première fois de son histoire, la sortie de l’un de ses membres. À Londres, beaucoup redoutent un moindre engagement américain au sein de l’Otan, structure qualifiée de «​désuète ​ » par Trump durant la campagne.

«​C’est une grande crainte pour le Royaume-Uni, tout comme la perspective d’un rapprochement avec la Russie sur le dos de l’Ukraine et l’éventuelle levée des sanctions américaines auxquels le gouvernement de Theresa May est opposé », explique John Kerr, membre de la chambre des Lords. Cet ex-ambassadeur britannique à Washington redoute aussi que les États-Unis s’intéressent moins à la Grande-Bretagne, une fois sortie de l’Union européenne. Il prédit des jours difficiles à son pays qui devra alors renégocier, en position de faiblesse, un accord de libre-échange avec son partenaire.

Le leadership de Merkel. « La nouvelle donne aux États-Unis ouvre une période d’insécurité dans un contexte d’instabilité mondiale, confie le député allemand Norbert Röttgen, président de la commission des Affaires étrangères du Bundestag. L’Europe est atteinte d’une crise des mentalités, voit l’émergence des nationalismes et connaît le repli de certains États. L’alliance occidentale doit être préservée ».

Selon le parlementaire CDU, la chancelière devrait encore accroître son leadership. «​ Si elle est réélue, Angela Merkel s’investira davantage en matière de politique étrangère et de défense pour contribuer à la sécurité collective que les Américains ont jusqu’à présent assurée, ajoute-t-il. Elle a promis d’augmenter la participation allemande à l’Otan et de consacrer 2​ % du PIB à la Défense ​ ». C’est aussi l’objectif français d’ici 2​018.

«​Nous avons besoin d’une industrie de la défense européenne », plaide Élisabeth Guigou, la présidente de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale. Français comme Allemands veulent que Trump, qualifié d’isolationniste par les experts, maintienne le leadership américain pour promouvoir les valeurs occidentales. Ils restent fermes sur le maintien des sanctions imposées à la Russie pour son rôle en Ukraine alors que l’Américain pourrait être tenté de les lever.

« La remise en cause en cause des frontières est un jeu dangereux », soutient Jean-Marc Ayrault, le patron du Quai d’Orsay qui souhaite sauver les accords de Minsk, admettant implicitement que le processus de paix entre Kiev et les séparatistes est en panne. L’Europe espère aussi que Trump restera attaché au multilatéralisme et ne remettra pas à cause l’accord sur le climat, difficilement acquis à Paris, et celui signé avec l’Iran sur le nucléaire.

Au Moyen-Orient, la virulence de la campagne américaine et la montée de l’extrémisme en Europe préoccupent. « Est-ce que l’on se dirige vers la gouvernance mondiale ou vers le désordre mondial ? interroge l’ancien Premier ministre de Turquie, Ahmad Davutoglu. L’imprévisibilité règne partout… On espère que les conflits actuels ne mèneront pas à la 3e guerre mondiale​ ». A Ankara, les dossiers prioritaires à discuter avec les Américains sont l’avenir de l’Irak et de la Syrie, et l’extradition du prêcheurFethullah Gülen, accusé d’être derrière la tentative de coup d’Etat de juillet. Le président Erdogan semble prêt à faire des concessions en Syrie à condition que les combattants kurdes du PYD repassent de l’autre côté de l’Euphrate.

Réflexes protectionnistes. Les pays du Golfe attendent, quant à eux, une réimplication américaine dans la région, se demandent comment va se traduire la fermeté de Trump à l’égard de l’Iran et craignent qu’il lâche du lest sur le départ de Bachar al-Assad en Syrie. Sur ce point, ils ont le soutien de Paris, toujours fervent du ni-ni (Ni Daech, ni le régime de Bachar al-Assad) au cours d’une transition qui reste à négocier.

Le négociateur Palestinien, Saeb Erakat, dénonce la rhétorique de Naftali Bennet, ministre israélien de l’Education, qui a célébré la victoire de Trumpen annonçant la mort de la « solution des deux États » (l’un, Israélien ; l’autre, Palestinien). Erakat espère que le prochain président tiendra sa parole de résoudre la crise israélo-palestinienne. Pour lui, seule la solution d’une cohabitation pacifique des deux États est acceptable – mais pas suffisante pour enrayer la radicalisation de la jeunesse des pays arabes. « 55 % de notre population a moins de 20 ans, souligne Saeb Erakat. Aucun penseur n’a réussi a construire un contre discours face à Abou Bakr al-Baghdadi, le chef de l’organisation État islamique ».

Du côté chinois, les autorités craignent la montée des réflexes protectionnistes en Europe et aux États-Unis, ce qui pourrait avoir un effet sur le principal bénéficiaire de la mondialisation. Mais l’on veut croire que Trump, après ses déclarations hostiles de campagne, saura ménager la deuxième puissance mondiale. «​Rien n’est certain dans la relation que nous aurons avec les Etats-Unis », explique Wang Jisi, président de l’Institut des études stratégiques et internationales de Pékin.

Chez le voisin japonais, on estime que le courant est passé entre l’Américain et le Premier ministre, Shinzo Abe, lors de leur premier entretien à New York, jeudi dernier. « La politique américaine ne va pas changer en profondeur, tente de rassurer Ichiro Fujisaki, ex-ambassadeur du Japon à Washington. Elle va continuer à reposer sur des alliances fortes même si l’administration devrait demander un plus grand partage du fardeau ». Là-bas aussi, comme en Europe, Trump a appelé les pays à payer davantage pour la protection américaine.